VAURIEN, un thriller séduisant signé Peter Dourountzis

En salles le 9 juin, "Vaurien" marque les remarquables premiers pas de cinéaste de Peter Dourountzis. Mi-polar, mi-thriller, cette œuvre atypique, labellisée Cannes 2020, dresse le portrait déroutant d'un tueur en série campé par un Pierre Deladonchamps impérial. Voici 3 bonnes raisons d'y plonger !

VAURIEN, un thriller séduisant signé Peter Dourountzis
© Rezo Films

Vaurien : le serial killer revisité

Surtout, méfiez-vous de son charme ! Derrière ses yeux rieurs, Djé dissimule la porte des enfers. Il ne suffit d'ailleurs que d'une séquence -la première-, dans laquelle il importune de manière glaçante une jeune passagère d'un train, pour comprendre que le personnage principal de Vaurien suinte la dangerosité. C'est avec ce visage que Peter Dourountzis nous fait entrer de plain-pied dans son premier long-métrage, labellisé Cannes 2020. Si le cinéaste ne rejette pas l'importance que des thrillers comme Seven ou Le Silence des Agneaux ont eu dans sa vie, il a choisi fort à propos de se détourner des codes rémanents que le cinéma a bien voulu coller au dos du serial-killer.

Djé désarçonne parce qu'il échappe justement aux archétypes, aux stéréotypes que la société veut se représenter, qu'il passe facilement par le chas de l'aiguille sans éveiller le moindre soupçon, parce que son visage est celui que l'on croise partout, un visage "de la vraie vie" comme aime à dire le jeune réalisateur. C'est un vaurien, à l'instar du titre, un prédateur qui louvoie, dérange et déstabilise les femmes, allant parfois jusqu'au meurtre. Djé a cela de fort qu'il existe et habite tout l'écran à la rencontre de la caméra, laquelle se penche sur lui comme sur une créature à la fascinante monstruosité. L'interprétation phénoménale -la nomination aux César n'est pas loin- de Pierre Deladonchamps y contribue grandement.

"Vaurien // VF"

Dourountzis casse les passages obligés   

Pas de pluie, de grande fusillade, de course-poursuite effrénée… Pour raconter la trajectoire de son méchant, Dourountzis a troqué les poncifs du genre pour une approche parfois naturaliste.

Evidemment, le thriller et le polar s'enchevêtrent avec une certaine grâce dans cet audacieux objet filmique mais l'intérêt du projet réside ailleurs : dans les contre-pieds qu'il propose. A commencer par l'éradication pure et simple de l'enquête. Pas de détective qui sillonne les rues interlopes et nocturnes, pas de carnets à noircir ou de gyrophare hurlant. Vaurien privilégie à la mécanique d'investigation les moments plus anodins : ceux de la vie, de la conversation, de l'humour aussi.

Comme chez Tarantino, Dourountzis préfère assoir le spectateur à la table de Djé, l'observer, l'écouter, le considérer dans son apparente trivialité. Le risque consiste ici à développer une empathie malsaine à son endroit. Mais il le contourne avec habilité en rappelant régulièrement que cet homme au passé inconnu, aux contours brouillardeux, correspond à une figure maléfique cachée derrière un physique qui l'immunise. "Il possède le quadruple totem d'immunité, puisque ça sera toujours un autre qu'on va soupçonner. Je me suis posé cette question : qu'est-ce qui protège si bien ces personnes ? La société tout autour, bien entendu", explique Dourountzis.

Pierre Deladonchamps dans "Vaurien" © Rezo Films

Ophélie Bau et Pierre Deladonchamps : un duo étincelant

Révélé par Alain Guiraudie dans L'inconnu du lac, pour lequel il avait obtenu le César du meilleur espoir masculin, Pierre Deladonchamps trouve ici l'un de ses meilleurs rôles récents. Après nous avoir tétanisés en pédophile dans Les Chatouilles d'Andréa Bescond, il prête avec brio ses traits angéliques à Djé et trouve en Ophélie Bau une partenaire de choix.

L'actrice, révélée par Mektoub, my love : canto uno d'Abdellatif Kechiche, campe Maya, une jeune femme énergique, au caractère bien trempé, qui va entrer dans la vie du criminel en faisant littéralement basculer ses certitudes. Car oui, Djé s'attaque aux plus faibles et résiste aux plus fortes. " Djé est un sujet qui devient objet, et même objet jetable, tandis que Maya est d'abord perçu comme un objet de désir, de convoitise, et qui devient sujet à la fin du film ", précise justement Dourountzis.

Les deux acteurs bénéficient de la mise en scène précise de l'intéressé, lequel n'hésite pas, façon Haneke, à tirer le meilleur parti du hors-champ. Une technique qui, au lieu de cacher la violence, la rend encore plus insidieuse et tangible. Il réussit également à capter toutes les expressions de la misogynie ordinaire en se reposant principalement sur le rapport de prédation existant entre les hommes et les femmes.

Sa caméra, toujours aux côtés de ces dernières, comme pour les protéger de l'horreur du monde, écrit toute la dimension féministe de ce film éminemment hybride.