Louis-Julien Petit : "Les femmes des Invisibles sont une ode à la vie"

Le réalisateur de "Discount" et "Carole Matthieu" dénonce une nouvelle injustice sociale dans "Les Invisibles", une comédie humaine et sans pathos qui redonne une voix et un visage aux femmes de la rue et aux travailleuses sociales qui tentent de les aider. Rencontre.

Louis-Julien Petit : "Les femmes des Invisibles sont une ode à la vie"
© Apollo Films / Jean Claude Lother

Comment est né ce nouveau film ?
Louis-Julien Petit : 
De ma rencontre avec Claire Lajeunie. Elle avait réalisé un documentaire sur les femmes de la rue et, comme elle avait l'impression de ne pas avoir tout dit, elle a écrit avec un livre dans lequel elle donnait son point de vue sur ces femmes SDF et les centres d'accueil. Elle pensait qu'il y avait un film de cinéma à faire en prolongement de son travail. Sur ses conseils, j'ai fréquenté pendant plus d'un an les centres d'accueil et j'ai été frappé par la façon dont ces femmes utilisaient l'humour comme bouclier contre la violence et comme lien avec les autres.

Que pensiez-vous pouvoir apporter de plus avec une fiction ?
Louis-Julien Petit : 
C'est exactement la question que je me suis posée. J'ai immédiatement compris que la comédie était le seul genre possible pour créer la passerelle entre le spectateur et ce sujet qu'on ne veut pas voir. Dehors, on baisse les yeux par impuissance et peur, mais au cinéma, pour une fois, on les regarde et on rit avec elles. Je voulais aussi adapter la relation que Claire avait tissée avec une de ces femmes à travers la création du personnage d'Audrey Lamy, la directrice du centre, qui se prend d'affection pour une jeune femme jouée par Sarah Suco. Il y avait aussi la volonté de faire un constat sur la société, de remettre en lumière la prolophobie ou ces arrêts anti-mendicités qui m'ont fait gerber, le changement de mobilier urbain pour éviter l'installation des SDF par exemple. Moi, j'aimerais que l'argent de mes impôts aillent dans l'aide, pas dans l'exclusion.

Comment avez-vous casté vos actrices débutantes, les anciennes femmes de la rue ?
Louis-Julien Petit : 
Je suis allé sur le terrain pour trouver des personnalités fortes qui allaient enrichir le film. Je cherchais des combattantes de la vie pour jouer face aux résistantes modernes que sont les travailleuses sociales, les autres invisibles. Ce film, c'est une ode à la vie. Ces femmes sont une ode à la vie. Elles m'ont donné énormément de force et m'ont fait relativiser énormément de choses.

Vous les suivez encore après le tournage ?
Louis-Julien Petit : 
Bien sûr. Je veux leur rendre ce qu'elles m'ont donné. Certains cinéastes, quand ils abordent ce genre de sujet, volent des bouts de vie puis partent en laissant les gens sur la paille. Ce n'est pas ma conception du cinéma. J'ai par exemple fait à nouveau appel à Marianne Garcia qui joue Lady Di dans Les Invisibles et que j'avais fait tourner dans Discount. Elle a connu la rue et aujourd'hui, elle vient de décrocher le premier rôle féminin de Mine de Rien, un film avec Philippe Rebbot et Arnaud Ducret. Je suis tellement fier et heureux pour elle. Adolpha Van Meerhaeghe travaille quant à elle avec Corinne Masiero et fait des ateliers d'art brut. Elle tend la main comme on la lui a tendu. Nous avons instauré un vrai rapport de confiance : il y a d'ailleurs certaines choses que je n'ai pas mises dans le film pour respecter leur intimité, pour ne pas être voyeuriste, pour tenir ma promesse de les rendre fortes et belles.

D'où tenez-vous ce caractère militant ?
Louis-Julien Petit : 
De mon éducation sans doute. Le vivre ensemble, l'acceptation des différences, la dénonciation des injustices sociales étaient très importants chez mes parents et mes grands-parents. Mon métier est un prolongement de ce que je suis et je veux poser ma caméra dans les combats, dans l'urgence. Je veux travailler sur les résistants et mettre en lumière certaines aberrations : récupérer les invendus comme mes personnages le faisaient dans Discount était alors interdit. Ça ne l'est plus et j'en suis heureux. Parfois, la désobéissance civile permet de changer les lois, de régler à terme quelques injustices sociales.

Vous donnez la part belle aux femmes avec ce film…
Louis-Julien Petit : 
Le casting masculin des Invisibles a d'ailleurs été convaincu du propos et a joué les "premières dames" avec plaisir. Ils ont mis leurs partenaires féminines en avant avec bienveillance et recul.  Mais tous n'ont pas cette intelligence. On m'a quand même demandé comment moi, un homme, je pouvais faire un film de femmes ou pourquoi ce n'était pas une femme qui avait réalisé ! Certains m'ont aussi dit qu'ils avaient failli arrêter de regarder car les rôles masculins arrivaient trop tard… C'est la première fois qu'en tant qu'homme, je ressentais la misogynie. Cette bêtise, cette façon de genrer les choses, me consterne et je me battrai toujours pour avoir des castings pluri-ethniques, paritaires et multigénérationnels, à l'image de notre société. Car, sur les écrans aussi, il y a encore trop d'invisibles.

Les Invisibles, au cinéma le 9 janvier.