CELLE QUE VOUS CROYEZ: Safy Nebbou salue la liberté de Juliette Binoche

Trois ans après "Dans les forêts de Sibérie", le réalisateur Safy Nebbou, 50 ans, adapte "Celle que vous croyez", le roman homonyme de Camille Laurens, avec Juliette Binoche dans le rôle principal. Secrets de fabrication du film, désormais disponible en DVD, BRD et VOD.

CELLE QUE VOUS CROYEZ: Safy Nebbou salue la liberté de Juliette Binoche
© SIPA

Initialement comédien et metteur en scène de théâtre, avant de réaliser quelques courts-métrages (parmi lesquels Pédagogie en 1997 avec Julie Gayet), Safy Nebbou signe en 2004 son premier long, Le Cou de la Girafe, avec Sandrine Bonnaire et Claude Rich. S'ensuivent L'empreinte (2006) avec Catherine Frot et une nouvelle fois Sandrine Bonnaire, Enfances (2008) avec Elsa Zylberstein, L'autre Dumas (2010) avec Gérard Depardieu et Benoit Poelvoorde, Comme un Homme (2012) avec Charles Berling et enfin Dans les forêts de Sibérie (2016), d'après le livre de Sylvain Tesson, avec Raphaël Personnaz en tête d'affiche.
Cette année, il s'adonne avec succès à une nouvelle adaptation : celle du roman Celle que vous croyez de Camille Laurens. Pour l'occasion, il offre à Juliette Binoche les traits d'une femme qui crée un faux profil Facebook et tombe amoureuse d'un homme (François Civil) qu'elle n'ose pas rencontrer en vrai, de peur de révéler son mensonge. Affable et passionné, Safy Nebbou évoque son fils, désormais disponible en DVD, BRD et VOD, pour le Journal des Femmes. Morceaux choisis.

Sur le livre de Camille Laurens…

"Je lis beaucoup et suis toujours à l'affût de potentiels livres à adapter. Le pitch du roman de Camille Laurens m'a interpellé. Dès les premières pages, le coup de foudre a opéré. Le combat de cette femme qui ne renonce pas à son désir m'a touché. Mais pas seulement. J'ai été sensible à la dimension identitaire de l'ouvrage, à la mise en abîme de la réalité et du virtuel, à ce pas de deux entre le vrai et le faux. Je voulais investir toutes ces strates. J'aimais par ailleurs les références artistiques que j'y voyais : littéraires avec Les Liaisons Dangereuses ou Marivaux ou cinématographiques avec Vertigo d'Alfred Hitchcock ou Opening Night de John Cassavetes.  Aux côtés de Julie Peyr, on a travaillé sur le scénario pendant un an et demi. Le défi était de simplifier l'histoire sans rogner sa complexité. Il fallait que le spectateur s'y perde de façon ludique. Camille nous a aidés avec bienveillance et confiance."

Sur la mise en scène…

"Comment filmer une rencontre virtuelle ? C'est la première question que je me suis posée. Vous savez, ça peut être ennuyeux de regarder des gens qui s'envoient des messages, des SMS ou des mails. Par conséquent, j'ai visionné des films qui explorent ce type de récit pour analyser ce qui marche ou pas. Il était nécessaire de rendre ça didactique et d'emporter le public dans la ronde, de le mettre dans la confidence, face à cette héroïne qui triche, qui falsifie… Notre moteur a été la vérité. Les écrans existent. Tout ce qu'on voit, au clic près, c'est Juliette Binoche qui le fait. Elle y tenait. On a filmé longuement ses mains, son cou, ses yeux… On a également mis en boite un maximum de contenus d'écran…  C'est au montage que s'est joué le bon dosage. Les émotions devaient être réelles et je voulais de la fluidité en termes de mouvement pour restituer le vertige, l'apnée, l'asphyxie... "    

Sur Juliette Binoche…

"Elle était mon choix numéro 1. Et c'était aussi le désir de Camille Laurens. Clara est une femme multiple, quadruple. Il convenait donc d'avoir une actrice qui puisse être Clara, la prof, la patiente devant sa psy, la menteuse devant l'ordi… Et Juliette Binoche a cette capacité, à chaque instant, de changer de visage, de rythme, de voix, d'aspect, et de suivre ces différents rythmes cardiaques. Nous avons avancé ensemble intimement. Elle a accepté de sortir de sa zone de confort pour jouer dans un territoire de vertige permanent. Je l'ai filmée au pied du précipice. C'est exaltant cet endroit-là, celui du bord de la falaise, dans lequel on sent une fragilité de jeu qui peut nous faire chuter. J'aime sa sincérité. Elle cherche la vérité du personnage. Elle est sans fard. Elle a la maturité d'une actrice qui s'est débarrassée de tous les poids. Elle est libre. Et cette liberté, qu'elle revendique encore plus aujourd'hui, c'est comme un vin qui se bonifie."     

Sur les réseaux sociaux…

"Ironie du sort… Je me suis moi-même fait piéger sur les réseaux sociaux pendant que j'écrivais le scénario de Celle que vous voyez. Je me suis en effet retrouvé dans une situation, similaire à celle de l'héroïne du film, où je me suis fait draguer sur Faceboook. J'y ai cru, c'est fou ! J'étais à un moment difficile de ma vie et il y avait une dimension romanesque dans mes échanges avec la personne en question qui me donnait le sentiment que mon quotidien était plus intéressant. J'ai été promené trois mois alors que rien de ce qu'elle m'a dit n'était vrai. J'ai utilisé ces éléments pour les injecter au film. Il y a un peu de mon histoire dans cette histoire. Plus largement, le sujet du film est en phase avec ce qu'on vit et ces outils informatiques qui nous dépassent. C'est trop tôt pour dire comment les choses vont évoluer, on n'a pas encore assez de recul. Les réseaux sociaux ont bousculé le rapport à l'image. Aujourd'hui, tout le monde scénarise sa vie, fait des stories, se filme, se photographie... C'est clairement un matériau intéressant pour le cinéma."

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