Stéphanie Pillonca : "Filmer une femme est un acte politique"

A l'occasion de la sortie en salles de "Fleur de Tonnerre", nous avons rencontré Stéphanie Pillonca pour parler de son premier film, mais aussi et surtout de la condition féminine dans la société et le cinéma. Entretien avec une réalisatrice passionnée, engagée et engageante.

Stéphanie Pillonca : "Filmer une femme est un acte politique"
© Laurent Benhamou/Sipa - Déborah François et Stéphanie Pillonca

Stéphanie Pillonca a fait ses armes sur le petit écran avant de s'attaquer au grand. Cette comédienne de formation, passée par le Conservatoire d'art dramatique de Toulon, la classe libre du Cours Florent et le studio VO-VF, s'est fait connaître à la télévision en tant qu'animatrice et chroniqueuse pour TF1, M6 ou France 3, avant de réaliser des documentaires pour Arte ou France 2. Stéphanie Pillonca a également joué dans plusieurs films, notamment dans Mammuth ou Saint Amour de Gustave Kervern et Benoit Délépine. Avec un tel parcours, il est presque naturel qu'elle passe aujourd'hui derrière la caméra, pour le cinéma. Pour son premier long-métrage, la réalisatrice a choisi d'adapter l'œuvre de Jean Teulé, Fleur de tonnerre, en salles le 18 janvier, qui retrace la vie d'Hélène Jégado, la plus grande empoisonneuse de tous les temps.

Le Journal des Femmes : Fleur de Tonnerre relate l'histoire d'une femme, tueuse de surcroît, dans la Bretagne du XIXème siècle. L'adapter, n'était-ce pas un pari risqué ?

Stéphanie Pillonca : C'est complètement à contre-courant. J'ai essayé de me faire une petite place, de proposer quelque chose avec un rythme, une image et un cadre différents. Je suis heureuse de voir qu'il y a encore des personnes qui sont sensibles à ça. Habituellement, il faut toujours rire, être heureux, parler des failles d'une société trop mal-pensante, pas du tout épanouie, ni altruiste. Je pense qu'en montrant d'autres choses on peut aussi trouver du bonheur et c'est bien d'avoir d'autres émotions.

Avez-vous rencontré des difficultés pour produire ce film ?

Énormément. C'est un métier qui, contrairement à ce que l'on veut nous faire croire, laisse très peu de place aux femmes, ou alors pas celle qui me convient. Au départ, dans les écoles, on est le même nombre de femmes et d'hommes tout comme dans les commissions et il y a le même nombre de projets émanants des deux sexes. Il y a pourtant une espèce de plafond de verre lorsqu'il faut financer. On ne veut pas donner d'argent aux femmes, c'est dans la conscience masculine et comme c'est eux qui décident… Ne parler que d'une femme au cinéma, c'est difficile. Il n'y a pas de héros dans mon film : l'homme essaye de sauver, mais il n'y arrive pas. Notre société a besoin de la figure de l'homme fort qui a de la testostérone, robuste et valeureux.

Et vous avez justement eu un sauveur...

Dany Boon a lu le scénario et nous a sauvés. Ce qui est beau, c'est que quand le film s'est arrêté, je suis allée voir tous les financiers, les gros producteurs. Personne n'a donné. On me disait : "Ce n'est pas ma line up, je ne fais pas de film historique, pas de premier film" et ce n'est pas un film commercial. C'est là où l'homme est beau, il l'est quand il partage. Quand le grand donne la main au plus petit, qu'il le connaisse ou pas, juste parce qu'il a été touché. D'autant plus quand ça vient d'un homme issu de conditions modestes, tout comme moi, ça a du sens.

Dans le milieu de la télévision, avez-vous rencontré les mêmes difficultés en tant que femme ?

"Il ne faut pas faire de vagues lorsque vous êtes une femme. Si vous en faites un peu trop, vous êtes hystérique, mal lunée ou mal b*****"

On dit que la télé est très misogyne, mais curieusement, non. Je n'ai jamais rencontré de problème. Quand on passe au cinéma, il y a quelque chose avec les femmes. Tant que vous restez à votre place, vous êtes une amuseuse. Comme vous devenez soudainement le capitaine d'une équipe qui va au-delà de 3 personnes, vous devez rester constante., Il ne faut pas faire de vagues lorsque vous êtes une femme. Si vous en faites un peu trop, vous êtes hystérique, mal lunée, mal b***** ou mal réglée. J'ai récemment entendu, à propos d'un réalisateur : "Quel caractère, il est complètement dingue, il sait ce qu'il veut, il a raison !" Si une femme faisait la moitié du quart, elle serait taxée de folle.

Les réalisatrices sont en effet très mal représentées...

Ou on met tout le temps les mêmes en avant. Je me demande si à un moment donné, il ne faudrait pas légiférer. Quand il ne veulent pas faire de la place, il faudrait respecter la parité. Je racontais à un collègue réalisateur, qui fait partie d'une commission, qu'il y avait le même nombre de projets masculins et féminins et qu'il y en avait moins de femmes qui étaient financés. Il m'a répondu : "Parce qu'ils sont moins bons". Il y a toutefois quelque chose de merveilleux : la solidarité. En se donnant toutes la main, on pourrait réussir à obtenir des choses.

Et les actrices sont jugées sur leur physique et sur leur âge.

"La femme dans le cinéma, c'est soit une bimbo, soit une vieille qui rassure"

La représentation de la femme dans le cinéma, c'est soit une bimbo, soit une vieille qui rassure. Quand on fait des marginales, ce sont des femmes qui se conduisent comme des hommes. Et là, on dit : "ça, c'est une femme". Même nous entre filles, on dit que c'est un vrai rôle de nana, qu'il y a du girl power… Alors qu'elle agit comme un mec. Ne sommes-nous pas assez attractives ? Il faudrait pouvoir revendiquer notre féminité.

Trouvez-vous qu'il est différent d'être dirigée par une femme ?

Je crois que ça change. Chez les femmes, il y a quelque chose qui est relié à la maternité. Une femme sait faire plein de choses en même temps. Ce sont des gros clichés, mais c'est vrai. On le fait sans sourciller, parce qu'il faut être efficace et le fait de revendiquer nous fait perdre trop de temps. Il y a un supplément de tendresse, de douceur, de bienveillance. On est moins dans la compétition, on a envie que les choses soient amenées avec justesse, douceur et sincérité.

Déborah François © Estelle Chaigne - JPG Films - Nexus Factory - Umédia

Tout au long de votre carrière, vous avez mis les femmes à l'honneur...

Quand on a un stylo dans la main, un caméra ou un micro, c'est une prise de position et c'est un acte politique. On a le choix entre donner une tribune au plus fort, ou d'aller vers le plus petit et le mettre en lumière. Je trouve les hommes épatants, mais je préfère raconter la vie de femmes qu'on ne connaît pas, isolées ou en difficulté avec un tempérament. La condition de la femme, c'est la seule qui n'a jamais évolué. Ne croyez pas lorsque l'on vous dit qu'elle se porte bien. Il y a toujours, dans une quantité de pays pas si lointains, des petites filles bafouées, humiliées, souillées, abusées qui sont des esclaves, des enfants-soldats, qui travaillent jusqu'à avoir les os usés. Je veux raconter ces femmes. 

 

Envisagez-vous Hélène Jégado comme une figure féministe ?

Bien sûr. Elle est née parce que notre société n'a pas su l'accompagner, même en 1800 et c'est en cela qu'elle est marginale. Elle n'a pas su être à l'écoute de ses différences, de ses douleurs et la secourir. Jégado est sur un chemin de solitude. Elle est féministe parce qu'elle s'est extirpée de sa condition d'enfant, qui est dans une grande douleur. Dès sa plus petite enfance on sait que les dés sont joués. La résilience n'existe pas pour tout le monde. On n'est pas tous armés de la même manière.

C'est pour toutes ces raisons que vous l'avez choisie pour votre premier long-métrage ?

"Derrière chaque criminel il y a un enfant qui pleure"

C'est intemporel et universel. Des femmes qui tombent, il y en a beaucoup. J'ai vraiment souhaité travailler avec des professionnels de la petite enfance, des juges d'instructions et des psychiatres. Derrière chaque criminel il y a un enfant qui pleure. C'est une fille qui est folle, qui a vécu dans un environnement anxiogène et c'est tout à fait déterminant. On le voit maintenant avec les personnes qui se radicalisent. Le problème de toutes ces personnes-là, c'est la misère, la solitude et l'isolement.

Vous êtes donc partie sur ses traces en Bretagne…
On est partis en famille dans les pas de Jégado, parce que je ne me voyais pas faire des repérages sans mes enfants. Les lieux sont devenus modernes, il y a plein de pollution visuelle. Il a fallu trouver des lieux préservés. On a pu faire une plongée dans la France oubliée, celle d'une décentralisation qui n'a jamais eu lieu. On a rencontré des individus qui ont soif de vivre. Ça a fait un maillage, un tissu de bonnes énergies, de solidarité, avec des gens qui créent, qui ont voulu s'embarquer avec nous. C'était juste de l'amour.

Comment avez-vous choisi vos acteurs ?
J'ai voulu m'entourer de gens que j'admire. J'ai une passion pour Benjamin Biolay, Féodor Atkine, Miossec, Déborah François, Martine Chevallier de la Comédie Française… J'avais envie de m'entourer de gens qui me procurent des émotions et aussi de ceux qui comptent dans ma vie. Dans ce film il y a beaucoup d'acteurs avec lesquels j'ai grandi, que j'ai rencontré à 18 ans au Cours Florent. Il faut avoir du sens et de la fidélité. L'ascenseur est beau quand on a la possibilité d'emmener les gens avec soi, autrement ça ne sert à rien.

Comment êtes-vous tombée sur l'œuvre de Jean Teulé ?
J'ai été amenée à travailler avec lui et il m'a envoyé son nouveau roman, Fleur de Tonnerre. Je l'ai lu en une nuit. Je n'avais jamais entendu parler d'elle. Je me suis dit : "si je faisais du cinéma, je le ferai". A l'époque je n'en avais aucune envie, j'étais une modeste réalisatrice de documentaires. Peut-être ai-je moi même été mandatée comme elle (rires). J'ai eu la chance de mener le projet à bien. On m'a offert un tel cadeau... C'est un personnage tellement cinématographique.

C'est elle qui vous a donné la force de passer au cinéma ?

"Arrêtons de glorifier les vivants et les forts, on peut aussi mettre le focus sur les moins attractifs"

Je dois tout cela à une personne : à cette femme handicapée qui m'a permis de raconter sa vie dans le documentaire Je marcherai jusqu'à la mer. Elle m'a fait devenir une réalisatrice. Sans elle, je n'aurais pas pu faire tout ce que j'ai fait depuis. C'est grâce à la plus petite d'entre nous, la plus amoindrie physiquement. Son corps est brisé, mais elle a le feu et elle m'a ouvert la plus grande des portes. C'est la leçon d'une vie. Raconter la vie d'une femme qu'on a pointée du doigt, qu'on a jugée, qui nous fait honte quelque part, c'est ce qui m'anime. Arrêtons de glorifier les vivants et les forts, on peut aussi mettre le focus sur les moins attractifs.

Regardez la bande-annonce de Fleur de tonnerre, en salles le 18 janvier :

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