Quand Sarah Suco nous ouvre la porte secrète des EBLOUIS

En salles le 20 novembre, "Les Éblouis" est le premier long-métrage en tant que réalisatrice de la comédienne Sarah Suco, 35 ans. Elle y fictionnalise, à travers l'enfermement dans une secte religieuse d'une adolescente de 12 ans, son propre vécu au sein d'une communauté charismatique. Pour le Journal des Femmes, elle revient sur quelques aspects de ce projet.

Quand Sarah Suco nous ouvre la porte secrète des EBLOUIS
© NIVIERE/SIPA

Raconter l'histoire

J'ai vécu dans une communauté charismatique de 8 à 18 ans. C'était un mélange de bons souvenirs et de choses très dures. Nous composions une fratrie très soudée. Le film correspond à 5 ou 10% de la réalité. Je voulais en tout cas raconter cette histoire parce que je l'avais là, dans le ventre. Je suis arrivée à Paris à 20 ans, j'ai galéré, je suis devenue serveuse, j'ai fait le conservatoire du 9e arrondissement, j'ai rencontré des amis, des directeurs de casting, j'ai fait le Laboratoire de l'Acteur chez Pierre Palmade. Et là, il s'est passé quelque chose. Il m'a demandé d'écrire des sketchs et je lui ai dit que j'en étais incapable, que je ne savais pas faire. Il a lâché : 'Mais Sarah, écrire, c'est s'y mettre'. Cette phrase a eu un sens profond dans ma vie.

Plus tard, à la sortie d'une pièce dans laquelle je jouais, un homme est venu vers moi et m'a dit (elle imite son accent) 'Bonjour je suis Dominique Besnehard et je vous adore'. Il voulait que j'écrive pour la série Dix pour cent. A la place, je lui ai parlé des Eblouis. J'avais 33 ans à ce moment, l'âge du Christ. Je lui ai évoqué mon passé dans une communauté religieuse sectaire. J'ai d'ailleurs mis 10 à 15 ans pour parler de secte. Car je n'avais pas le recul pour comprendre ce que j'avais vécu. Je lui ai pitché le film que je voulais faire. Et il m'a dit qu'on le ferait. Le tournage a été merveilleux, joyeux, et s'est fait dans une énergie commune. Depuis, on se revoit tous et on boit des coups tout le temps, on est des pochtrons.

Souvenirs de ce pan de vie

Les souvenirs que j'ai de ces moments de ma vie sont joyeux. L'entrée a été joyeuse, comme je le montre dans le film. J'étais avec mes frères et sœurs. J'avais huit ans. Vous êtes dans une cour paroissiale, autour d'une église. Vous jouez. Je n'étais même pas catholique, j'étais à peine baptisée. Je ne connaissais pas tout ce qui était autour de moi. Nous étions avec des gamins. J'ai rencontré des bonnes sœurs adorables. Il y en avait une avec un voile super long que j'aimerai pour la vie. C'est Marie-Bernadette, une femme géniale, qui avait beaucoup d'eczéma. Elle pensait que le Saint-Esprit pouvait la guérir ; elle aurait dû prendre beaucoup de cortisone. On jouait avec elle au chat perché. On devait leur arracher le voile.

Le jour de Pâques, c'était mon anniversaire. Je ne pouvais jamais le fêter parce qu'on devait dire: "Le Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité". Je disais à tout le monde que c'était mon anniversaire mais il fallait répéter cette phrase. Dans le film, Camille trouve ça sympa au début, ces notions de charité, de solidarité, de vivre-ensemble, ces choses ancestrales. Il fallait qu'on ressente tout ça sans condamnation directe. Et puis survient ce conflit de loyauté d'une fille qui voit ses parents redevenir des enfants et qui est forcée à être une jeune adulte avant l'heure. Au fil de l'intrigue, elle devient presque la mère de ses frères et sœurs.

On pense que tout ça n'existe qu'aux États-Unis. Les Eblouis est le premier film en France sur les dérives sectaires. Ici, on pense que les sectes, c'est le temple solaire, la scientologie, les gens qui s'immolent sur une montagne… Peu de gens connaissent l'univers que j'aborde, mes acteurs inclus. Il y a un documentaire que je vous invite à voir sur la question : Les Béatitudes, une secte aux portes du Vatican. C'est sur Youtube. C'est formidable car on en voit les mécanismes. On ne tombe pas dans une secte, on y rentre de son plein gré. Mes parents étaient des gens brillants à l'instar des personnages incarnés par Camille Cottin et Eric Caravaca. C'est un faisceau, une convergence de plein de raisons humaines qui font que ça arrive. On rentre dedans, on est bien. Et on ne voit pas venir la dérive.

Tempête de sentiments

Quand je me suis enfin lancée dans ce projet, j'ai été saisie par une tempête de sentiments : la peur, l'angoisse, la terreur, l'excitation… Mon but était d'éviter d'en faire un film d'horreur ou un documentaire sur ma vie : ça aurait été du voyeurisme. Je voulais écouter mon cœur. J'avais envie d'être bien entourée et je l'ai été. A commencer par Nicolas Silhol, scénariste de formation, qui m'a témoigné une confiance absolue. Il voulait vraiment m'aider à écrire l'histoire que je désirais raconter pour aboutir à un film populaire et exigeant. On a écrit ensemble pendant 4 ans.

A la mise en scène, j'ai adopté le point de vue exclusif de Camille, l'héroïne de 12 ans. Je me suis battue pour ça. Je ne voulais pas regarder les choses avec celui des parents qui entrent dans la secte : on aurait été dans le jugement. Ou par celui du leader religieux incarné par Jean-Pierre Darroussin : on aurait été dans l'accusation. Du point de vue de la jeune fille, le spectateur entre dans le film avec elle et vit ses impressions. C'est ce qui rend le projet universel.

Le personnage de Camille Lourmel, qui est mon alter ego d'une certaine manière, se bat, elle est lumineuse. Sous ses traits, j'ai eu la chance de trouver Céleste Brunnquell. Elle avait 15 ans et des scènes difficiles à jouer. Je ne voulais surtout pas que ça l’abîme. Elle a eu la force, la gentillesse, la douceur et l'intelligence de me donner ce que je voulais. Elle a en elle le même combat que moi : aller contre, ne pas se laisser emporter…

"Les éblouis // VF"