François Ozon : "On devrait pouvoir mourir dans la dignité"

Avec "Tout s'est bien passé", en salles le 22 septembre, le prolifique François Ozon signe sa 20e réalisation et s'adjuge, pour l'occasion, les services d'une actrice qu'il rêvait de diriger depuis longtemps: Sophie Marceau. Le cinéaste lui offre précisément le rôle de son amie et romancière Emmanuèle Bernheim, au moment où celle-ci accompagne son père dans son projet d'en finir avec la vie. Confidences du maestro.

François Ozon : "On devrait pouvoir mourir dans la dignité"
© Diaphana Distribution

Quand François Ozon rencontre Emmanuèle Berheim

J'ai rencontré Emmanuèle Bernheim grâce à Dominique Besnehard. A l'époque, j'avais tourné les 20 premières minutes de Sous le sable. Le producteur étant ruiné, le film s'est arrêté. Il fallait le relancer avec une autre production ; c'était un peu l'enfer. On n'avait pas d'argent. Personne ne voulait du projet. Et c'est à ce moment que Dominique a évoqué Emmanuèle en m'invitant à la rencontrer. Il était persuadé que l'histoire la toucherait. Il a eu raison et on a travaillé ensemble plusieurs fois par la suite. J'aimais parler de cinéma avec elle, son regard, sa cinéphilie très axée sur les acteurs. La mienne vient aussi de là. Elle adorait le gore et le film Saw, qu'elle m'avait d'ailleurs conseillé (rires). Elle appréciait le cinéma physique, du corps.
En 2013, quand j'ai lu les épreuves de son livre Tout s'est bien passé, je l'ai trouvé très beau. J'en connaissais déjà le récit mais pas les détails. Et j'avoue avoir eu peur du sujet. C'était son histoire, tellement personnelle et intime que je me suis demandé où était ma place là-dedans. J'ai passé mon tour.
Après sa mort, je l'ai relu dans une toute autre optique. Je voulais comprendre ce qu'elle avait traversé, l'impact de cette épreuve. Je me suis dit que mon sujet n'était pas tant la fin de vie que la famille et les répercussions d'une telle décision en son sein. Quand je fais Grâce à Dieu, mon sujet n'est pas la pédophilie mais la libération de la parole.
Ici, mon point de départ était l'intime, la relation d'un père et de sa fille et cette demande extrêmement complexe que le premier présente à la seconde. Pour les angles morts, je les ai notamment trouvés du côté de la mère, qui n'existait pas dans le livre. J'ai eu un choc en découvrant qu'elle était une sculptrice impressionnante avec une vraie œuvre. Et j'ai voulu greffer ça. Sur un tel film, on a envie d'être à la hauteur des vraies personnes dont on parle. Il s'agit de ne pas les trahir. 

Tout s'est bien passé ou le deuil du vivant

Ce n'est pas la mort qui me fascine mais ce qui l'entoure, l'approche. Elle nous tombe dessus. Ce n'est pas quelque chose qu'on choisit, mais qu'on subit. Je trouvais beau de raconter quelqu'un qui pense avoir réussi sa vie et qui veut réussir aussi sa mort. C'est cette liberté qui est impressionnante. A partir du moment où il a la date de sa mort, il va mieux. Il estime avoir profité de sa vie, avoir été jusqu'au bout. C'est une force de caractère que je ne suis pas sûr d'avoir. Je pense en tout cas qu'on devrait pouvoir mourir dans la dignité. Ça, c'est sûr. Après comment ça se fait, je ne sais pas. C'est aux législateurs de trouver les meilleurs moyens. Je discutais récemment avec des gens de l'ADMD (l'Association pour le Droit de Mourir dans la Dignité, ndlr). Et il n'y a pas eu un sursaut de mortalité en Suisse ou en Belgique, au contraire. Il y a juste des morts qui se font de manière plus paisible, en famille, en étant entouré, en organisant les choses…
Ce qui est très paradoxal, c'est que souvent, les gens vont beaucoup mieux quand ils savent qu'ils ont une date. Et c'est ce que je montre dans le film. Plus on s'approche, plus ils sont libérés. Et, parfois, certains choisissent finalement de ne pas aller jusqu'au bout, décidant de repartir pour un tour. Tant qu'on n'est pas face à ces situations, c'est en tout cas très difficile d'avoir un positionnement tranché. Ce que je pense, c'est que ce n'est pas aux enfants d'organiser ça.
Emmanuèle n'aurait pas dû vivre cette tension et cette pression. Il faut que la loi évolue et ça va arriver. 80% des gens sont pour mourir dans la dignité. Demeurent toutefois certains lobbies religieux qui font très peur au gouvernement. Hollande avait promis une loi qu'il a repoussée. Macron ne le fera pas dans ce quinquennat. Mais je pense que ça devrait se produire dans le prochain, enfin ça dépend qui est élu…    

Sophie Marceau et André Dussollier dans "Tout s'est bien passé". © Diaphana Distribution

François Ozon : "Sophie Marceau n'a aucun de ces comportements star qu'on peut imaginer"

Je n'en veux jamais aux acteurs qui me disent non. Ça arrive souvent. André Dussollier avait par exemple refusé Gouttes d'eau sur pierres brûlantes… Il faut que le désir soit des deux côtés. Là, avec Sophie, on s'est trouvé parce que l'histoire l'a touchée ; on était en osmose sur le sujet. C'est une actrice entière, qui ne peut pas y aller pour les mauvaises raisons. Et c'est ce qui fait sa force. Peut-être aussi sa faiblesse, ce qui a pu la faire passer à côté de beaux projets. Mais elle a cette sincérité qui me touche. Elle a commencé sa carrière très tôt et on lui a vite imposé des choses. Elle a essayé de trouver sa place. A 13 ans, c'est une star, elle a un contrat chez Gaumont qu'elle va racheter pour trouver sa liberté. (…) Je voulais avoir une actrice populaire qui permette de mieux rentrer dans l'histoire, qui autorise le spectateur à mieux s'identifier.
Sophie Marceau, on la connait depuis longtemps, elle fait partie de la famille, de la vie des gens, on l'a vue grandir. Cela dit, il existe une familiarité qui peut être lourde pour elle et de laquelle elle aimerait échapper. Quand on engage des stars, il faut en tout cas jouer avec leur image. Comme Catherine Deneuve dans Potiche que je mets en bigoudis et en survêt'. Je voulais Sophie à nu, peu maquillée, c'est d'ailleurs presque un documentaire sur elle. Emmanuèle Bernheim et elle se mélangent.
Très vite, les choses sont concrètes en sa compagnie. On a fait des lectures, on a parlé, on a appris à se connaître, elle a un côté bon petit soldat sur le tournage. Sophie Marceau a compris ma manière de bosser et elle n'a aucun de ces comportements star qu'on peut imaginer. Et j'aime travailler avec les acteurs-metteurs en scène. C'est comme Dussollier, qui n'a eu aucune coquetterie d'acteur et qui a jubilé en incarnant son rôle de père. C'était pour lui un vrai plaisir d'acteur. Il était heureux d'être allongé et que tout le monde s'occupe de lui, comme un pacha (rires).