Fabrice Luchini: "Les femmes sont supérieures aux hommes, définitivement"

Dès le 6 mars, il sera la tête d'affiche du "Mystère Henri Pick" de Rémi Bezançon, le réalisateur du "Premier jour du reste de ta vie". Fabrice Luchini y brille, aux côtés de Camille Cottin, dans la peau d'un personnage qui lui était tout désigné : celui de critique littéraire. Rencontre.

Fabrice Luchini: "Les femmes sont supérieures aux hommes, définitivement"
© SYSPEO/SIPA

Son amour pour le verbe et son niveau d'éloquence ne sont un secret pour personne. Fabrice Luchini vit à travers le mot et sa sacralisation. Il aime le sertir, le penser, le dire et faire mouche. Pas étonnant que son nom ait été associé au personnage de Jean-Michel Rouche, un célèbre critique littéraire, dans l'adaptation par Rémi Bezançon du roman Le Mystère Henri Pick (David Foekinos). Le comédien y est impeccable d'énergie et de verve sous les traits d'un homme prêt à tout pour faire la lumière sur l'origine d'un best-seller supposément écrit par un pizzaïolo breton. Il revient avec emphase et digression sur une cette enquête divertissante et ludique, qu'il partage à l'écran avec Camille Cottin.

Lorsqu'un scénario parle de livres, est-ce que ça ouvre directement vos chakras ?
Fabrice Luchini : Disons que je me dis : "Ça, je pourrai le faire !" Je ne me branle pas pendant des heures devant un scénario. Je me demande juste si je suis capable, ou non, d'endosser le rôle. Plus j'avance dans la vie, plus je réalise que c'est la conscience de nos limites qui fait qu'on peut pratiquer notre artisanat avec cohérence et efficacité. Il faut être conscient de tout ce qu'on ne sait pas faire, histoire de ne pas se couvrir de ridicule avec de mauvais choix. Le film de Bezançon, c'était bon pour moi.

Etre critique littéraire, comme votre personnage dans le film, c'est un métier qui vous aurait plu ?
Fabrice Luchini : Non jamais ! Parce que je n'ai pas un enthousiasme mécanique, payé par la production, pour être dans le positif. Il n'y a de critique que quand on est en négation vers les choses. Si on est pour tout alors tout se vaut. L'époque est déjà comme ça. Elle indifférencie le drame entre les hommes et les femmes. Si on détruit tout le mystère, toute l'ambiguïté, tout l'antagonisme homme/femme pour indifférencier les deux sexes, ça va être au-delà du sinistre. La dialectique littéraire de la passion et de la vie se fonde sur ces dynamiques là… Je ne sais pas pourquoi je vous réponds ça.

© Gaumont Distribution

On va dire que vous avez un poil digressé… Je vous parlais du métier de critique littéraire…
Fabrice Luchini : Ah oui… Je n'aurais jamais aimé l'être. Je n'ai pas l'enthousiasme sur commande et je ne suis pas Charles Baudelaire, Joris-Karl Huysmans ou Paul Léautaud… Vous voyez ?

Le Mystère Henri Pick fait penser à cette phrase de Victor Hugo dans Quatre-vingt-treize : "Une idée fixe aboutit à la folie ou à l'héroïsme". C'est un peu ça, non ?
Fabrice Luchini : Vous avez tout compris ! C'est formidable ! Mon personnage veut savoir la vérité. D'ailleurs, ce qui est plaisant dans ce film, c'est que c'est une pure fantaisie, c'est ludique. Cet homme va chercher qui a écrit ce livre mais au fond, ce n'est pas le plus important malgré son combat pour rétablir la vérité.

Justement, quelle vérité sur vous-même aimeriez-vous rétablir ?
Fabrice Luchini : Je n'ai pas tellement de choses à rétablir parce que j'ai une idée assez approximative de ce que je suis. Je n'ai pas une opinion très formidable de moi. Je suis lucide sur l'inexistence de ma personnalité. Ce que je n'aime pas, c'est quand on dit que je fais mon numéro alors que j'essaye juste de communiquer une passion. L'époque trouve toujours suspects les gens qui ont de la passion. Si on s'emballe pour quelque chose, on nous prend pour un fou. C'est un des symptômes de notre société.

Quelle est votre obsession du moment, votre idée fixe ?
Fabrice Luchini : C'est compliqué… Je dirais l'admiration, qui est tellement nourrissante. J'adore admirer : les grands écrivains, les grands peintres, les grands musiciens. Aujourd'hui, c'est terrible notre incapacité à le faire. Les êtres humains sont enferrés en eux-mêmes et ont très peur de ce qui pourrait les dépasser. Un jour, Flaubert a dit une belle phrase : "Si Goethe entrait dans ma chambre, je crois que je crèverais sur ma chaise. Il avait tout cet homme-là." C'est merveilleux de dire ça !

Y a-t-il d'autres personnes, au-delà des écrivains et artistes, dont les mots ont compté dans votre vie ?
​​​​​​​Fabrice Luchini : Ceux de ma mère, qui ont tous eu leur importance. Pour être précis, ma passion pour les mots a débuté avec la Bande des Abbesses, qui était composée de voyous géniaux. A 15 ans, j'ai assisté à une de leur conversation. J'ai entendu l'un d'eux dire à l'autre : "Tu m'emmènes au Prisunic, faut que j'aille acheter des baskets." Il lui a répondu : "Non, je ne veux pas". Et, là, le mec lui lâche : "Tu te dérobes !" J'ai trouvé ça génial d'utiliser un mot pareil pour donner de la dramaturgie à quelque chose d'aussi simple. Il ne voulait pas aller au Prisunic et l'autre a dit "Tu te dérobes !". J'ai été bouleversé. Après, je me souviens d'un : "Viens, on s'arrache !". A cet instant, j'ai vu leurs pieds quitter terre avec des racines. Mon amour pour la littérature a commencé ce jour-là. La force d'un mot peut être vertigineuse.

"La littérature n'est pas faite pour aller mieux mais pour se préparer à mourir."

Est-ce qu'aimer autant les mots, c'est forcément être romantique ?
​​​​​​​Fabrice Luchini : Quand ce n'est pas du bavardage et qu'ils ne sont pas joués, les mots constituent la chose la plus extraordinaire du monde. Ça peut ouvrir des visions…

Aujourd'hui, la noblesse du mot se perd, vous ne trouvez pas ? C'est quand même chaud, non ?
​​​​​​​Fabrice Luchini : Très très bonne cette formulation ! " Aujourd'hui c'est quand même chaud. " (rires) Pour moi, ce n'est pas rien comme phrase. C'est tellement vrai. Là vous avez tout compris. Tapez là ! (il soulève sa main et propose un hi five) C'est la limite du flip. "Tu viendrais à la maison ? Pas de souci." "Le spectacle est beau ? Incroyable !" On va dire "c'est incroyable" sans jamais expliquer pourquoi ça l'est. Les politiques font ça aussi.  

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Quel livre préconisez-vous pour que le monde aille mieux ?
​​​​​​​Fabrice Luchini : La littérature n'est pas faite pour aller mieux mais pour se préparer à mourir. On ne va donc rien leur proposer. Si les gens veulent se familiariser avec le concept de l'ennui, il y a Madame Bovary. S'ils veulent vivre une symphonie littéraire, ils achètent Voyage au bout de la nuit. S'ils veulent connaître la précocité géniale d'un poète de 15 ans qui a transformé le monde, il y a Rimbaud. Pour la sensualité des choses muettes, il y a Baudelaire. Il y en a pour tous les goûts et pour tous les porte-monnaie.

"Les femmes sont aptes à la vie, et pas les hommes."

Qu'avez-vous appris sur vous en lisant ?
​​​​​​​Fabrice Luchini : Que j'aime le lyrisme et les femmes. Les femmes sont supérieures aux hommes, totalement, définitivement. Pour une raison simple : elles désirent, tout le temps. Elles ont toujours une envie de quelque chose. Les hommes, eux, sont traversés par leur mince désir, incarné par leurs pitoyables bites. Les femmes désirent connaitre, comprendre, rire… Vous avez déjà entendu un homme dire : "L'important chez un autre être humain de sexe opposé ? C'est de rire !" Bah non, vous entendrez plutôt : "Il faut qu'elle soit bien gaulée, bonne ménagère, sérieuse, cochonne…" Que des trucs fonctionnels ! Les femmes, elles, veulent juste qu'on les fasse rire. Tout est dit. Femme qui rit moitié dans ton lit. Les femmes sont aptes à la vie, et pas les hommes.

Ah, carrément ?
​​​​​​​Fabrice Luchini : Oui. La femme est faite pour vivre, elle donne la vie. Sans femme, il n'y a pas d'homme. Quand les hommes sont intéressants, c'est parce qu'il y a une femme. Elles sont géniales, vivantes, inattendues, intempestives, charmantes, intelligentes… Je vous embrasse, je suis épuisé.      

"LE MYSTÈRE HENRI PICK // VF"