Yolande Moreau : "Je dis toujours à mes petites-filles de se battre"
Elle apporte sa folie douce et son humour si singulier à "Rebelles", première réalisation solo d'Allan Mauduit, en salles le 13 mars. Yolande Moreau y prend le pouvoir aux côtés de Cécile de France et Audrey Lamy. Rencontre.
Elle paraît ailleurs, parfois absente, l'œil flottant dans un pays de drôlerie(s) dont elle seule aurait accès. Quand Yolande Moreau, 66 ans, vous regarde enfin et sourit, c'est l'humanité tout entière qui vous empoigne. Résidant à la campagne, loin des mondanités bling bling, l'ex-membre des Deschiens brille au cinéma et continue, quand elle en a l'occasion, de savourer les chroniques radios de son ancien acolyte François Morel. Elle est cette semaine à l'affiche de Rebelles, une comédie azimutée d'Allan Mauduit, qui avait coréalisé Vilaine en 2008. Aux côtés de Cécile de France et Audrey Lamy, la comédienne incarne une ouvrière d'une conserverie de Boulogne-sur-Mer qui, avec ses deux collègues, récupèrent le sac plein d'argent de son patron obscène après sa mort accidentelle. "Je fais assez peu de comédies mais le scénario, très bien ficelé, m'a vraiment plu", explique l'intéressée. "Un polar délirant de femmes en milieu ouvrier, qui plus est avec un super tandem d'actrices, ça ne se refuse pas."
Yolande Moreau est donc Nadine à l'écran, une femme bien différente des pétroleuses qu'elle a eu l'habitude de camper au fil de sa filmographie. On la connait en effet surtout pour ses personnages qui n'ont pas leur langue dans la poche. Ici, c'est tout le contraire. "Elle a l'air d'être la plus conforme, d'avoir les deux pieds sur terre et en même temps quand elle y va, c'est vraiment une femme d'action … J'aime les héroïnes qui, comme elle, sont chargées de bon sens. Ça n'enlève rien à leur part de poésie et de folie." Fan de Fargo, de l'humour noir et des anti-héros, Yolande Moreau aime à saluer les femmes de ce film et le girl empowerment qu'il exhale à la lumière d'une ère post #MeToo où les lignes bougent. "Dans le film, Nadine, Marilyn et Sandra prennent leur vie en main. Il y a quelques années, on aurait raconté cette histoire différemment, en faisant intervenir leurs époux ou leurs frères. Cette fois-ci, ce sont elles qui vont se battre contre la mafia à leurs trousses."
Rire à l'avenir
Pour autant, la comédienne, César de la Meilleure Actrice en 2009 pour Séraphine, refuse de labéliser le film avec l'étiquette féministe –un mot qu'elle estime utiliser à tort et à travers et qui peut, parfois, se révéler stigmatisant. "Le féminisme représente une lutte qui a commencé il y a très longtemps", rappelle-t-elle. Et d'ajouter toutefois, lucide : "Il est vrai qu'en 1972, on avait encore besoin de l'autorisation de nos maris pour travailler. Vous vous rendez compte, un peu ? Cette date pas si lointaine me choque. Je dis toujours à mes petites filles de se battre. Il le faut. Rien n'est acquis. Regardez comment certaines femmes politiques sont parfois décrédibilisées pour ce qu'elles sont… Il y a quelques années, un monsieur est venu faire des travaux à la maison mais ne s'adressait qu'à mon mari. Je n'en revenais pas. Pourtant, on a un compte commun !" Yolande Moreau ponctue cet aveu d'un éclat de rire dont la légèreté revêt une incroyable force de dédramatisation.
Parce que oui, l'important pour elle, c'est de rire (devant les films de Bacri et Jaoui notamment), de jouer des rôles au cinéma "avec jubilation" (comme ce fut le cas sur Rebelles), d'aller de l'avant, vers le progrès, vers l'égalité, en gardant toujours une bonne humeur de circonstance. "Ce qui me plait vraiment, c'est de rire de l'inattendu. J'adore les fou rires, surtout quand ils sont non justifiés, dans des circonstances étranges." A l'avenir, Yolande Moreau espère aussi qu'il y aura toujours plus de femmes cinéastes, et qu'elles seront présente en nombre au Festival de Cannes. Il ne nous reste plus qu'à lui souhaiter une montée des marches en compétition pour un hypothétique prochain film, elle qui nous a tant émus avec sa superbe réalisation Quand la mer monte, César du Meilleur Premier Film en 2004.