Emily Atef : "L'important n'était pas d'imiter Romy Schneider"

La réalisatrice Emily Atef dresse le portrait de Romy Schneider dans "Trois jours à Quiberon". Une fiction qui retrace l'une des dernières interviews que l'actrice mythique a données à la presse, mais aussi celle dans laquelle elle s'est le plus dévoilée. Nous avons discuté avec la cinéaste du film, de femmes et de féminisme. Rencontre.

Emily Atef : "L'important n'était pas d'imiter Romy Schneider"
© Christian Marquardt/SIPA

La cinéaste franco-iranienne Emily Atef voulait d'abord être comédienne. Après le bac, elle quitte le Jura pour Paris afin d'étudier à la prestigieuse école Jacques Lecoq, avant de se poser à Londres où elle a des jobs de comédienne. Avec ses cachets, elle s'achète une petite caméra et tourne ses premiers courts-métrages. Emily Atef rentre ensuite dans sa ville natale, Berlin, où elle fait ses classes à l'Académie du cinéma pour apprendre le métier de réalisatrice. En 2004, elle sort son premier long-métrage, Asyl. Son cinquième film,Trois jours à Quiberon, est en salles depuis le 13 juin...

Parlez-nous de Trois jours à Quiberon....
C'est un film sur Romy Schneider et sa relation avec la presse allemande. Elle était considérée comme une traître. Elle a tellement été idolâtrée étant jeune que la presse l'a toujours cassée. C'est pour ça qu'elle a accepté de se dévoiler autant au magazine Stern. Ce n'est pas une victime, elle sait ce qu'elle fait. On se dit tous qu'il faut la protéger, mais qui manipule qui au final ?

N'y a-t-il pas une tension entre souci de véracité, les faits avérés et la fiction ?
Il fallait que ça marche en tant que film dramatique, sinon c'était un documentaire. Je souhaitais partir de là pour rentrer plus en profondeur dans la vérité, même si je me suis beaucoup appuyée sur l'interview. J'ai pris beaucoup de citations, certaines très dures, d'autres que j'ai réécrites. Je me suis aussi servi d'autres entretiens et de choses que l'on m'a racontées sur Romy. J'ai davantage diabolisé son personnage. Le reste vient de mon imagination. Romy n'a sûrement jamais pris de bain avec sa copine… Il s'agissait de faire ressortir la complexité du personnage, ses crises…

La ressemblance entre Marie Bäumer et Romy Schneider est saisissante.
Marie Bäumer est assez connue en Allemagne. Depuis qu'elle a 16 ans, on lui dit de jouer Romy, mais elle n'a jamais voulu. Marie était sur le projet avant moi, mais elle avait peur de jouer cette icône, L'important n'était pas d'imiter Romy. Je lui répétais : "Tu n'es pas elle !". Elle a travaillé le langage, le petit accent de la bourgeoisie viennoise que Romy avait. Elle a étudié sa manière de fumer, de respirer... Le tournage était difficile a cause de cette peur. Marie ne dormait plus, elle était fragile, elle n'arrivait pas à sortir de son rôle. Elle lui ressemble beaucoup bien sûr, mais c'est une comédienne extraordinaire.

Le choix de tourner en noir et blanc, c'est pour faire écho aux photos de Robert Lebeck ?
J'ai passé tellement de temps sur ces photos, pour rentrer dedans, voir l'ambiance des années 80... Quand j'ai commencé à écrire le scénario, à me libérer, je ne voyais qu'en noir et blanc, même si toutes les scènes ne sont pas photographiées par Lebeck. Je voulais me distancier des nombreux reportages allemands sur Romy. Aujourd'hui, je me rends compte à quel point le noir et blanc nous rapproche de son monde, même si les films qu'elle faisait en ce temps là étaient en couleur.

Vous auriez pu faire un film sur le dernier jour ou la dernière année de sa vie, mais vous avez choisi ces trois jours,
C'était une année très difficile pour elle. C'est intéressant de voir comment les gens sont touchés par elle, comment elle parle avec les jeunes, comment elle danse, boit... C'est une énergie de vie très importante. Ce qui l'était davantage, c'est la fin. Dans tous mes films, des femmes entrent dans une crise existentielle très profonde. J'ai besoin de terminer avec de la lumière, de l'espoir. Plus qu'un biopic, c'est un portrait de Romy. On en apprend beaucoup sur elle grâce à l'interview et à sa relation avec les autres. Robert Lebeck m'avait raconté que lorsqu'il lui a apporté l'interview retranscrite, elle était très sereine, elle jouait avec sa fille, elle était en paix… C'était un moment que personne ne pouvait lui prendre. Et c'est peut-être dans cette intimité avec ces trois autres personnages qu'elle trouve la force de dire : "Non je ne vais pas faire ce film".

Les femmes sont un thème récurrent dans vos films. Pourquoi ?
Les femmes m'émeuvent, mais surtout celles de 30/40 ans. Je n'en vois pas assez et disons qu'en grandissant, ça me manque. Les anti-héros féminins me manquent. En France, il y en a plus qu'en Allemagne, aux Etats-Unis beaucoup moins. La perspective féminine m'intéresse. Mon prochain film se focalise sur une femme en pleine crise existentielle.

Est-ce un acte féministe que de choisir la femme comme fil rouge de votre filmographie ?
Le féminisme n'est pas orienté contre l'homme, c'est tout simplement une égalité. C'est incroyable que l'on soit plus en nombre et que l'on soit si peu représentées et pas seulement au cinéma. Quand je suis sortie de l'académie de cinéma de Berlin il y a peu pres 10 ans, il y avait autant de réalisatrices que de réalisateurs. Depuis #MeToo, les études ont montré qu'en sortant des écoles, les jeunes réalisatrices recevaient plus de prix dans les festivals que les réalisateurs, après un seul film. Aujourd'hui, sur 10 films présentés, il y en a 2 faits par des femmes. Pourquoi ressortent-elles avec plus de prix, mais sont-elles moins nombreuses ? Il y a des hommes qui font des films merveilleux sur les femmes, mais ce qui manque, c'est la perspective féminine. J'aimerais bien voir une femme faire un film sur la mafia italienne. Les femmes sont aussi une force économique énorme, mais elles restent sous-représentées.