Virginie Efira : "Le courage est la première des qualités"

Dans "Police" d'Anne Fontaine, en salles le 2 septembre, Virginie Efira brille tout en intériorité dans le rôle d'une policière chargée, avec ses collègues (Omar Sy et Grégory Gadebois), de reconduire un étranger à la frontière. La comédienne poursuit son irrésistible ascension vers la canopée du cinéma français.

Virginie Efira : "Le courage est la première des qualités"
© Denis Makarenko/REX/SIPA

Avant la sortie le 21 octobre d'Adieu les Cons d'Albert Dupontel, et en attendant impatiemment son rôle de nonne sulfureuse dans Benedetta de Paul Verhoeven, Virginie Efira truste les écrans cette rentrée avec l'atmosphérique et prenant Police d'Anne Fontaine. Elle y incarne, avec une magnifique retenue, une policière parisienne qui, aux côtés de ses deux coéquipiers (Omar Sy et Grégory Gadebois), est chargée d'amener un étranger (Peyman Moadi) à l'aéroport en vue d'une reconduite à la frontière. Un nouveau rôle dans lequel elle dévoile une facette passionnante de son talent et sur lequel elle revient pour le Journal des Femmes. Entretien.   

"J'aime retravailler avec les acteurs quand je sens qu'ils sont de ma famille". C'est la réalisatrice Anne Fontaine qui le dit. Que vous inspire cette phrase ?
Virginie Efira :
C'est totalement réciproque. J'ai une familiarité avec elle. Je l'ai rencontrée au moment où j'avais fait une ou deux comédies romantiques. Je venais de la télévision. Je n'étais pas forcément à l'aise avec ce parcours-là. J'avais l'idée qu'on pouvait me juger par rapport à ça ; du coup, je me jugeais moi-même. C'était un peu compliqué. J'ai en tout cas de l'admiration pour elle. Quand je l'ai rencontrée, j'étais légèrement en panique car j'avais envie de lui plaire. Au bout du compte, elle m'a choisie pour son film Mon Pire Cauchemar (2001). J'en ai retiré beaucoup de plaisir avec cette idée réaffirmée que je prenais le bon chemin: pas dans l'idée d'une réussite mais dans celle de mon épanouissement propre. Anne y a contribué et ça a tissé des liens entre nous. Je vais voir tous ses films. En fait, je l'aime. Je trouve qu'elle a un mélange de tendresse et de drôlerie extrême. Une confiance mutuelle consolide notre lien. On se comprend. 

"Tenir un flingue, c'est quelque chose"

Virginie Efira dans "Police". © Studiocanal

Souvent, les acteurs disent qu'ils ont ce fantasme ou cette envie de jouer les flics. Était-ce votre cas ?
Virginie Efira : Non, pas du tout. Je ne me suis jamais matérialisée cette idée d'être une flic. En revanche, il y avait ce fantasme d'être derrière une porte et de tenir un flingue. Je ne l'ai jamais fait dans la vie, forcément (sourire). Et pratiquement jamais au cinéma, je crois. Tenir un flingue, c'est quelque chose. C'est un autre rapport au monde. Jouer un flic ou quelqu'un qui a un revolver, ça fait appel à plein d'images de fiction et ça me donne presque envie de singer le geste même si ce n'est pas tellement le propos dans Police (rires).   

Il y a en effet un côté anti-spectaculaire qui ne permet pas d'aller vers le cliché. On peut d'ailleurs dire que vous campez une "policière lambda"…
Virginie Efira :
Ce qui m'a saisie, ce sont ces personnages qui parlent de manière juste. On reçoit parfois des scénarios où l'écriture des dialogues est dissonante ou ampoulée. J'aimais qu'ils se parlent assez simplement, avec une sorte de pudeur. Il y a cet environnement du commissariat où s'échangent des choses qui peuvent paraître banales alors qu'il y a mille fois plus de choses en jeu. Dans le film siège une grande solitude ; je ne sais pas si elle est partagée par toute la police, j'imagine que non. Mais en tout cas, ces trois personnages-là ont été endurcis par certaines expériences de vie ou de travail. Ils naviguent dans des solitudes très fortes si bien qu'ils n'arrivent pas toujours à verbaliser un attachement à l'autre. J'ai aimé ressentir le renfermement de chacun. J'ai par ailleurs apprécié la structure narrative, cette manière de raconter l'histoire en scannant le même moment à travers les points de vue des trois personnages. Et, en chemin, quelque chose se passe, on trouble l'ordre régulier des choses. Mon personnage, inférieur hiérarchiquement et dans une position de fragilité émotionnelle, voit son rapport au monde progressivement changé.    

"La beauté du courage se définit au moment-même où se déroule l'action"

Votre personnage ouvre la brèche, c'est elle qui ose casser la rigidité du système… Saluez-vous sa désobéissance et sa transgression ? Qu'auriez-vous fait à sa place ?
Virginie Efira :
Bien sûr… J'espère en tout cas que j'aurais réagi comme elle et que je n'aurais pas découvert que je suis d'une lâcheté extraordinaire. Il y a beaucoup de gens qui disent: "Moi, face à une telle situation, j'aurais été extrêmement courageux." Je ne leur fais pas toujours confiance parce qu'ils prétendent leur bravoure sans avoir vécu les choses. La beauté du courage -qui est la première des qualités- se définit au moment-même où se déroule l'action. Tout d'un coup, on s'élève, on établit un acte, on dit ou fait quelque chose qui se met au-dessus de nous, pour le bien commun, pour demain. Cette chose est belle et ne se définit pas avant. A maintes reprises dans l'Histoire, on a pu constater que quand l'obéissance aveugle empiète sur l'espace de pensée, ça crée les pires traumatismes et même des génocides. Police parle de l'opposition de la loi et du droit, de l'obéissance et de la conscience intime…  

Virginie Efira, Omar Sy et Grégory Gadebois dans "Police". © Studiocanal

Est-ce que faire ce film a modifié votre regard sur la profession de policier ?
Virginie Efira :
Non, parce que je n'avais pas au préalable de regard prédéfini. Il y a autant de policiers qu'il y a d'âmes, de caractères, de convictions, de dignités… Anne Fontaine va chercher l'intime. Ses héros ne se définissent pas par leur costume, lequel, in fine, est une sorte de voile sur ce qu'ils ressentent, sur ces fragilités, ces faiblesses et ces questionnements réprimés…  

Vous n'aimez pas la réduction de la pensée, donc les tweets visiblement. Est-ce pour ça que vous n'êtes présente sur aucun réseau social ?
Virginie Efira :
Oui, c'est une des raisons. L'opinion publique comme juge, la pensée non nuancée, ça fait plus régresser que progresser. Et moi-même, je ne me vois pas y être… Quel intérêt ? Bon après, il y a aussi une part de moi de grosse ringarde… Car je crois qu'il doit sûrement y avoir des choses intéressantes à en tirer. Mais regardez, je passe aujourd'hui ma journée à répondre aux journalistes, avec des questions sur le film ou sur ma vie… Si en plus de ça, je prends une photo au réveil… Non…

Anne parle de vous comme de "la fille d'à côté fille, mais en mieux"… Votre popularité ne cesse en tout cas de croître. Votre capital sympathie aussi. Etes-vous consciente de cette image que vous renvoyez ?
Virginie Efira :
Ah bon ? (avec un air très étonné) J'ai l'impression que les gens aiment ceux qui se taisent comme Jean-Jacques Goldman. Moi, je trouve que je parle quand même beaucoup... Pour revenir sur les réseaux sociaux, il faut y créer un rapport avec le public. A mes yeux, il serait comme faux… Je ne sais pas, il y a cette forme de supériorité: le public d'un côté, moi de l'autre. Ça ne me correspond pas.