Jason Reitman : "MeToo a changé mon point de vue sur les femmes de manière radicale"

Le réalisateur de "Juno" se penche de nouveau sur la maternité et ses désillusions avec "Tully", au cinéma le 27 juin. A travers le personnage de Marlo, incarné par une Charlize Theron alourdie de 20 kilos, le cinéaste dépeint (enfin) le baby blues, option crise de la quarantaine. Un film nécessaire sur les femmes. Rencontre.

Jason Reitman : "MeToo a changé mon point de vue sur les femmes de manière radicale"
© Mars Films

Dans Tully, Marlo (Charlize Theron) a trois enfants, des kilos qu'elle ne parvient pas à perdre et un mari très occupé par son travail. Alors quand son frère lui offre les services d'une nounou de nuit, Tully (Mackenzie Davis), elle finit par craquer. Epuisée physiquement par son rôle de mère, usée mentalement par les désillusions de la quarantaine, cette héroïne du quotidien finit par trouver refuge et réconfort après de la jeune femme. A travers cette relation, elle se reconnecte à la femme qu'elle est, à la jeune fille qu'elle était et fait le point sur ce qu'elle a perdu en chemin. Un film fort sur la charge mentale, mis en scène avec brio par Jason Reitman. Celui à qui l'on doit Juno nous a confirmé la nécessité de s'intéresser aux femmes au cinéma. Entretien engagé et inspirant.

Le Journal des Femmes : De quoi parle Tully ?
Jason Reitman : Au premier abord, Tully aborde la maternité, mais c'est en fait un film sur le moment où l'on devient parent et qu'on pense au jeune qu'on était comme si c'était un être humain différent. C'est une histoire sur la relation avec cet "autre soi".

En tant qu'homme, comment vous êtes-vous approprié cette histoire de femme, écrite par une femme ?
Je suis très chanceux d'être dans une sorte de mariage créatif avec ma scénariste Diablo Cody, qui a écrit Juno et Young Adult avant Tully. On a raconté cette histoire tous les 5 ans, presque comme un journal intime. Je n'aurais jamais été capable de trouver un point d'entrée sur ces personnages sans la vision de Diablo, d'Ellen Page, de Charlize Theron, ou de ma productrice Helen Estabrooke. Ces brillantes narratrices partagent leurs expériences de femmes avec moi et s'assurent que je ne gâche pas tout.

Jason Reitman et Charlize Theron sur le tournage de "Tully" © Mars Films

En tant que réalisateur, qu'est-ce qui vous intéresse dans ces cheminements féminins ?
On ne raconte pas assez d'histoires de femmes. Pour faire un film original, il suffit de se focaliser sur elles, particulièrement en ce moment avec le mouvement MeToo. Les hommes en apprennent plus sur les expériences féminines que jamais auparavant. Mes proches m'ont confié les sacrifices qu'elle font au quotidien, la peur qu'elles ressentent tous les jours et la stratégie avec laquelle elle abordent chaque heure de la journée... Ça a changé mon point de vue de manière radicale. C'est excitant de voir avec une nouvelle paire d'yeux pour la première fois. Ça affectera ma manière de faire des films.

Peut-on parler de Tully comme d'un film engagé ?
Ce que j'ai toujours adoré dans l'écriture de Diablo, c'est qu'elle s'intéresse à ce qui se passe derrière les portes fermées. Elle se focalise sur le cheminement interne des femmes et le retranscrit à l'écran d'une manière originale. Il y a un tas de films sur la crise de la quarantaine masculine, mais aucun sur celle des femmes. A cause du cinéma, on pourrait penser que les femmes n'ont d'intérêt que dans leur vingtaine. En faisant équipe avec Diablo et Charlize, on montre la peur et le sentiment d'échec des femmes de 40 ans, qui ne peuvent s'empêcher de se voir à travers les yeux de celles qu'elles étaient à 25 ans.

Qui vous a inspirée pour Marlo ?
La mère de ma fille. La voir traverser l'expérience de la naissance de notre enfant était complexe. C'était une épreuve pour elle, mais à cette époque, je n'ai pas pris l'ampleur de ce qu'elle traversait. Diablo et Charlize, toutes les deux mères, ont partagé avec moi l'impression qu'elles ont d'échouer avec leur enfant, de ne pas en faire assez. Elles m'ont raconté qu'elles n'étaient pas les seules à s'infliger ça, mais que les gens autour d'elles aussi. Que ce soit chez Starbucks ou à l'école, on vous dit "Oh tu as fait ça ? Tu n'as pas fait comme ci ?". Le cinéma nous montre la maternité de deux façons de nos jours : soit par l'absurdité, soit par le sentimentalisme. Il n'y a pas beaucoup de films sur la parentalité sale, flippante et parfois honteuse. On a voulu que les mères regardent l'écran et s'y voient comme dans un miroir.

© Mars Films

Vous ne montrez pas que l'aspect moral du baby blues, mais aussi le rapport au physique…
Un des grands thèmes du film est la dissociation. Mentalement, la personne que vous pensiez devenir s'oppose à celle que vous pensez être. De la même manière, les jeunes mères ne reconnaissent plus leur corps et elles ne se sentent plus elles-mêmes. C'était important que Charlize prenne vraiment du poids pour ressentir ce que son personnage endure.

Elle est incroyable dans le film… Qu'est-ce qui a fait d'elle l'actrice idéale pour le rôle ?
C'est difficile de trouver un rôle pour lequel elle ne serait pas parfaite. Charlize est brillante parce que pour elle, ce n'est pas qu'une question de texte. elle incarne son personnage. Elle se donne avec courage. Elle n'est pas effrayée à l'idée d'exposer ses défauts, physiques ou psychiques, de se rendre rebutante comme aucune autre actrice n'oserait le faire.

Le film parle aussi des déceptions de l'âge adulte : quelle a été la vôtre ?
Quand j'étais jeune, je supposais que c'était facile de toujours prendre la bonne décision. J'ai réalisé que je n'avais pas toujours fait les choix les plus justes et j'imagine mon jeune moi me regarder et me dire : "Pourquoi t'as merdé à ce point ?".

Tully, avec Charllize Theron et Mackenzie Davis. Au cinéma le 27 juin.