Judith Chemla : "Sur le tournage de LUNE DE MIEL, on a ri et pleuré"

Dans "Lune de Miel" d'Elise Otzenberger, en salles le 12 juin, Judith Chemla incarne une jeune maman qui entreprend, avec son mari (Arthur Igual), un voyage en Pologne sur les traces de son histoire juive. Un rôle qu'elle campe avec émotion et humour.

Judith Chemla : "Sur le tournage de LUNE DE MIEL, on a ri et pleuré"
© Jean Michel Nossant/SIPA

Hors des paillettes, avec rigueur et liberté, Judith Chemla tisse une carrière artistique particulièrement intéressante. A 35 ans, l'ancienne pensionnaire de la Comédie Française a déjà tourné avec Bertrand Tavernier (La Princesse de Montpensier), Pierre Salvadori (De Vrais Mensonges), Noémie Lvovsky (Camille Redouble), André Téchiné (L'Homme qu'on aimait Trop) ou la paire Eric Tolédano/Olivier Nakache (Le Sens de la Fête). Cette année, elle se distingue dans Lune de Miel, le premier film très personnel d'Elise Otzenberger, dans lequel elle se glisse sous les traits d'une femme qui, après la naissance de son premier enfant, part en Pologne avec son mari. Objet du voyage ? La commémoration du 75ème anniversaire de la destruction de la communauté du village de naissance de ce dernier. Le Journal des Femmes est allé à sa rencontre pour un entretien sur cette expérience marquante.  

Lune de Miel est un film intime pour Elise Otzenberger. Comment vous a-t-elle amenée vers elle, vers ce projet ?
Judith Chemla :
J'ai adoré le scénario. En le lisant dans le train, je riais toute seule. J'ai été surprise et piquée par la singularité du rapport de couple, par la franchise des dialogues. J'ai ensuite compris à quel point c'était profond pour Elise de raconter cette histoire. Sur le tournage, on s'est pris sur la figure la vague de l'Histoire et de la tragédie. Il y a une rencontre émotionnelle insoupçonnable avec le passé. Ce choc est très important. On en a besoin pour mesurer combien nos comportements dans la vie quotidienne sont déterminants.

Judith Chemla dans "Lune de Miel". © Le Pacte

Il y a l'idée de transmission dans ce film. Anna, votre personnage, va en Pologne pour mieux se comprendre et se raconter à son fils. Jusqu'où peut-on aller avec un enfant quand il est question d'expliquer les horreurs de l'Histoire ?
Judith Chemla :
Je ne suis pas spécialiste. Il y a des gens qui font ça très bien, qui y réfléchissent, comme par exemple l'association L'enfant et la Shoah. D'un point de vue personnel, je dis les choses aux enfants. En plus, j'ai un fils de huit ans qui est passionné par l'Histoire et qui veut tout savoir, jusqu'aux détails. Plus généralement, c'est à chacun de jauger jusqu'où aller suivant l'enfant qu'il a en face. S'il est en demande, je crois qu'il faut expliquer.

Pour vous, la maternité c'est une affaire de transmission du passé ?
Judith Chemla :
Pas forcément. Si Anna a cette nécessité là, c'est qu'il y a un blackout quelque part, une tragédie en creux. Elle veut donc y voir clair pour se dire qu'elle est en paix avec son histoire et pouvoir la transmettre. La transmission n'est possible que s'il y a de la clarté avec soi-même. C'est ainsi qu'on offre des choses lumineuses.

"Le stéréotype qui a conduit à un massacre est toujours d'actualité."

Qu'est-ce qui vous a touchée chez Anna ?
Judith Chemla :
Sa fantaisie. On peut lui reprocher d'être hystérique, excessive. Mais, justement, j'adore les personnages comme ça, qui vont dans l'excès. Pour un acteur, il y a rien de mieux que toutes ces couleurs différentes. Je la comprends à plein d'endroits : dans ses obsessions, sa grande détermination, sa soif de savoir, sa force de vie, son humour… Il y a aussi cette facilité qu'elle a d'aller dans les crises et de s'en remettre super vite. Je partage son jusqu'au-boutisme. Comme elle, j'aime explorer, défendre ma liberté, démêler les fils de ma vie, ceux qui me retiennent, m'empêchent…

Anna veut comprendre aussi les racines de sa judéité… Cela vous interpelle ?
Judith Chemla :
Evidemment, je me sens des liens, même s'ils sont lointains. Ma mère est catholique, mon père est d'origine juive. Moi personnellement, je n'ai pas eu accès à la tradition juive par mon grand-père… Ce dernier n'a pas baigné là-dedans. En quittant Tunis pour la France, il s'en est éloigné et a épousé une catholique sicilienne. Il y a en tout cas des trésors dans cette tradition que je découvre avec les films, lesquels m'aident à approfondir mes connaissances.

Judith Chemla et Brigitte Roüan dans "Lune de Miel". © Le Pacte

Comment était-ce de se retrouver en Pologne, sur des lieux qui ont été le théâtre de sordides tueries ?
Judith Chemla :
Je n'étais jamais allée en Pologne. Et je ne me suis pas rendue à Auschwitz. J'aurais pu mais j'avais un petit bébé de cinq mois et je ne voulais pas prendre ces énergies là. On ressent beaucoup de choses sur place. Partout, il y a eu des massacres. La terre est lourdement chargée. Tout comme les humains qui, les pauvres, ont aussi vécu le communisme qui a tout cadenassé. Parfois on voit des êtres glaçants, très fermés.

Il y a aussi ce mercantilisme de ceux qui exploitent le souvenir à des fins économiques… Est-ce que ça vous a choquée ?
Judith Chemla :
Oui ! C'est très malaisant et bizarre à vivre. On est saisis. Je suis encore aujourd'hui sidérée. Il y a des aimants pour frigo à vendre avec des caricatures de Juifs à gros nez et des caisses d'or. Le stéréotype qui a conduit à un massacre est toujours d'actualité. C'est atroce. Les gens qui vendent ça ne sont pas forcément antisémites mais c'est comme si ça faisait partie du folklore, comme si le travail de mémoire n'était pas suffisant. Pour eux, c'est une façon de faire vivre l'histoire alors qu'ils font du préjugé antisémite. Dans certains restaurants, il y a même des panneaux où on peut mettre nos visages sur les corps d'hommes à papillotes…

Le film montre également très bien l'attente. Et l'absence de ce qu'on est venu chercher…
Judith Chemla :
Au bout du compte, on ne peut pas tout savoir sur notre passé. Chercher, faire la démarche et éprouver, c'est important. Anna et sa mère peuvent enfin parler de ce sujet, de l'absence, et c'est le voyage qui le permet. La puissance de la parole et de l'imaginaire redonnent sens et vie au passé, ça bouleverse. C'était un beau tournage où on a ri et pleuré.

Quelle est la plus grande quête de votre vie ?
Judith Chemla :
Comment le dire sans de gros sabots ? (Réflexion) De faire les choses que je n'imagine pas encore faire… Laisser mon imagination fleurir… Plus on laisse pousser les branches de son esprit, de son imagination, mieux on comprend qui on est. L'écriture est capitale pour ça. On s'ouvre des portes, on invente qui on est.

"Lune de miel // VM"