Maïmouna Doucouré alerte avec MIGNONNES sur l'hypersexualisation des ados

César du meilleur court-métrage en 2018 pour "Maman(s)", Maïmouna Doucouré remet l'enfance à l'honneur dans son premier long, "Mignonnes", en salles le 19 août. Elle y esquisse le portrait d'une ado de 11 ans s'émancipant par la danse pour s'éloigner d'un nid familial sclérosant. Pour le Journal des Femmes, la cinéaste -sacrée au dernier Festival de Sundance- commente cinq facettes de cette oeuvre sociétale pertinente.

Maïmouna Doucouré alerte avec MIGNONNES sur l'hypersexualisation des ados
© LaurentVu/SIPA

Filmer à hauteur d'enfant 

Pour cette histoire, l'inspiration me vient de l'enfance, de l'introspection que j'en ai faite, de ce que j'ai pu observer. Mais aussi d'un travail d'enquête que j'ai mené pendant un an et demi et au cours duquel j'ai pu entendre le récit de nombreuses jeunes filles. Comment se vivent-elles à cet âge, que ce soit dans la société, à l'école, chez elles ou à travers les réseaux sociaux ? Comment appréhendent-elles ce corps en transformation, qui grandit trop ou pas assez vite ? Traiter cette thématique de l'enfance me plait. J'en aime l'innocence, l'imaginaire et l'interprétation qu'un enfant peut se faire du monde.

Je définis d'ailleurs Mignonnes comme un conte. Petite, quand j'allais en vacances au nord-est du Sénégal, chez ma grand-mère, j'adorais ces moments où elle nous racontait des histoires ; ça nous plongeait dans un monde incroyable. Tout ça a développé en moi des croyances et des visions que j'utilise désormais dans la création.    

Tout vient des tripes

J'ai été cherchée dans mon inconscient. En travaillant sur ce film, je faisais ma propre thérapie. Gamine, je voyais déjà que les femmes autour de moi vivaient beaucoup d'injustices, d'assignation… Il y a aussi l'acception d'une forme d'oppression qui m'a révoltée. J'ai été en colère. Et cette colère ne m'a jamais quittée, elle est restée en moi et je m'en sers aujourd'hui comme d'un moyen d'expression pour régler notamment mes comptes avec ma mère, dont je ne partage pas la même vision du monde…

Je fais dire à mes personnages ce que j'aimerais que ma mère me dise.

Jusqu'à présent, je vis une forme de schizophrénie entre la culture traditionnelle de mes parents et ma culture occidentale ; je suis encore en plein dedans. Il y a énormément de choses que j'adore dans la culture de mes parents et que j'épouse avec joie et amour, et certaines que je repousse. Je veux toujours faire les choix qui me correspondent en tant que femme.

Fathia Youssouf et les "Mignonnes" de Maïmouna Doucouré. © Bac Films

Hyper-sexualisation du corps

L'objectification du corps de la femme n'est-elle pas une autre forme d'oppression ? Aujourd'hui, alors qu'elles n'ont aucun talent, certaines adolescentes sont suivies sur internet par des centaines de milliers de followers parce qu'elles mettent en scène leur corps. Pourquoi agissent-elles ainsi ? C'est important d'y réfléchir.

Dans mon film, dont l'idée est née devant un spectacle aux chorés provocatrices, la danse lascive à laquelle s'adonne l'héroïne était en fait un prétexte permettant d'ausculter le rapport de l'ado à un corps en pleine mutation. Ces jeunes filles l'utilisent comme moyen d'expression.

Pour Amy, c'est une façon de se libérer… J'avais à cœur de raconter l'hyper-sexualisation et de les filmer telles qu'elles se vivent et se montrent. En 2020, on n'est plus seule face à son miroir. Le miroir, c'est le téléphone, le selfie. On filme et on publie tout. L'estime de soi se construit dans le regard de l'autre; je ne pouvais pas faire l'impasse sur cette réalité.

Vers les dérives

Quand on 11 ans, plus on publie de photos osées, plus on a de likes ; on entre dans un mimétisme infernal sans en connaître les conséquences. On a l'impression de recevoir une forme d'amour en récompense. Adultes, on a déjà nos attributs sexuels, alors qu'enfants, on est dans une perpétuelle comparaison, comme je le montre lors d'une séquence où les gamines comparent leurs fesses.

A cet âge, soit ça va trop vite –les seins et les fesses grossissent rapidement– et c'est perturbant, soit ça ne va pas assez vite et ça finit par des chaussettes dans les soutiens-gorge ou de faux postérieurs...

J'ai rencontré des petites de 8 ans qui rembourrent leurs culottes pour 20€… Tout ça pour répondre à une certaine norme. Mon leitmotiv a en tout cas été de raconter ce film à hauteur d'enfant, à travers les yeux d'Amy. On ressent ce qu'elle ressent, on voit ce qu'elle voit.

Toujours expliquer

Avant toute action, on a beaucoup débattu avec les filles, avec leurs parents. Il y avait même une psychologue présent pendant toute la durée du tournage. Je leur ai expliqué ma démarche, j'ai évoqué avec elles mon enquête et j'ai toujours été très cash. Je leur ai parlé sans tabou. Il fallait créer un vrai dialogue afin qu'elles comprennent les raisons pour lesquelles on a fait ce film. Je voulais les impliquer, les engager, qu'elles prennent part à mon élan.

C'est un film profondément féministe. Toutefois, il était important pour moi d'éviter le spot de prévention, d'être dans la position de celle qui juge, d'être extérieure à l'histoire.

Je ne souhaite surtout pas qu'on juge mes héroïnes mais qu'on les comprenne.

In fine, Mignonnes vient de l'urgence de faire bouger les lignes. Il convient de donner les bons outils aux petites filles afin qu'elles se construisent mieux et que les parents communiquent davantage avec leur enfants pour les accompagner.