Monia Chokri : "En France, je me suis pris des claques"

Monia Chokri irradie dans "On Ment Toujours à Ceux Qu'on Aime", au côté de Jérémie Elkaïm. Le long-métrage de Sandrine Dumas, en salles, relate le parcours sinueux vers la vérité qu'entreprend Jewell, menteuse compulsive. Un rôle aux antipodes de la personnalité de la comédienne de 35 ans. Rencontre.

Monia Chokri : "En France, je me suis pris des claques"
© Dean Medias

Dans On Ment Toujours à Ceux Qu'on Aime, de Sandrine Dumas, Monia Chokri endosse le lourd costume de Jewell, menteuse compulsive, qui fait croire à sa famille qu'elle a réussi sa vie professionnelle et amoureuse. En réalité, la jeune femme a sabordé sa carrière dans la musique et a laissé échapper l'amour de sa vie, campé par Jérémie Elkaïm. Contrairement à son personnage qui se tient courbée, marche de façon saccadée presque incontrôlée, et semble porter le poids du monde sur ses épaules, l'actrice de 35 ans éblouit par son élégance, sa démarche chaloupée et un port de tête presque altier. Apprêtée, souriante et affable, Monia Chokri capture la lumière comme elle captive la caméra. Après ses prestations remarquées dans Les Amours Imaginaires et Laurence Anyways, cette native du Québec est en passe de conquérir le public français et... a plusieurs cordes à son arc. En 2013, la comédienne a scénarisé et réalisé son premier court-métrage Quelqu'un d'extraordinaire, vivement acclamé par le monde du septième art, et est en train de préparer son prochain film. Rencontre avec une actrice polyvalente.

Le Journal des Femmes : Qu'est-ce qui vous a convaincue d'interpréter Jewell dans On Ment Toujours à Ceux Qu'on Aime ?
Monia Chokri : J'ai tout de suite eu un bon feeling avec Sandrine Dumas, la réalisatrice. Avant de jouer dans un film,  j'accorde une importance capitale à ma rencontre avec le réalisateur. D'ailleurs, elle m'a trouvée en feuilletant un magazine, en tombant, par hasard, sur ma photo. Elle a immédiatement pensé à moi interpréter Jewell. J'ai senti que ce personnage était riche et que j'avais beaucoup de liberté. Cette manière de se voir, de boire, de marcher dans la rue, de manger : tout cela n'est pas écrit dans le scénario.

Dans sa façon de se comporter, Jewell n'est pas encore une adulte, mais pas non plus une adolescente...
Monia Chokri : Elle agit encore comme une enfant, ne réfléchit pas aux conséquences de ses actes et édulcore la réalité. Elle ment pour égayer la réalité, se démerder et se protéger, car Jewell a peur de la réalité. Elle ne se trouve pas assez bien pour dire la vérité.  De plus, elle vit au jour le jour et ne fonctionne qu'à l'instinct, donc forcément, elle ne construit rien. Jewell ne veut rien tenter par peur d'être déçue, de l'échec.

Le fait de ne pas vouloir affronter la réalité : est-ce un trait de caractère dans lequel vous vous reconnaissez ?
Monia Chokri : Absolument pas. C'est drôle, en France, les acteurs jouent des rôles qui sont presque leur alter ego. Ils sont en général très proches de leurs personnages. Personnellement, je viens d'une éducation américaine du jeu, donc la plupart du temps, je me transforme dans les films. C'est vrai qu'il y a toujours une partie de soi dans les personnages que l'on interprète. En l'occurrence, il s'agit du côté joueur et enfantin de Jewell, mais c'est notre seul point commun. Autrement, je suis son opposé : je prévois, je suis très responsable, je ne prends jamais de décisions spontanément, et je n'envoie pas tout balader.

"On donne trop d'importance à la vérité"

Préférez-vous camper des personnages qui ne vous ressemblent pas ?
Monia Chokri :
Expérimenter ce genre de sensations peu habituelles est libérateur dans le contexte de la fiction, puisqu'il n'y a aucune conséquence. Dans le cas de Jewell, devoir incarner cette anxiété qui ne la quitte pas fut assez éprouvant. Elle est sans cesse angoissée, donc elle le noie dans l'alcool, dans plus de mensonges…

Comment vous êtes-vous préparée à ce rôle si éloigné de votre personnalité ?
Monia Chokri : J'ai beaucoup travaillé sur le côté physique. Je ne crois pas trop au jeu psychologique. Les émotions viennent par la physicalité. Je me suis demandée : comment mange-t-elle ? comment marche-t-elle ? Il fallait parler différemment. Avant de faire un geste, je réfléchissais. Elle ne se tient pas droite, ne mange pas "correctement", etc. C'était comme une chorégraphie, sauf que je ne suis pas danseuse (rires).

Est-ce important de dire la vérité, même si elle fait mal ?
Monia Chokri : Non, je pense que l'on donne trop d'importance à la sacro-sainte vérité. Dans cette espèce de nouvelle ère d'ego surdimensionné, on incite les gens à toujours dire ce qu'ils pensent, comme si leurs opinions étaient des plus importantes. Parfois, il faut se taire. J'aime beaucoup dire ce que je pense, mais plus je vieillis, plus je me dis que ce n'est pas grave si la personne ne sait pas exactement ce que j'ai ressenti à tel instant. Si on ne me demande pas mon opinion, je ne la donne pas. Au Canada, on est très britanniques dans notre éducation et on reste silencieux. Les Français appellent cela de l'hypocrisie, pour nous, c'est de la politesse (rires). Ici, je me suis pris des claques. Les gens me disaient les choses très frontalement, sur mon physique, etc. Cela m'a blessée.  

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Monia Chokri © Dean Medias

Dans le film, on vous entend chanter. Est-ce une voie sur laquelle vous souhaitez vous engager ?
Monia Chokri : Pas du tout (rires). On m'avait déjà proposée de sortir un disque, mais de toutes les formes d'art, le chant est celui qui m'intéresse le moins. J'aime le faire dans les films, mais cela s'arrête là.

Paul a du mal à supporter les mensonges récurrents de Jewell. Qu'est-ce qui vous met hors de vous ?
Monia Chokri : Je déteste les gens qui manquent de professionnalisme, ceux qui disent qu'ils savent faire des choses alors que ce n'est pas le cas. Ce sont souvent eux qui vont pointer du doigt nos défauts dans le travail. C'est une manière de détourner l'attention de leurs propres lacunes. Je suis allergique à ça !

Seriez-vous prête à cacher tout un pan de votre vie ?
Monia Chokri : Je ne crois pas que j'y arriverai, je suis une piètre menteuses (rires). Je peux facilement mentir pour des petites conneries, mais j'ai une loyauté et une morale par rapport aux gens que j'aime.

Le fait d'avoir vécu au Canada a-t-il changé quelque chose dans votre carrière ?
Monia Chokri : Mon rapport au jeu est différent. En France il y a une pudeur, comme une peur du ridicule, alors que pour moi, le jeu appelle le lâcher-prise, c'est ce qui fait les grands acteurs. Malgré tout, j'aimerais ne plus me soucier du regard des autres, ce qui est un peu étrange pour une comédienne. Je pense que les femmes ont été éduquées pour plaire, c'est pour cela qu'elles sont moins nombreuses à réaliser des films. Lorsque l'on dirige, on prend des décisions qui nous mettent dans une position où l'on peut contrarier les autres. L'idée de ne pas plaire à tout le monde est lourd à porter pour les femmes. Ne pas avoir peur de déplaire, c'est notre plus grande bataille à mener.

Retrouvez On Ment Toujours à Ceux Qu'on Aime, de Sandrine Dumas, le 6 mars au cinéma