Men, Women and Children: portraits croisés à l'heure du selfie

Dans Men, Women & Children, en salles le 10 décembre, Jason Reitman dépeint avec brio l'impact des nouvelles technologies sur les rapports humains, amoureux ou parentaux. Du mode de communication au manque de communication, une satire originale, pertinente et superbement réalisée.

Helen et Don se souviennent parfaitement de ce qu'ils faisaient le 11 septembre 2001 à 8h46 au moment où le Vol 11 de la compagnie American Airlines a percuté la tour Nord du World Trade Center : ils faisaient l'amour. Qu'auraient-ils fait si l'attentat avait eu lieu en 2014 ? Sans doute Helen aurait-elle regardé les nouvelles du jour transmises par une application sur son smartphone. Sans doute Don aurait-il traité ses mails avant même de partir au travail. ..
Aujourd'hui, Helen et Don, mariés depuis 15 ans, se sentent bien seuls. Helen, qui s'ennuie dans sa vie de couple, tombe sur un site de rencontres extra-conjugales et commence à tromper son mari. Don lui, découvre un site d'escort-girls et convient d'un "rendez-vous" avec Angelique, une prostituée. Ne les blâmons pas trop vite : pendant ce temps, Patricia contrôle les moindres faits et gestes de sa fille Brandy à l'aide d'outils électroniques, tandis que celle-ci essaye tant bien que mal de vivre comme une adolescente de son âge.
Hannah, la chef des pom-pom girl, s'identifie au rêve de célébrité de sa mère Donna, une actrice ratée prête à tout pour aider sa fille. Jusqu'à télécharger sur Internet des photographies un peu trop explicites... Chris est bien embêté : la pornographie en ligne a perturbé sa représentation de l'amour et de la sexualité.
Les troubles alimentaires d'Allison, une ado anorexique, la poussent à chercher sur la Toile des astuces pour ne pas grossir. Enfin, Tim tente de surmonter le départ de sa mère grâce à un jeu en ligne, devant le désarroi de son père Kent, fraîchement divorcé.

Découvrez Men, Women & Children, le 10 décembre, au cinéma

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"Men, Women and Children" © Paramount Pictures

Leur point commun ? Ils communiquent mais sont pourtant si seuls.
Si Men, Women & Children relate les déboires d'un groupe de personnes aux pathologies très concentrées, il n'en reflète pas moins une certaine réalité. Une réalité où les adultes sont tout aussi vulnérables que les adolescents. Selon Josh Freed, un éditorialiste canadien "[La génération des parents] cherche à protéger sa vie privée de manière quasi-obsessionnelle, l'autre [les adolescents d'aujourd'hui, qu'il nomme les "transparents", ndlr.] sait à peine ce qu'est la ''vie privée''". Une jeunesse en manque de repère, des parents perdus dans un tourbillon de nouvelles technologies qu'ils ne mesurent pas forcément.
Nos esprits appartiennent aujourd'hui à deux mondes à la fois : nous observons un magnifique coucher de soleil sur une plage paradisiaque et nous nous sentons obligés de capturer ce moment pour le partager avec nos amis sur les réseaux sociaux. Des "amis" que nous n'avons d'ailleurs parfois jamais vus dans la "vraie vie", d'autres à qui nous faisons subir la fameuse "théorie de l'évitement" ("On se voit le mois prochain ?"). Le ridicule implicite de la situation est risible : si proches et pourtant si éloignés les uns des autres.

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“Men, Women and Children”  © Paramount Pictures

Est-il ici question de communication ou de manque de communication ?
Dans la bande d'annonce de Men, Women & Children, la réponse semble explicite : chaque personnage a le nez rivé sur son écran, mais aucun mot ne sort de leur bouche. Dans la réalité, c'est le silence.
Pour Jason Reitman, le réalisateur du film : "Chacun veut communiquer avec son prochain, que ce soit en le faisant en ligne ou depuis son téléphone portable. Mais ce que nous recherchons vraiment est une communication réelle". Il affirme : "Nous sommes trop occupés à communiquer avec des personnes que nous ne connaissons même pas (...). Nous avons peur des relations intimes avec autrui, peur de qui nous sommes, si bien que nous adoptons ces avatars et que nous entrons en contact avec de parfaits inconnus et que nous devenons des êtres qui ne nous ressemblent pas".
Les différents outils technologiques représentés – et que nous utilisons tous chaque jour – ne sont autres que des révélateurs, des amplificateurs de réalités et les souffrances y sont exprimées à travers des excès.
Car dès que nous allumons notre ordinateur ou que nous utilisons notre smartphone, l'espace-temps que nous connaissons n'existe plus : Internet est inépuisable, les ressources sont illimitées, la machine ne s'arrête jamais. Pour Erin Cressida Wilson, co-scénariste du film, il s'agissait de "mettre en avant l'amour, le sentiment d'effroi et de tristesse que provoquent parfois Internet et les échanges par SMS".
Des excès qui se transforment donc parfois en véritables pathologies. 

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“Men, Women and Children”  © Paramount Pictures

Il existe de nos jours des applications qui bloquent l'accès à Internet pour forcer à la concentration ("Freedom", par exemple) ou encore des séjours de "Digital Detox", sur le même principe qu'une cure de désintoxication classique, pour apprendre à débrancher son smartphone. Inutile, vous dites ? Selon une récente étude réalisée par l'agence de marketing numérique Tecmark, nous regardons en moyenne notre smartphone 221 fois par jour.
Le terme d'addiction, qui se définit comme la dépendance à une activité génératrice de plaisir dont on ne peut plus se passer en dépit de notre propre volonté, se présente alors. Une addiction qui révèle que nous n'allons pas aussi bien que ça. S'agit-il toutefois d'une addiction à l'outil ou d'une addiction à l'autre ? 

Si entourés et pourtant si seuls.
Si vous regardez votre fil d'actualité Facebook, il sera sans doute chargé de bonnes nouvelles : ma copine Léa part en Thaïlande avec son copain, mon copain Charles vient de réussir les examens du barreau, ma cousine Camille vient d'être embauchée. Toutefois, si vous prenez l'initiative (et le temps) de poser à votre entourage la simple question "Comment vas-tu ?", vous pourriez très bien être étonnés par la réponse. Et reprendre conscience que tout n'est pas aussi cool que des photos filtrées par Instagram.  

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“Men, Women and Children”  © Paramount Pictures

"Vous connaissez si peu ceux que vous croyez connaître", nous rappelle Men, Women & Children. Aucune invention n'a eu autant d'impact sur nos modes de communications que les dispositifs qui nous permettent  désormais de nous y connecter. Le Web a bouleversé toutes les facettes de notre existence, "pour le meilleur et pour le pire".
Bien sûr, l'adultère, la dépression et la paranoïa existaient bien avant l'arrivée des nouvelles technologies. Le film se veut donc plutôt pousser le spectateur à réfléchir sur son identité, sa place dans la société et ses rapports à son entourage

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Men, Women and Children © Paramount Pictures