Ophélie Bau, sauvage et divine de Mektoub My Love à VAURIEN

Dans "Vaurien", le premier long-métrage de Peter Dourountzis, labellisé Cannes 2020, Ophélie Bau étincelle dans la peau d'une jeune femme libre qui croise la route d'un dangereux criminel, incarné par Pierre Deladonchamp. A 28 ans, elle est l'une des plus belles promesses du cinéma français. Retour sur une ascension fulgurante.

Ophélie Bau, sauvage et divine de Mektoub My Love à VAURIEN
© LAURENT BENHAMOU/SIPA

Elle entre dans un bar comme une bourrasque, la fougue tellurique, le pas déterminé. La gouaille et la vie sont chevillés au corps. Le courage, aussi. Elle, c'est Maya, une jeune femme qui place son pas sur la route dantesque et chaotique de Djé, un homme sans le sou, solitaire, tueur surtout, avec un de ces regards qui givre l'échine.

Ophélie Bau, actrice de valeur dans Vaurien

Face à Pierre Deladonchamp sous les traits du malotru, Ophélie Bau irradie dans Vaurien, le premier long-métrage de Peter Dourountzis, lequel allie habilement les codes du film noir à un naturalisme social. "Je partage l'énergie de mon personnage. C'est une fille en dehors des cadres. A cet endroit, on se ressemble pas mal. Elle est assez utopiste dans sa façon d'imaginer une société de partage, de vivre-ensemble : et tout ça me parle", confie la jeune comédienne, en agrémentant son aveu de ce fameux sourire dont les caméras s'énamourent.

Il suffit en effet d'évoquer sa scolarité pour comprendre pourquoi cette héroïne combattante et libre a immédiatement trouvé grâce à ses yeux.

Née le 29 juillet 1992 à Besançon -avec son frère jumeau- (elle a aussi un frère ainé, ndlr), d'un père avocat et d'une mère assistante dentaire, la jeune femme qualifie son enfance d'aléatoire et évoque sans détour ses difficultés d'acclimatation à l'école.

Les carcans, les murs, les codes, les normes : très peu pour elle. "Je ne savais pas où me positionner. J'avais un gros caractère, limite sauvage. Je n'ai jamais su appartenir à un seul groupe", se souvient-elle. Souvent entourée des potes de son frère jumeau, Ophélie aime la compagnie des mecs, revendiquant volontiers son statut de garçon manqué. Avec eux, elle fait du sport, du football. "A la cantine, des filles me disaient: 'Si tu vas jouer avec eux, on ne te parle plus'. Moi, je ne voyais pas de problème à ça. Au collège, il y avait toujours quelque chose à choisir. C'était une période difficile que j'ai mal vécue… Les enfants sont durs entre eux."

"J'étais à fleur de peau, réactive, impulsive... jamais dans la provocation"

Convocations chez le proviseur, devoirs jamais faits, plantée en fond de classe, rebelle: elle guerroie non-stop contre sa détestation scolaire, contre cet environnement qui l'encapsule, quitte à être exclue de l'établissement. Car oui, Ophélie se bat beaucoup, balance des gnons, notamment à ceux qui la ramènent constamment à son physique, à sa joliesse.

"J'étais à fleur de peau, réactive, impulsive. Il fallait que je me défende contre ça en permanence. Le pire, c'est que je n'étais jamais dans la provocation. Je ne cherchais pas les emmerdes.". Pour autant, Ophélie Bau refuse d'assimiler cette période à un moment douloureux puisqu'il a aussi regorgé de vie, de pétulance et de sourires.

Férue d'arts plastiques, de technologie et de philosophie, elle obtient son baccalauréat ST2S (sciences et technologies de la santé et du social) dans un nouvel établissement à l'âge de 19 ans, après deux redoublements. "Sur mon carnet, c'était pourtant écrit 'a les capacités'. En vrai, j'étais mauvaise en rien, à part les maths dont je me foutais.", lance-t-elle avec une hilarité contagieuse.       

Ophélie Bau et Pierre Deladonchamp dans "Vaurien". © Rezo Films

Plusieurs mektoubs ("destins")

Après le lycée, elle passe et échoue deux fois le concours d'éducatrice spécialisée. A 21 ans, suite à un CDD en qualité d'agent de service hospitalier, c'est l'heure de la prise de conscience.

"Je me suis imaginée à 50 ans en me demandant quels seraient mes regrets." Et la réponse d'émerger avec la précision d'un horloger: ne pas avoir essayé de devenir actrice alors qu'elle y aspire depuis sa plus tendre enfance. "J'avais occulté ça, je n'en parlais pas à ma famille. C'était tabou, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que c'est souvent associé à quelque chose de prétentieux."

Le mektoub frappe une première fois à sa porte quand elle découvre que le Cours Florent ouvre une antenne à Montpellier, la ville où elle a toujours souhaité vivre. Elle s'y installe mais ne termine pas ses études de théâtre. Là encore, les règles la refroidissent. A la technique classique, elle préfère l'intuition, la spontanéité, l'improvisation… Hasard du destin et second mektoub: entre dans sa vie celui qui, mieux que personne, saura lui offrir ce terrain de liberté auquel elle aspire tant… Abdellatif Kechiche.

Le 19 juillet 2016, elle passe son premier essai pour la trilogie Mektoub my love, que le cinéaste prépare, trois ans après sa Palme d'or cannoise pour La vie d'Adèle. C'est en août, quelques semaines plus tard, qu'elle le rencontre dans un café. "C'est quelqu'un de simple. Il est très dans l'observation. Il laisse des silences se faire, ne prépare rien, fait dérouler l'instant. Tu te demandes : 'qu'est-ce qu'il faut que je dise, que je fasse ?''", confie-t-elle, souriante. A cet instant, Ophélie Bau n'a vu aucun de ses films, par choix, et préfère plonger ainsi dans le tournage de cette transposition libre de La Blessure de Bégaudeau. A la base, son rôle n'existe pas tel quel. Il prend en consistance au fur et à mesure qu'elle entre dans cette ronde des corps et de la vie, le temps de l'été 1994, à Sète.

Aux côtés de Shaïn Boumédine et Hafsia Herzi, elle enflamme la caméra et révèle un talent inné qui lui vaut notamment le Prix Lumière de la révélation féminine en 2019. "Je me suis reconnue dans cette jeunesse de Mektoub. J'allais souvent en vacances dans le sud : la plage, les corps, l'adolescence qui se cherche, tout ça je connais. C'est un âge de transition qui ne m'est pas étranger."

Ophélie Bau, au coeur d'un tollé à Cannes

Présenté en 2019 en compétition à Cannes, Mektoub my Love: Intermezzo, la suite sulfureuse du premier opus, fissure hélas le verre. Ophélie Bau n'assiste pas à la projection officielle du film et déserte la conférence de presse du lendemain. Une décision qui fait les choux gras de la presse, laquelle cherche la cause de cette disparition totale qui, de son propre aveu, était "nécessaire, volontaire et obligatoire".

Ce n'est que bien après, sur le plateau de Clique, chez Mouloud Achour, que l'actrice en évoque la cause: un non-respect de contrat. Et, depuis, son discours reste le même: "Ce qui s'est passé, je ne pourrai jamais le résumer en une interview. Il y a eu deux choses : Cannes et les tournages. Les gens imaginent que tout s'est passé à Cannes où, clairement, un contrat n'a pas été respecté." A ce jour, elle n'a toujours pas vu le film: "Ce n'est ni une urgence, ni une nécessité. Si je ne l'ai pas vu à Cannes, ce n'est pas pour le voir ailleurs." Inutile par ailleurs de lui demander, sur Instagram par exemple, quand est prévue sa sortie: "Je n'ai pas d'info et je n'en cherche pas. Kechiche et moi n'avons plus aucun rapport. Pour moi, c'est aussi une manière de clore cette histoire et d'aller de l'avant."

Ophélie Bau dans "Mektoub My Love : canto uno". © Pathé Films

Un avenir ultra prometteur

Sa volonté de tourner la page est clairement manifeste. D'ailleurs, les projets redoublent. En début d'année, Ophélie Bau a tourné dans Le Marchand de Sable de Steve Achiepo, avec Moussa Mansaly et Aïssa Maïga, un drame prometteur qui déploie sa trame dans l'univers des marchands de sommeil. Elle a été aussi dirigée par Anaïs Deban, coscénariste de Guy, pour un court-métrage dans lequel elle joue la fille de Tchéky Karyo. Et dans quelques mois, elle s'envolera pour Toronto, sur le plateau de la nouvelle réalisation du cinéaste iranien Abdolreza Kahani.

Mais en attendant d'apprécier les différentes strates de son talent, on peut applaudir au cinéma, dès le 9 juin, son énergie et son jeu si spontané dans Vaurien de Peter Dourountzis. "Avec Peter, on a eu un feeling naturel. On se rejoint sur notre façon d'envisager le monde et de vouloir prendre soin des gens. Il a été formateur au SAMU social. Moi, à la base, je voulais être éducatrice spécialisée", précise-t-elle.

Face à elle, Pierre Deladonchamp, partenaire de plateau très complice, lui donne brillamment le change. "On s'est régalé. C'est un mec tellement drôle. Je l'ai beaucoup observé dans son jeu. J'ai tout à apprendre de lui, des autres… Vous savez, je me rends compte qu'on a tous un jeu différent, un instinct différent… Moi, contrairement à certains acteurs qui en sont terrifiés, j'adore l'improvisation. Inversement, si on me met des croix au sol, des marques, qu'on me dit 'Tu prends la cafetière à tel moment', c'est l'angoisse totale car j'ai besoin que mon corps soit plus instinctif."  

Pour la petite histoire, la chienne de la comédienne figure au casting de Vaurien. "Je l'aime trop. Elle est entrée dans ma vie il y a 6 ans. On me l'a offert. Dans ma famille, on a toujours eu des chiens. Si je ne l'avais pas, il y a beaucoup de moments d'affection que je n'aurais pas eus. Elle est un sas de décompression et de motivation", concède-t-elle, des étoiles dans les yeux, ajoutant être membre de la SPA. Ophélie Bau aime particulièrement le contact avec les animaux, les bienfaits de la nature (qu'elle préfère aux grandes villes) et le sport surtout, qui l'aide au quotidien ; elle a notamment fait de la danse, du volley, du judo

Et, depuis trois ans, de la boxe. "Au début de l'interview, vous m'avez demandé comment je canalisais ma rage au lycée. En fait, je rêvais d'être boxeuse mais mes parents ne voulaient pas. Ils avaient peur qu'on me casse le nez, les dents… Mon père, qui est monté sur le ring plus jeune, craignait que mon coach me casse le nez par anticipation des combats à venir", s'amuse l'ex Miss Besançon.

Car oui, Ophélie Bau a été reine de beauté par le passé. Ce qui lui a mis "du baume au cœur". Elle en parle peu. Elle n'aime d'ailleurs pas s'épancher sur elle, c'est un exercice qui ne l'enthousiasme guère. Elle préfère s'exprimer à l'écran. Et vu son charisme et son talent, on ne peut que s'en réjouir.