Rubaiyat Hossain défend les travailleuses du textile avec MADE IN BANGLADESH

Dans "Made in Bangladesh", en salles le 4 décembre, Rubaiyat Hossain raconte les conditions de vie difficiles des travailleuses du textile au Bangladesh. Son héroïne, Shimu, est inspirée d'une véritable ouvrière, laquelle s'est battue pour monter un syndicat avec ses collègues. Pour le Journal des Femmes, la cinéaste revient sur trois aspects de son travail.

Rubaiyat Hossain défend les travailleuses du textile avec MADE IN BANGLADESH
© DR

Made in Bangladesh : dénoncer un système carnassier

Les travailleuses du textile sont souvent considérées comme de simples chiffres. Elles charbonnent pour des entreprises auxquelles elles n'ont jamais affaire, pour des boss qu'elles ne voient pas. Elles sont déconnectées. Beaucoup meurent en raison de conditions de travail atroces. Elles n'ont pas de visages, de voix. J'avais donc envie de parler d'elles. J'ai fait deux ans de recherches pour étayer mon projet. Ces femmes veulent vraiment changer le système en se battant contre le capitalisme, le patriarcat, en trouvant leur identité dans un espace violent qui les dépossède.

Cette industrie du textile a commencé en 1960. Les Européens et les Américains sont d'abord allés à Taiwan et en Amérique du sud pour trouver de la main d'œuvre bon marché. Quand les économies de ces pays ont grandi, ils se sont orientés dans les années 90 là où c'était moins cher pour produire des habits avec un max de marge. Le Bangladesh était un super endroit pour y exploiter les travailleurs.

Daliya Akter, qui a inspiré mon film par son combat syndical, a accepté de m'aider. Son courage, son intelligence et sa conscience féministe sont exceptionnels. Les femmes auxquelles je dédie ce film travaillent dur depuis leur enfance, soit dans des usines, soit dans des maisons, sans encadrement, sans système de santé adapté. Elles veulent s'émanciper par le travail mais en le pratiquant dans des dispositions vivables, viables. Elles sont heureuses d'aller à l'usine, elles y arborent d'ailleurs des vêtements colorés, portent des tiares, des bijoux… Elles sont pleines d'espoir.

Made in Bangladesh : Respecter leur intimité

Quand je pensais au film, avant de le tourner, j'avais dans la tête des images de l'usine. Elles se présentaient à moi avec un contraste entre les couleurs des vêtements –à l'image de la peinture Rickshaw–, du dehors et une obscurité, une noirceur dans le propos. Je voulais un beau travail sur l'image. Pour chacun de mes films, il y a des inspirations revendiquées. Ici, j'ai notamment regardé Rosetta des frères Dardenne, Norma Rae de Martin Ritt et aussi Nothing but a Man de Michael Roemer (le film préféré de Malcolm X, nldr)… Je voulais que Made in Bangladesh revête justement ce réalisme social que j'aime dans les œuvres précitées.  

Rikita Shimu et l'ensemble du casting de "Made in Bangladesh". © Pyramide Dsitribution

Avec Sabine Lancelin, ma chef-op, on a beaucoup échangé sur la manière de positionner la caméra. Mon souhait premier était de donner aux personnages une intimité. Le cinéma, comme vous le savez, est une expérience voyeuriste : le spectateur veut tout voir de leur vie. Moi, je voulais au contraire les protéger, contrairement à Rosetta où on est très collés à l'héroïne. Je voulais de la distance, des plans davantage statiques, pas trop d'angles différents, afin de suivre ces ouvrières au boulot ou quand elles se déplacent dans la ville.

Le son a été important. On n'a utilisé que des sons enregistrés sur le plateau pour faire sentir le bruit, la circulation, la foule… Elisha Albert, l'ingénieure du son, est Française. Au départ, j'étais inquiète pour elle, c'était sa première fois au Bangladesh, à 27 ans. Elle a fait un travail fou et je l'en remercie. Il n'y avait d'ailleurs quasiment que des femmes sur mon plateau… Made in Bangladesh est un film sur les femmes fait par des femmes.

Made in Bangladesh: Bien choisir ses actrices

Il y a beaucoup de véritables travailleuses dans mon film mais les actrices principales –Rikita Shimu, Novera Rahman, Deepanita Martin, etc…– sont toutes des professionnelles, dont certaines ont un background théâtral. Pour les trouver, j'ai mené des auditions intenses : j'ai reçu à la base des centaines de photos. Rikita Shimu figurait déjà au casting de mon précédent film : Under Construction.

La pièce maîtresse, c'était Daliya qui nous a aidées de sa présence. Elle venait au bureau de production tous les jours, avant le premier clap, pour enseigner la couture aux actrices. Elle venait aussi aux répétitions, elle assistait à certaines scènes pour lesquelles elle était vraiment consultante, elle nous donnait son avis.

Avec mes actrices, je communique beaucoup. Je leur ai également donné des choses à lire, des films à voir, on a fait de la méditation ensemble… Elles ont passé du temps avec des travailleuses, elles les ont observées et ont pratiqué la couture jusqu'à ce qu'elles se sentent totalement dedans. Pour elles, c'est devenu un challenge de transformer cet essai et diffuser le message d'émancipation des femmes qu'exhale Made in Bangladesh. Elles étaient tellement prêtes que, sur le plateau, le jour J, on pouvait tranquillement improvisé des choses.          

"Made in Bangladesh // VOST"