Xavier Dolan : "On se sent plus complet quand on embrasse"
"Matthias & Maxime", le magnifique nouveau film de Xavier Dolan, est disponible en VOD. Nous avons rencontré le maestro québécois pour un entretien aussi sincère et sensible que son huitième opus.
A 30 ans, Xavier Dolan peut regarder dans le rétroviseur avec fierté. Depuis J'ai tué ma Mère, son premier film sorti il y a dix ans, il s'est imposé comme un grand nom du cinéma mondial avec des oeuvres comme Laurence Anyways (Queer Palm en 2012), Mommy (Prix du Jury à Cannes en 2014) ou Juste la Fin du Monde (Grand Prix à Cannes en 2016).
Après sa brillante parenthèse hollywoodienne -Ma Vie avec John F. Donovan, sorti plus tôt cette année-, le cinéaste repose ses valises au Québec avec Matthias & Maxime, un film criant de sincérité, disponible en VOD, dans lequel il filme le groupe, les potes et immortalise une histoire d'amitié mâtinée d'amour entre son personnage, Maxime, et celui de Matthias, incarné par Gabriel d'Almeida Freitas. Pour Le Journal des Femmes, il revient sur ce projet tout en intimité et en sensibilité. Rencontre.
On sent que Matthias & Maxime est un retour aux sources après votre expérience américaine sur Ma Vie avec John F. Donovan, Ce projet est-il d'abord pour vous ?
Xavier Dolan : Je ne sais pas qui réalise des films pour les autres. Je les ai toujours faits pour moi et pour une dizaine de personnes que je veux impressionner, avec qui j'aime échanger sur mon travail, avec qui j'ai envie de grandir. Matthias & Maxime est né du désir de travailler avec mes amis, de leur communiquer ma gratitude, mon affection. J'avais ce souhait de parler d'amitié, d'amour, et de le faire à la maison, au Québec. Dans Ma Vie avec John F. Donovan, j'évoque les idoles de mon enfance, mon admiration pour les stars et mon désir de devenir acteur. C'est un film complètement central dans ma vie et dans mon intimité. Sur Matthias & Maxime, je voulais une expérience heureuse, sans surprise négative, sans inconnu, avec tout de même une prise de risque qui me ferait sentir libre.
Maxime s'apprête à changer, à partir en Australie, avez-vous déjà eu envie de quitter le Québec ?
Xavier Dolan : Oui, pour aller en Scandinavie... Je pense souvent à changer de métier, devenir designer d'intérieur ou de vêtements, écrire des nouvelles, des contes pour les enfants… Il y a plein de choses qui m'intéressent. Mais aujourd'hui, je pense que le cinéma est le média qui me stimule le plus et me fait sentir le plus entier. Il me permet de canaliser les remises en question.
"Je suis amoureux de mes amis, je l'ai toujours été"
Matthias & Maxime pourrait être un premier film, une renaissance, aussi... J'espère que cette remarque ne vous blesse pas…
Xavier Dolan : Non, au contraire ! C'est un compliment. Je me demande si je vais retrouver un jour ce que les gens ont apprécié de mon premier film. En fait, je crois que ce qu'ils ont tant aimé, c'est qu'on ne se connaissait pas. Il ne savait rien de moi. Donc ça n'arrivera plus jamais car on se connait maintenant.
Le succès vous a-t-il éloigné de vos amis ?
Xavier Dolan : Je me suis toujours occupé d'eux. J'ai été un ami présent. Je suis dévoué en amitié. Je suis amoureux de mes amis, je l'ai toujours été, je les aime d'un amour romantique. Matthias & Maxime existe aussi parce que je ne connaissais pas cette expérience du cercle, de la bande. Avant, je voyais mes amis un à un. Je me sentais assez seul au début de ma vingtaine. A 27 ans, j'ai pu expérimenter l'amitié à plusieurs. Ma bande d'amis est l'endroit où je me sens le plus en sécurité au monde.
Etes-vous séducteur en amitié ?
Xavier Dolan : (Longue réflexion) Je pense que oui. J'aime me faire de nouveaux amis. Cela dit, je pense que je suis beaucoup plus séducteur avec une personne pour qui j'ai une considération d'ordre plus physique, quelqu'un que je désire… Je suis plus timide en amitié qu'en amour et en drague. Je vous dis ça mais, en fait, aller vers les gens de mon goût peut aussi m'être très compliqué. Draguer officiellement quelqu'un me demande un courage que je n'ai pas toujours.
La célébrité vous rend-elle plus prudent dans vos approches ?
Xavier Dolan : Oui. C'est terrible… C'est biaisé d'office. Je gravite dans un milieu où les gens font directement ou indirectement partie de l'industrie du cinéma. J'ai peur des lieux publics, des gens, du monde, des foules... Je reste dans un environnement que je connais, je vais dans des lieux familiers, des restos et des bars où j'ai l'habitude de me rendre avec mes amis. Et, de temps en temps, se présente une personne que je n'ai jamais rencontrée. Là, je développe un intérêt pour elle et, souvent, cette personne est complètement inaccessible ou pas intéressée par moi. Je pense que je suis attiré par des gens… (il s'arrête) Je ne sais pas…
C'est la première fois que vous filmez l'amitié. Vous êtes-vous demandé comment procéder pour l'incarner au mieux ?
Xavier Dolan : Oui, bien sûr. On s'est posé la question avec mon chef-opérateur et mon cadreur. Je voulais qu'on ait constamment quelqu'un en amorce, qu'on sente toujours l'épaule d'une, deux, trois personnes devant le sujet qu'on filme et qu'on constate aussi la présence des autres à côté, juste derrière… Il fallait que le sentiment de collectivité soit inévitable, inexorable, et que les personnages ne puissent pas échapper aux autres, au groupe. Quand on est entre amis, tout se sait, on n'a plus de discrétion, d'intimité… On ne fait plus qu'un.
"Ce qui m'agresse, c'est la supériorité déclarée des gens qui pensent vivre une vie normale"
Au début du film, Maxime regarde une affiche publicitaire prônant le modèle d'une famille hétéro-normée. Est-ce une vision qui vous agresse ?
Xavier Dolan : Ce qui m'agresse, c'est la supériorité déclarée des gens qui pensent vivre une vie normale. La façon dont on oppose cette normalité à la marge, c'est là qu'est l'agression. On a tous les mêmes droits et il ne peut pas en être autrement. Au lieu de s'élever spirituellement à travers leur foi, beaucoup de gens essaient d'ostraciser les autres, leur disent comment se comporter, ce qu'ils ont le droit de faire ou pas, qu'une femme a le droit d'avorter ou non, qu'un homme a le droit d'épouser un autre homme ou non… Pour moi, c'est inouï d'utiliser la foi et le prétexte de la normalité ou de la légitimité comme une excuse à la violence et au rejet des autres.
Le baiser entre Matthias et Maxime est primordial. Avez-vous apporté un soin particulier à cet instant fatidique ?
Xavier Dolan : Ce moment n'a finalement aucune importance, on s'en fout. Le film existe véritablement à travers la façon dont ils vont le repenser… Ça les hante, ça les consume… Le sujet, ce n'est pas le malaise quand on s'embrasse mais le malaise d'y repenser constamment. En cachant le baiser, l'idée était de créer un manque chez le spectateur, qui sera dans l'attente de quelque chose qui se trame, qui arrivera... Cela construit la tension.
Un baiser définit-il quelqu'un ?
Xavier Dolan : Non, mais il peut redéfinir certaines notions qu'on a par rapport à soi. Quand on est au contact de l'autre, on apprend à se connaître davantage. On se sent plus complet quand on embrasse… De toute évidence, ça révèle aux personnages une part d'eux-mêmes inexplorée, inédite, et c'est ce qui les confond. Ils se connaissent depuis 25 ans, ils en ont 30. Comme des frères, ils sont extrêmement complices. Et, du jour au lendemain, il se peut qu'ils éprouvent une forme d'amour : ça les bouleverse.
Maxime, que vous incarnez, a une tâche de vin sur le visage. Vous, Xavier Dolan, quel est le signe distinctif qui modifie votre rapport aux autres ?
Xavier Dolan : C'est quelque chose que tout le monde peut voir… Ma taille –en terme de hauteur, je veux dire– est le complexe de ma vie. J'aurais juste voulu faire 2 ou 3 pouces de plus. Pour moi, c'est un manque. Ces trois pouces me manquent. Ces dix dernières années, je les ai cherchés et j'ai fait des films pour me sentir plus grand.