Jacques Gamblin : "En enfilant le costume du Facteur Cheval, j'ai été bouleversé"

C'est avec émotion que Jacques Gamblin revêt l'habit de Joseph Ferdinand Cheval dans "L'Incroyable Histoire du Facteur Cheval", de Nils Tavernier, qui sort en DVD et VOD le 22 mai. Le comédien, inspiré par la force de caractère de cet employé des Postes qui s'est acharné à construire son Palais Idéal pendant 33 ans, s'interroge sur la liberté, le mystère et le silence.

Jacques Gamblin : "En enfilant le costume du Facteur Cheval, j'ai été bouleversé"
© ZIHNIOGLU KAMIL/SIPA

Jacques Gamblin s'est glissé dans la peau de Joseph-Ferdinand Cheval, le temps du tournage de l'Incroyable Histoire du Facteur Cheval, film de Nils Tavernier, en salles dès le 16 janvier. Un rôle qui l'a bouleversé, tant par la résilience que par la liberté incarnée par ce personnage extraordinaire. Si Joseph-Ferdinand Cheval était plutôt taiseux, l'acteur de 61 ans est intarissable sur celui qu'il a interprété. Le destin formidable de ce facteur a mené le comédien sur un chemin d'introspection et de réflexion. Entretien.  

Le Journal des Femmes : Avant de lui prêter vos traits, connaissiez-vous l'histoire de Ferdinand Cheval ?
Jacques Gamblin :
Je la connaissais très mal, j'en avais de trop vagues informations, mais j'ai vite accepté ce rôle magnifique. C'est un homme extraordinaire, un merveilleux personnage de cinéma, un acteur ne peut pas rêver mieux que ça. Il est hors-du-commun, il s'exprime peu à l'oral, ce qui est assez rare. Ce facteur est libre, il a réalisé un rêve, en se foutant pas mal du regard oblique des passants, et il a tout mis en œuvre pour aller au bout de son destin. C'est aussi un grand râleur ! 

Est-ce compliqué pour un acteur de jouer le rôle d'un homme bougon qui a peu de dialogues ?
Jacques Gamblin :
Habituellement, ce qui est difficile, c'est de jouer un personnage silencieux parmi d'autres plus bavards. On a jamais le temps de filmer les personnages qui parlent peu, dans un film où les autres parlent beaucoup. Toutefois, L'Incroyable Histoire du Facteur Cheval est globalement un film du silence et c'est ce qui fait sa beauté et sa force. Ferdinand Cheval me paraissait très réservé. Je l'ai perçu comme quelqu'un à qui on a jamais ouvert le chemin de l'expression. Il savait mal lire et écrire. On ne sait pas d'où vient le fait que certains êtres humains sont plus bavards que d'autres, mais je me suis vraiment servi des émotions que j'ai ressenties à la lecture et en répétant les scènes, car elles étaient très fortes. Elles me permettaient, sans chercher, d'avoir un matériau au fond de moi que je réservais au moment de jouer les scènes. On fait beaucoup de mystère autour d'un être qui ne s'exprime pas, on se demande ce qu'il pense : c'est un atout. J'aimais ce secret, cette discrétion. 

Vous savez apprécier le silence ?
Jacques Gamblin :
Je pense en comprendre la valeur. Quand on fait abstraction du bruit et des dialogues, la force des expressions est beaucoup plus présente. On s'en rend compte lorsque l'on coupe la télévision, soudain, on se met à regarder les gens, car l'oreille n'encombre pas la vue. Si l'on se concentre sur les discours, on oublie les regards, les corps. Ce n'est pas un hasard si j'utilise beaucoup la danse dans mes spectacles au théâtre (Jacques Gamblin est auteur de plusieurs pièces de théâtre telles que Ce que le djazz fait à ma djambe ! ou Le Toucher de la hanche, NDLR). 

Êtes-vous davantage ému par la danse que par la musique ?
Jacques Gamblin :
Oui, c'est probable. J'aime beaucoup la musique, elle m'amène à la danse. Mais l'émotion m'est plus fortement transmise par la danse. Quand on montre un mouvement, on peut exprimer ce que l'on n'arrive pas forcément à dire.

Les documents historiques qui relatent le parcours du facteur Cheval sont assez peu nombreux. Comment vous êtes-vous préparé à ce rôle ?
Jacques Gamblin :
Une partie du rôle est inspirée de quelques traces, de cartes postales, de son cahier dans lequel il a écrit toute l'histoire du palais et de la construction. Il n'y a, en effet, rien sur son caractère… Je suis donc parti de l'imaginaire et du scénario, mais j'ai eu davantage tendance à enlever des phrases qu'à en ajouter. J'ai toujours imaginé ce personnage comme étant peu bavard : lorsque l'on fait 8 heures de marche par jour et 5 à 6 heures de travaux manuels dans son jardin la nuit, tout ça en solo, on est peu loquace. Les photos donnaient aussi des indications qui m'intéressaient sur ce personnage un peu raide, très fin et sec. Je ne me suis pas imposé différentes directions dans le comportement du personnage, j'ai laissé venir. Je me suis servi de cette obstination dans la marche, cette régularité. Le facteur Cheval marchera au bout de sa vie. Il se fatigue moins qu'un autre. 

Joseph Ferdinand Cheval est un exemple de résilience. Quelles qualités vous inspire-t-il ?
Jacques Gamblin :
Je me suis souvent demandé pourquoi ce personnage et ce film bouleversait tant les gens qui le voyaient. On a vu les réactions à l'avant-première, les spectateurs nous en parlaient avec beaucoup d'émotion. Pourquoi étais-je, moi-même, aussi touché par ce personnage ? Je pense que cela tourne autour de son esprit de liberté, sa quête, sa puissance, la longévité de sa motivation. Elle l'a nourri, elle l'a fait tenir debout. On est constamment en train de se demander ce que l'on fait sur cette terre. Ce Facteur Cheval s'est dit un jour, en regardant cette pierre : "Je vais faire ça de ma vie." Il s'est mis à construire, sans s'arrêter. Je crois que cela nous renvoie à notre intériorité. Est-ce que j'ai cette liberté au fond de moi ? Est-ce que je me sens assez libre pour réaliser un rêve ? Est-ce que je donne une direction à ma vie et à mon destin ? Ce sont des questions existentielles que je me suis posées également, sans forcément y trouver de réponses claires.

Laetitia Casta campait l'épouse du facteur Cheval. Comment avez-vous travaillé pour construire cette relation d'amour et de distance à l'écran ? 
Jacques Gamblin :
J'ai adoré tourner avec Laetitia, mais, par la force des choses et étant donné la nature des personnages que nous interprétions, nous étions deux personnes qui travaillaient chacune "pour elle-même". Ce n'est pas un film où l'on se retrouve avant de commencer à tourner, où l'on échange les répliques et où l'on fait les italiennes (répétition du texte sans mettre le ton, NDLR). Le facteur Cheval avait tellement peu de dialogues que ce n'était pas un terrain où l'on pouvait se retrouver. Je pense que l'on se préparait chacun mentalement. Il n'y avait pas la matière pour ce travail en commun. 

N'était-ce pas frustrant ?
Jacques Gamblin :
Personnellement, je ressentais une forme de culpabilité de ne pas pouvoir lui offrir plus que des regards et des attentions. Le personnage que j'incarne avait une grande pudeur et beaucoup de réserve. Elle l'a évidemment très bien compris et elle s'est mise dans la peau de ce personnage qui allait aimer un homme sans retour, sans lui demander ce qu'il ne pouvait pas donner. C'était assez curieux, je m'excusais régulièrement auprès de Laetitia (Rires). J'étais un peu embarrassé que mon personnage soit aussi distant avec le sien. Cela a été très agréable de la découvrir sur ce travail, je la trouve formidable. Elle a eu raison de dire "oui" à ce personnage, car il la grandit. Ce film nous a tous grandis. La vie de cet homme est peuplée d'épreuves, pourtant, le film nous fait du bien, même aux spectateurs. 

C'est le deuxième film que vous tournez avec Nils Tavernier. (Il était à l'affiche de De toutes nos forces en 2014, NDLR) Comment vous a-t-il dirigé ?
Jacques Gamblin :
Nils donne beaucoup de libertés, nous étions souvent d'accord sur les choix de mise en scène, et quand on ne l'était pas, il nous proposait une mise en place et il nous demandait ce que l'on en pensait. Il voulait que l'on exploite au mieux ces endroits. On tournait avec très peu de lumières, on se cognait parce que l'on arrivait plus à se voir, mais Nils nous laissait le temps de rentrer, à la fois, dans ces intérieurs et dans l'intériorité des personnages. Toute l'équipe avait conscience que ce film pouvait être important.

Vous avez tourné dans le véritable Palais Idéal, classé monument historique.  Qu'avez-vous ressenti ?
Jacques Gamblin :
Je l'ai visité plusieurs semaines avant le tournage, cela m'a permis d'être inspiré par cet endroit époustouflant. Le film est peu bavard, mais l'endroit vous laisse sans-voix ! (Rires). C'est vraiment dingue ! On a tourné 10 jours dans le palais et tout le reste autour de Mirmande, qui est un village classé de la Drôme. Un endroit magnifique, sur les sentiers. C'est une région que j'ai adorée.

Cela vous a-t-il permis de vous connecter plus facilement au rôle ?

Jacques Gamblin : Complètement. Lorsque j'endossais ce costume du facteur, je me sentais bien, j'étais ressourcé, heureux de marcher sur les sentiers du facteur. Je me souviens très bien du jour où j'ai enfilé ce costume pour la première fois : j'ai été complètement bouleversé. Je n'ai jamais très bien su pourquoi. Et je ne parle même pas du palais ! Nous étions dans un endroit impressionnant, qui impose le silence, le respect. Quand on arrive la première fois, on se demande comment le facteur Cheval a fait pour construire tout ça. Ce sont des choses que l'on ne saura jamais, même si l'on imagine des bribes de l'histoire à partir des phrases qui sont écrites. 

Ce mystère autour de la construction nous captive…
Jacques Gamblin :
Ce rapport au mystique et à la poésie rend ce personnage extraordinaire, rare. Le fait de ne pas avoir les réponses à ces questions, c'est beau. Cela laisse de la place à l'incertitude. On se pose sans cesse des questions sur tout, or là, c'est comme ça et pas autrement. Cela échappe à notre contrôle, dans une société où l'on voudrait justement tout contrôler, tout connaître, tout maîtriser. 

Découvrez L'Incroyable Histoire du Facteur Cheval, réalisé par Nils Tavernier, en DVD et VOD dès le 22 mai.

© SND/M6 Vidéo