Edouard Bergeon : "AU NOM DE LA TERRE est un hommage et un cri"
Pour son premier film, "Au Nom de la Terre", en salles le 25 septembre, Edouard Bergeon livre un récit autobiographique où il témoigne des difficultés du monde agricole en offrant à Guillaume Canet les traits de son défunt père. Édifiant et touchant.
En 2013, avec le documentaire Les Fils de la Terre, Edouard Bergeon racontait les conditions de vie difficiles des agriculteurs français. Il y évoquait aussi son père, Christian, décédé le 29 mars 1999 après avoir ingéré des pesticides. Six ans plus tard, voilà que cet ex journaliste autodidacte passe à la vitesse supérieure en adaptant son récit sous la forme d'un (premier) long métrage.
Au Nom de la Terre relate, par le menu, la descente aux enfers d'un agriculteur –portrait de son propre papa– qui lutte, auprès des siens, pour sa propre survie.
Dans le rôle principal, Guillaume Canet surprend et séduit par la foi qu'il porte au projet. Au cœur d'un beau jardin du 9e arrondissement, Edouard Bergeon plaisante avec son comédien principal, lui adresse une accolade et nous rejoint, sourire aux lèvres, bonne humeur chevillée au corps. Pour Le Journal des Femmes, il revient sur trois facettes de ce drame.
Au Nom de la Terre : un récit personnel
J'étais prêt pour ce film. Ça fait 20 ans que mon père est parti. En 2011, quand j'ai fait Les Fils de la Terre, j'ai pris cher car j'y racontais déjà son histoire. J'ai sorti les photos de famille, c'était douloureux. Il faut dire que j'avais 29 ans : c'est assez jeune pour revenir sur sa propre histoire dramatique. A 30 ans, j'étouffais littéralement. J'ai tout plaqué pour me reconstruire longuement. Et, quelque part, Au Nom de la Terre est venu me sauver de tout ça. Quand le producteur Christophe Rossignon m'a appelé pour me dire que mon docu l'avait remué, j'étais très ému. On s'est raconté nos histoires, car lui aussi vient du milieu agricole. C'est ainsi qu'est née l'envie de faire le film.
Si ça a été dur d'écrire au départ, j'ai fini par prendre du plaisir aux côtés de mes co-scénaristes. Le bonheur a continué jusqu'au choix des comédiens et jusqu'au dernier jour de tournage. In fine, ce projet passe par la transmission. J'ai trouvé un producteur génial et un grand frère en Canet. Tous ceux qui ont été autour de moi étaient à fond. Il y avait un vrai compagnonnage et un plaisir d'être ensemble malgré la dureté des faits évoqués. Je suis heureux de redonner une voix à mon père –ma mère aussi– et à cette souffrance qu'il a connue et que les agriculteurs connaissent encore aujourd'hui. C'est à la fois une responsabilité, un hommage et un cri. Les agriculteurs me remercient à l'issue des premières projections, parce qu'ils y reconnaissent leur vie, et m'assimilent à un ambassadeur.
Guillaume Canet, un acteur investi
Guillaume Canet a été bouleversé par cette histoire. Il a d'ailleurs l'âge de mon père. Il n'est pas là par hasard. Son investissement était total, jusqu'à ses gestes, plus vrais que nature. Tenez : il fait une tournée de 40 villes avec moi, pour accompagner le film. C'est dingue ! Il a un lien fort à la terre, il est hyper entier, c'est un bosseur incroyable, un mec exigeant. Il s'est transformé pour ce rôle, il l'a vécu dans ses tripes. Ça n'aurait pas pu être quelqu'un d'autre que lui. Et je ne dis pas ça à cause des scènes de cheval, qui étaient déjà écrites. Les agriculteurs sont heureux qu'un tel acteur, crédible et populaire, les représente… Ils en sont fiers.
Ce film est une ode à la terre, même dans la réalisation, qui fait l'éloge de la lenteur, avec les tableaux des saisons qui passent. Une terre qui était là avant nous et qui le sera après, qui nous nourrit. Une madeleine de Proust, riche de tous ces beaux moments qu'on peut vivre à la campagne, les premiers émois, les petits riens qui font le sel de cette vie-là. (…) J'ai la valeur travail en moi grâce à mon père. Je suis autodidacte. J'ai toujours eu dans mon ADN cette envie dévorante de raconter les sujets de société. Mettre en scène est une vocation que je découvre. J'ai adapté ma manière de filmer au récit avec une caméra à l'épaule qui n'arrive qu'à la fin pour enserrer le personnage, suggérer la claustrophobie qui le maltraite au fur et à mesure de sa descente dépressive.
Une dénonciation forte
On vit une financiarisation de l'agriculture. Les coopératives subissent les diktats des marchés. Derrière, ça se répercute sur les paysans. Et les consommateurs sont complices de ce désastre qui tue l'agriculture, la santé publique et l'aménagement du territoire. Pourquoi ? Parce qu'ils ne veulent rien payer. Un état qui abandonne son territoire perd de sa souveraineté, disait Pierre Mendès France.
Les politiques doivent réguler notre autosuffisance alimentaire, maintenir sur le territoire les paysans et contrôler notre santé publique. C'est important ! Si on sacrifie notre agriculture, on dépendra des autres. Il ne faut surtout pas ratifier le Mercosur par exemple. On doit consommer différemment, de saison, plus local, sans forcément prôner le bio. Il convient aussi de refaire du lien avec les agriculteurs, d'aller dans les magasins fermiers, de prendre le temps de mieux s'alimenter, de s'éduquer…
Le problème des agriculteurs, ce sont les dettes. On les a poussés à investir… Ils produisent souvent à perte. Ils vivent entre le ciel et la terre. Ils sont vulnérables à la météo. On ne sait jamais s'il y aura un orage, de la grêle, une sécheresse, des crises sanitaires, des maladies…
Et puis n'oublions pas l'héritage familial et le poids du jugement de la famille, surtout en décalage de générations. Sans parler du regard du consommateur -qui les considère souvent comme des pollueurs alors qu'ils sont les premiers empoisonnés par la chimie- ou des accidents comme les incendies. Avec 15h de travail par jour, pas de vacances, un isolement, un épuisement moral et physique, ce n'est pas rose.