"Je me donne 6 mois pour trouver un homme, après je me résouds au lesbianisme" (Estelle, 48 ans)

Mariée pendant 11 ans, Estelle est devenue féministe à la suite de son divorce. Aujourd'hui, elle rêve de refaire sa vie avec un homme qui accepte ses convictions. Pas facile comme elle nous le raconte...

"Je me donne 6 mois pour trouver un homme, après je me résouds au lesbianisme" (Estelle, 48 ans)
© Image d'illustration/123rf-loganban

Ma posture très engagée et mon féminisme, sont le résultat d'une vie d'apprentissage. J'ai 48 ans, j'ai vécu un mariage avec un homme qui a duré 11 ans, j'ai eu de nombreuses relations avec des hommes, des femmes et des femmes trans. Au quotidien, mon travail de sexothérapeute me fait réaliser que je ne suis pas la seule à vivre certaines expériences, chaque jour de nombreuses femmes me partagent leurs préoccupations, qui sont les mêmes que les miennes : elles souffrent de leurs relations avec les hommes. Quand je me suis mariée, je n'étais pas du tout féministe. J'ai rencontré le papa de mes enfants à 27 ans et je n'y comprenais rien à toutes ces notions, je voulais simplement recevoir de l'amour. J'étais dépendante de lui, je ne travaillais pas, je remplissais bien les rôles donnés par le patriarcat. Je pleurais beaucoup,  je me prenais la tête. J'étais à la maison, j'avais perdu ma carrière, je n'étais qu'une épouse et une mère. Quand il m'a quitté pour une autre, mon divorce a été un réel coup de massue, qui m'a rendu féministe. 

Les hommes en patriarcat sont insupportables

J'aime la sexualité avec les hommes. Dès lors, mon premier choix d'attirance se tourne vers ceux de mon âge. Le hic, c'est que je n'aime pas les hommes en patriarcat, ceux qui ne sont pas déconstruits. Je les trouve insupportables. Ce n'est pas confortable pour moi de fréquenter des hommes de ma tranche d'âge, car je ne corresponds pas aux stéréotypes de la femme en patriarcat. Ma grande liberté est dérangeante. Je pense que les hommes plus jeunes me conviendraient mieux. Le réparateur de mon vélo par exemple, il a 30 ans, il est hyper lumineux, il est plus déconstruit dans sa communication, je me sens respectée. Mais j'ai 48 ans et ça me questionne, est-ce que c'est éthique ? Mes ami.e.s me disent que oui, que je ne suis pas dans un rapport de domination, mais j'ai du mal, j'ai des scrupules. Ça me confronte à mon âge. Quand tu sors avec un homme plus jeune, il y a un moment donné où tu te sens "vieille" de la part de la société, je ne veux pas que cette différence d'âge soit mise en valeur. Foncièrement, je préférerais être avec quelqu'un de mon âge. 

On me reproche d'être "trop libre", "pas assez fragile"

À 48 ans, je n'arrive pas à faire des rencontres qui correspondent à mes attentes, mais j'essaie, j'en ai envie. Je fréquente des hommes pour avoir des relations sexuelles, mais je ne suis pas satisfaite, j'ai envie d'une vraie connexion, j'ai envie d'aimer. Alors, je me suis inscrite sur deux sites de rencontres, OkCupid et Meetic, pour tenter une expérience : je me donne six mois pour rencontrer quelqu'un, après six mois, j'arrête. J'aborde toujours mon féminisme, je ne cache jamais qui je suis. Je suis très transparente. Ce mot permet de faire du tri, ceux qui n'aiment pas partiront. J'ai souvent des retours de type "ça ne m'intéresse pas" ou il m'arrive de rencontrer des hommes qui pensent que je suis féministe, car je n'ai pas rencontré le bon. Quand j'ai des rendez-vous, je fais aussi face à des hommes qui m'indiquent par leurs actions que je suis "trop libre" ou "pas assez fragile". Ma façon d'agir, mes comportements, ma communication ne ressemblent en rien à ce qui est attendu par la société d'une femme. J'ai acquis de la confiance, je suis indépendante, je gagne de l'argent. Au début, je suis courtisée, mais une fois que les hommes sont en face de moi avec un verre et une assiette au restaurant, ils voient bien que je ne corresponds pas à ce qu'ils attendent, ils sont mal à l'aise.

Au restaurant, il n'a pas à payer mon repas par défaut

Par exemple, si au restaurant, un homme me félicite pour quelque chose, je trouve ça condescendant, je suis dans une démarche féministe et ma réponse sera "Tu es en train de me valider ? Tu valides quoi ?" alors que lui pensait faire un compliment pour me séduire. En fin de soirée, s'il sort sa carte bleue sans me regarder et la tend au serveur pour payer, je vais lui demander pourquoi car derrière cet acte, selon moi, ça montre qu'il n'est pas déconstruit, s'il paye, il va s'attendre à ce que je me couche. 

Sur les applications maintenant, je sais repérer si les hommes vont être bien ou non par rapport à mes attentes. Ils savent comment faire pour avoir un rendez-vous : ils brossent dans le sens du poil, puis une fois en tête-à-tête, le regard change. Dès qu'ils gagnent du pouvoir, ils lâchent prise sur "faire plaisir et répondre à ce que la femme attend/veut", dans le but de coucher. J'ai souvent été confronté à ce schéma et c'est insupportable. Dans ma tête, il y a un espoir. Je ne sais pas si c'est réaliste, mais je veux rencontrer un homme avec lequel je peux connecter durablement, construire, l'aimer sans avoir peur d'être trahie – pas trahie dans l'idée de fidélité, mais trahie dans ma condition de femme. Je veux être accueillie pour ce que je suis. Je ne suis pas une femme en patriarcat, je me sens comme ronde dans un monde carré. Je me donne à fond pendant six mois, mais ce défi n'est pas simple. Je fais entre 2 à 3 rendez-vous par semaine. Je me sens mi-aventurière mi-guerrière, une sorte d'Athéna du dating.

Tout ça pour recevoir toutes les semaines des photos de pénis non sollicitées

J'en suis à un point où je m'en fous du physique, je suis body positive. C'est tellement important pour moi d'être avec quelqu'un de déconstruit qui comprend mon féminisme, que je me fous de tout le reste. Le physique est si peu important à côté de la mission impossible que je me suis lancée. Ça me bouffe une énergie de dingue, tout ça pour recevoir toutes les semaines des photos de pénis non sollicitées. Mais j'ai envie d'aller au bout, même si quelques fois, je suis triste. Après les six mois, si je ne trouve pas, j'ai différentes solutions : me résoudre à un lesbianisme politique – j'ai déjà fréquenté des femmes par le passé, ou simplement arrêter et faire une croix sur l'amour. Car à côté, j'alimente mes relations sorores, celles que j'entretiens avec d'autres femmes. Avec mes amies, je me sens écoutée, connectée. Ce sont ces relations-là qui me nourrissent le plus. Mes copines me disent "ce n'est pas en faisant cette expérience que tu vas rencontrer quelqu'un, quand tu vas arrêter, ça va te tomber dessus". Il y a une partie de moi qui trouve ça marrant, j'aime être dans l'action. Je sais que rencontrer une femme que je vais aimer et qui va m'aimer, ce sera facile, mais un homme, c'est une autre histoire. Finalement, ce combat fait aussi avancer mon travail et mes compréhensions. Il fait partie de mon aventure féministe.