Jérémie Elkaïm : "Je suis très égoïste"

Jérémie Elkaïm impressionne au côté de Monia Chokri dans "On Ment Toujours à Ceux Qu'on Aime", de Sandrine Dumas, en salles le 6 mars. Une comédie mélancolique et intelligente, portée par de talentueux comédiens. Entretien avec l'acteur de 40 ans, qui a une vision particulière de son métier, de l'honnêteté et de l'avenir...

Jérémie Elkaïm : "Je suis très égoïste"
© Laurent Zabulon/ABACAPRESS.COM

Jérémie Elkaïm incarne la vérité brutale dans On Ment Toujours À Ceux Qu'on Aime, de Sandrine Dumas, en salles le 6 mars. Le film brosse le portrait de Jewell, interprétée par Monia Chokri, qui enchaîne les échecs, tant sur le plan sentimental que professionnel. Lorsque sa grand-mère américaine débarque en France pour lui rendre visite, la jeune femme met en scène une vie qui n'est pas la sienne : elle s'invente une carrière dans la musique, une vie de couple et une fille. Jérémie Elkaïm campe Paul, qui accepte de jouer le jeu du compagnon dans ce quotidien inventé de toutes pièces. Une mise en abyme savoureuse qui rappelle que la vérité nous rattrape toujours... C'est aussi ce que pense le charismatique comédien, qui n'est pas homme à mâcher ses mots. Dans les relations, Jérémie Elkaïm valorise l'honnêteté et l'authenticité. Interview. 

Le Journal des Femmes : Comment décrivez-vous Paul, votre personnage dans On Ment Toujours à Ceux Qu'on Aime ?
Jérémie Elkaïm : 
Il fait le contrepoids du personnage féminin. Il considère que, même médiocre, le réel est mieux à raconter qu'une vie inventée. La demoiselle ment pour se protéger, elle a le sentiment qu'elle pourrait ne pas être aimée à dire la vérité de sa situation, c'est-à-dire un désastre sentimental et professionnel. En réalité, si c'est raconté avec drôlerie et dérision, cette identité devient presque plus belle que celle de quelqu'un qui réussit sa vie tel que les codes de la société le réclament. J'ai une sympathie pour les anti-héros qui sont des catastrophes boiteuses. Je me sens plus proche d'eux, je sais que je suis toujours un peu à côté et je préfère l'assumer.

Jewell est elle-même uniquement avec votre personnage...
Jérémie Elkaïm :
Elle ne peut pas lui mentir, elle est obligée de le mettre dans la confidence. Cela crée l'affinité et cela instaure un lien intime. Le mensonge met de la distance dans les rapports, comme un plexiglas,

Pensez-vous que toute vérité est bonne à dire ?
Jérémie Elkaïm : 
Je me méfie de la pureté, elle engendre des choses terribles. La société a besoin d'ignorer et de se leurrer. Par contre, je ne pense pas que mentir soit une déclaration d'amour. Je peux comprendre que l'on cache une tare à celui qu'on aime, par pudeur, mais je vais rapidement considérer que l'on y trouve une petite complaisance. C'est un peu narcissique. On cherche à se renvoyer une belle image de soi en ayant le sentiment que l'on est au dessus des autres. 

Vous préférez que l'on vous dise la vérité brutale ?
Jérémie Elkaïm : 
Tout à fait. Dans le couple, je valorise l'idée de la vérité. On me trouve souvent brutal dans l'intimité. Je ne m'en excuse pas, et j'en attends autant des autres. 

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Jérémie Elkaïm et Monia Chokri dans "On Ment Toujours À Ceux Qu'on Aime" © Dean Medias

Qu'est-ce qui vous a plu dans le scénario d'On Ment Toujours à Ceux Qu'on Aime ? 
Jérémie Elkaïm : D'abord, le film m'emmène en altitude (les personnages partent dans les Pyrénées, NDLR), alors que j'ai un vertige carabiné. J'aime que mes films me déstabilisent. Je ne suis pas vraiment acteur, donc quand je lis le scénario, je le regarde avec des yeux d'enfant.

Après tous les films dans lesquels vous avez joués, vous considérez-vous comme un acteur ?
Jérémie Elkaïm : 
Je le suis de fait, mais ce n'est pas une aspiration, ce n'est pas un endroit que je valorise particulièrement. Cela a été souvent mon métier mais c'est comme si on vous sollicitait parce que vous savez faire de la comptabilité mais que pour autant vous êtes journaliste… Ce n'est pas la part la plus importante de mon existence, alors je trouve étonnant que des gens veuillent me faire jouer, même si c'est très joyeux.

Alors, quelle est votre aspiration ?
Jérémie Elkaïm : 
Être quelque part dans le cinéma, metteur en scène ou scénariste, par exemple. Le fait de jouer me convient, mais cela reste l'endroit où il y a le moins de travail. J'écris beaucoup et il m'arrive d'essayer d'en vivre (il a scénarisé plusieurs films de Valérie Donzelli comme La guerre est déclarée, NDLR), ce n'est pas simple, car le métier d'auteur n'est pas très reconnu en France. C'est drôle de voir l'abnégation que cela réclame, les écarts de salaire et de valorisation avec les comédiens. Je déteste la vacation, or quand on joue dans un film, on est un peu en vacances. Le metteur en scène fournit le vrai travail, l'acteur est un peu l'enfant du tournage.

Comment êtes-vous devenu acteur ?
Jérémie Elkaïm : 
Quand j'étais jeune, je savais que je voulais travailler dans ce monde, même si je ne savais pas très bien où. Assez rapidement, en fréquentant des gens du cinéma, on m'a proposé d'être devant la caméra. L'idée d'être dépossédé de sa chaire et de son être nécessite un engagement qui peut être douloureux. Il y a un côté "prise d'otage", car si l'on décide de s'en aller, cela met en danger le film. Pendant la période de fabrication, on appartient au film.

"Souvent, les acteurs ne sont pas très brillants"

Est-ce cette captivité qui vous déplaît…
Jérémie Elkaïm : 
Je ne vois que la part contraignante de ce métier, je suis toujours surpris de la valorisation que la société offre aux acteurs. Souvent, ils n'ont pas grand chose à dire, ils ne sont pas spécialement brillants, même si ce n'est pas vrai de tous. Leur force réside dans le fait qu'ils sont capables de s'abandonner comme des enfants.

Réaliser un film, est-ce quelque chose qui vous plairait ?
Jérémie Elkaïm : 
C'est ce que je veux faire depuis toujours, mais je ne sais pas si j'en serai capable. Je tente de vivre au jour le jour, mais ce n'est pas toujours simple. Il y a toujours quelqu'un qui nous demande de penser à l'avenir. Je ne vis qu'au présent, il n'y a aucune cohérence dans l'enchaînement des films que je fais. Je n'ai pas de projets !

Avez-vous peur de l'avenir ?
Jérémie Elkaïm : 
Si j'y pense, je ne sais pas par quel bout le prendre. Comme pour une jauge d'essence, j'enlève le fusible, ainsi, je n'ai pas d'indication sur combien j'ai d'essence. J'en ai ou pas… Je ne suis pas encore tombé en panne pour l'instant, mais cela viendra (rires). J'essaie de m'épanouir en faisant le moins de mal possible aux gens qui m'entourent. Ce n'est pas simple quand on est obligé de faire attention à soi, car je suis très égoïste.

Est-ce un défaut qui vous pèse ?
Jérémie Elkaïm :
Tout à fait, et même temps, la peur de ne pas être aimé m'a conduit à faire énormément de choses que je méprise. J'essaie de la combattre plus fort que jamais. Ma volonté de dissiper les malentendus est une autre façon de dire "aime-moi".  Ce que les gens disent sur nous n'a pas grande importance, au fond. Quel gain de temps de ne pas chercher à plaire aux autres !

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