ANTOINETTE DANS LES CÉVENNES, la (dé)marche salutaire et hilarante de Caroline Vignal

Vingt ans après "Les Autres Filles", Caroline Vignal signe son retour avec le solaire "Antoinette dans les Cévennes", en salles le 16 septembre. Elle y dirige Laure Calamy, avec brio, sous les traits d'une amoureuse contrariée qui va essayer de guérir en randonnant avec un âne. Pour le Journal des Femmes, la réalisatrice et scénariste revient sur les temps forts de ce voyage filmique.

ANTOINETTE DANS LES CÉVENNES, la (dé)marche salutaire et hilarante de Caroline Vignal
© Jean Michel Nossant/SIPA

Une nature splendide et un âne

Ce que j'aime dans Les Cévennes, ce sont ses paysages splendides, vastes et variés. En France, on ne trouve pas tant d'endroits aussi dépeuplés. La Lozère est le département le moins dense humainement de notre pays. La première fois que j'y suis allée, j'ai rencontré un type qui m'a dit que tous ses habitants à l'année ne pouvaient pas remplir le Parc des Princes (rires). A mes yeux, c'était le lieu idéal pour accueillir mon héroïne, Antoinette, cette femme, éprise d'un homme marié et fuyant, qui entame un voyage à pied vers la guérison psychologique.

On peut y marcher des heures sans croiser de trace de modernité, de civilisation, sans maisons, sans personne… Je suis née dans le midi où, enfant, j'ai passé toutes mes vacances. Cette région a hélas changé, avec l'émergence de ronds-points, de centres commerciaux, de toutes ces choses qui défigurent le paysage. Fort heureusement, la Lozère est préservée de tout ça. J'aime son immensité, qui fait penser à ces films américains riches de paysages amples. C'est rare en France ; les campagnes sont en général très cultivées, segmentées. Les Cévennes ont en tout cas fondé mon projet artistique. On a d'ailleurs choisi, avec le chef-op, de filmer en scope avec l'idée d'englober cet espace dont j'apprécie la minéralité. Nous avons tourné au printemps pour que ce soit encore vert.

Et dans cette nature, il y a Patrick, l'âne qui va marcher avec Antoinette en portant ses bagages. C'est un animal symbolique qui, dans l'imaginaire collectif, est très présent. Il nous raccorde à l'enfance. Il est rattaché à une cohorte d'expressions de la langue française. Il a ce côté un peu comique à première vue, qui déclenche des rires immédiats, comme j'ai pu le voir lors d'avant-premières.

Cet animal émeut par son côté accompagnateur, presque indifférent. Tout en étant toujours là, il a ce quelque chose d'obstiné et de résigné sur son sort. Plus généralement, ce qui est beau avec un animal, c'est qu'on peut projeter ce qu'on veut dessus, s'imaginer ce qu'il pense, ressent. C'est un écran vierge sur lequel on regarde nos émotions.

Un personnage pour renaître

Laure Calamy est une femme qui me touche. Elle a su rester très simple. Elle est actrice depuis un moment, elle a fait beaucoup de choses artistiquement, et, malgré tout, elle ne change pas. Et je crois d'ailleurs qu'elle ne changera jamais. On a fait récemment une avant-première près de l'endroit où habite son amoureux. Il y avait des amis à elle et, en l'observant, je voyais à quel point elle interagissait normalement avec tout le monde, sans se prendre la tête. Elle n'a aucun snobisme. Elle s'en fout d'être dans des endroits hyper confortables, elle est assez roots. Elle dégage un truc qui m'intéressait pour le personnage, qu'elle a endossé le plus naturellement du monde.

Et je dois ajouter qu'on est strictement sur la même longueur d'onde. C'est impalpable. Des gens nous ont même dit qu'on se ressemble, alors que ce n'est pas du tout le cas physiquement. Peut-être dans les mimiques, dans des façons d'être ; les choses qu'on a en commun sont mystérieuses. On se comprend facilement, et, croyez-moi, c'est déjà énorme. Je ne lui ai rien expliqué pendant le tournage. Tout juste ai-je orienté son jeu de temps en temps… Elle avait déjà une compréhension immédiate et instinctive de ce que j'ai imaginé. En recevant le scénario, elle a même cru que je la connaissais. Pourtant,  je l'avais écrit avec personne en tête.

J'ai de la bienveillance pour Antoinette, son personnage, qui est sur le fil et qui peut très vite basculer dans le ridicule. On peut la juger au départ d'avoir cette relation avec un type marié, d'entreprendre ce voyage fou… C'était donc important qu'on la regarde avec amour. Je voulais que ça soit drôle, qu'il y ait de l'autodérision, qu'on n'hésite pas à aller vers le burlesque.

Je crois que j'ai cheminé avec ce personnage. J'avais moi-même eu peur de revenir à la réalisation, je n'avais plus fait de film depuis longtemps avant celui-ci. J'étais tendue pendant le tournage, je craignais de le rater. Et finalement, d'une certaine manière, je me suis réconciliée avec la réalisation. Antoinette dans les Cévennes m'a fait beaucoup de bien et j'espère que ça va continuer.     

Caroline Vignal et ses acteurs : Laure Calamy, Benjamin Lavernhe, Denis Mpunga et Olivia Côte. © Diaphana Distribution

Mettre en scène la marche

La difficulté du projet, c'était de filmer quelqu'un qui marche. Au départ, Antoinette est complètement aveugle à ce qui l'entoure, car obsédée par sa situation, par Vladimir, par cet âne qui n'obéit pas comme elle le voudrait. On ressent d'ailleurs peu le paysage dans la première partie. Et, petit à petit, il prend de plus en plus de place à mesure que notre héroïne s'y confond.

Je ne voulais pas d'effet de mise en scène, raison pour laquelle j'ai opté pour des plans fixes et des panoramiques. Les endroits accidentés où nous étions rendaient de toutes les façons difficiles tout travelling. Dans les grandes scènes de dialogues, on avait un steadycamer qui faisait de longs accompagnements de la scène. Ça nous permettait d'être avec Antoinette, avec l'âne… Il fallait des moments où on était proche d'elle et d'autres où on se trouvait plus loin, pour apprécier le paysage.

L'autre défi, c'était le fait qu'on ressente la durée. Quand on marche, on a un rapport au temps différent de la normale. On ne fait rien en même temps, ce qui est rare dans nos vies. Je voulais qu'on vive ça sans pour autant avoir de plans interminables.

J'aime beaucoup Rohmer qui transmet tant avec peu de moyens financiers et techniques. Je me suis souvenue d'une autre référence importante, Stromboli de Roberto Rossellini, qui est quand même plus grave que mon film.

J'ai aussi puisé dans les buddy movies, un cinéma formaté avec des schémas narratifs qui reviennent en boucle mais qui m'ont aidé dans ma construction narrative. Parfois, je me disais que Patrick, c'est Jack Lemmon dans La Garçonnière (rires).     

Pour revenir à la marche et la nature, je trouve qu'en ce moment, plus que jamais, on a un besoin terrible de prendre son temps, de se poser. Une chose précieuse dans le fait de voir un film en salle, c'est qu'on ne peut pas faire autre chose en même temps. C'est un des rares endroits où on est focalisé sur un point précis.

Les gens ont aujourd'hui du mal à se poser chez eux et à regarder un film en une fois, moi incluse. En salle, on sait qu'on va rester assis et qu'on va se déconnecter. J'espère que le cinéma en salles survivra à l'époque qu'on traverse actuellement. J'aime cette si précieuse captivité qu'elle impose.

"Antoinette dans les Cévennes // VF"