Raphaël Jacoulot nous confie L'ENFANT REVE, son film entre drame et thriller

Avec "L'Enfant Rêvé", en salles le 7 octobre, Raphaël Jacoulot continue à ausculter la ruralité par le prise d'un cinéma de genre romanesque. Il y déploie un triangle amoureux -composé de Jalil Lespert, Mélanie Doutey et Louise Bourgoin-, déchiré par l'arrivée d'un bébé. Pour le Journal des Femmes, il revient sur quelques aspects de ce projet.

Raphaël Jacoulot nous confie L'ENFANT REVE, son film entre drame et thriller
© Jean Michel Nossant/SIPA

Un récit aux reflets personnels

J'avais sans doute besoin d'une prise de parole par rapport à mes origines, à ma famille, à ma vie actuelle. Ce film m'a permis de répondre à des questions intérieures. Les cinéastes se confrontent souvent à eux-mêmes au gré de leurs films, tout en parlant des autres. J'ai grandi dans l'environnement où a été tourné L'Enfant Rêvé, au sein d'une famille d'agriculteurs, dans une ferme isolée où il y avait, comme dans le récit que je porte à l'écran, des problématiques liées à la transmission de père en fils.

Le personnage de François, qui veut à tout pris avoir un enfant, m'intéressait pour sa vie de fils. L'Enfant Rêvé du titre, c'est d'ailleurs un peu lui. A travers lui, je projetais ma propre vie. Quand on écrit un personnage de fiction, on le fait beaucoup à partir de soi.

J'ai repensé à la façon dont j'ai moi-même réussi à m'éloigner de mon milieu alors que lui n'y parvient pas. Il est bloqué dans une forme d'injonction familiale ; on a décidé de sa vie à sa place, en l'empêchant de devenir un adulte. On lui a demandé de reprendre cette entreprise et de fonder une famille. Au fond, il reste un enfant dans son rapport à son père, dans la naïveté qui sommeille en lui.  

Embrasser l'émotion et le romanesque

La question du déterminisme social est assez présente dans mes films. C'est quelque chose qui m'intéresse. On peut y voir une privation de liberté, la question d'un atavisme, quelque chose qui se répète ou dans lequel on peut aussi s'épanouir. J'ai l'impression que François est malgré tout heureux dans cet univers forestier, et que s'il n'était pas confronté à ses difficultés d'avoir un enfant, il aurait eu une vie sereine.

Je voulais vraiment montrer qu'il n'a jamais eu le choix de sa propre vie, qu'il n'a pas pu se poser des questions sur sa propre liberté, ce qui lui fait peur. La liberté, c'est Patricia qui l'incarne dans le film (N'arrivant pas à avoir d'enfant avec son épouse, incarnée par Mélanie Doutey, il va en avoir un en tombant amoureux d'une jeune femme fraichement installée dans sa région, qu'interprète Louise Bourgoin ndlr).

Je n'ai pas eu peur d'épouser l'émotion, de ne pas rester dans une espèce de tradition de pudeur ou de rétention propre à un certain cinéma français. J'aime le mélodrame et la violence des sentiments, être embarqué dans des vies plus grandes que nature. Chez Truffaut, je chérie le lyrisme. J'apprécie que les sentiments soient présents et exacerbés de manière juste. Cela place le spectateur dans un rapport très fort au film. C'est ce que je recherche en tant que spectateur.

Un trio gagnant

Je travaille assez longtemps les personnages sur le papier, sans penser à la distribution finale. J'ai besoin que l'incarnation arrive à un moment où le scénario est avancé. Le casting est une étape majeure et capitale car tout repose sur les acteurs.

Jalil Lespert a été un choix assez évident ; il fallait quelqu'un qui soit crédible dans l'univers de la scierie, un acteur pas trop urbain, qui puisse habiter cette dimension terrienne. Je voulais que le personnage raconte à la fois quelque chose de sympathique -bon fils, bon père, bon époux- et révèle également un profil plus sombre, plus dévasté…

Jalil Lespert dans "L'Enfant Rêvé". © Paname Distribution

Pour les actrices, ça s'est construit en relation avec Jalil. Il s'agissait de trouver un duo qui se réponde, qui capitalise sur les différences entre les deux femmes… Mélanie Doutey bosse de la même façon que Jalil, elle est technique et instinctive. C'était émouvant de diriger Louise Bourgoin : elle est bouleversante dans le film. Elle était enceinte et a amené au récit quelque chose de très sensible, en tant qu'actrice et femme.

Ces trois forment un triangle amoureux vibrant au centre duquel trône la question de l'enfant. En l'occurrence, ici, un homme qui a un enfant avec une autre femme que la sienne. Son amante devient mère. Tout ça fait bouger ces lignes que je voulais investir.

La nature métaphorique

Dans chacun de mes films, il y a une présence assez forte de la nature, d'un milieu naturel duquel les personnages principaux ont du mal à s'extirper. Il peut être beau, apaisant ou dangereux.

François travaille dans une scierie. Il y a dans la transformation du bois une métaphore de sa trajectoire. On déracine le bois. Et la difficulté de ce héros, c'est l'enracinement. Dès l'ouverture, avec ces arbres qu'on extrait de la forêt pour les transformer de manière violente, on comprend que c'est aussi une image de son parcours. La forêt est justement abordée à partir de son ressenti, de ses émotions : lumineuse quand il y retrouve sa maîtresse ou très sombre quand il est seul et torturé.

Avec Céline Bozon, ma chef-op, on a beaucoup bossé sur les textures des bois, car c'est l'univers du personnage, c'est là qu'il se déploie tout autant que la mise en scène.

Quand j'étais enfant, l'univers des arts plastiques et de la peinture me paraissaient plus accessibles. J'aime toujours beaucoup la peinture. Mon rapport à l'art est passé par là, par quelque chose de très contemplatif. Mes recherches sont souvent picturales ; ça a été le cas sur ce film.

Et j'aime aussi le cinéma de genre, ces récits construits autour d'une tragédie, ces films noirs qui placent les personnages dans des situations extraordinaires et révélatrices de la nature humaine.

Plusieurs références m'accompagnent : Chabrol, que j'ai toujours aimé ou encore une fois Truffaut, et notamment La Femme d'à Côté pour L'Enfant Rêvé.