"Et si l'amour finalement, c'était un peu surcoté ?" Les clefs d'Ovidie pour vivre l'amour différemment

Dans son nouveau livre "C'est quoi l'amour ?", Ovidie nous donne des pistes pour mieux vivre ses relations amoureuses et sortir des schémas. Avec un message principal : "Pensez à vous prioriser, et après vous vous occuperez de l'amour de quelqu'un". Interview pour Le Journal des Femmes.

"Et si l'amour finalement, c'était un peu surcoté ?" Les clefs d'Ovidie pour vivre l'amour différemment
© Ovidie / Service Presse Collection ALT- Journal des Femmes

Ah l'amour… Vaste sujet dont on semble ne jamais réussir à faire le tour. Dans "C'est quoi l'amour ?" (éditions La Martinière Jeunesse), l'autrice et réalisatrice spécialisée dans les questions du corps, des féminismes et des sexualités, Ovidie, déconstruit l'amour avec tact et pédagogie. Alors qu'on nous enseigne depuis le plus jeune âge que l'amour est le pôle de notre existence, elle offre une réflexion autour de sujets de société : le couple, les papillons dans le ventre, le chagrin d'amour, l'endogamie, les autres façons d'aimer, l'amour égalitaire… et sème des graines pour donner à réfléchir. Un fascicule qui questionne, qui invite à se délester ou à en faire un usage plus heureux de schémas qui nous empêchent de vivre nos relations avec épanouissement. Interview d'Ovidie pour Le Journal des Femmes.

Le Journal des Femmes : Pendant longtemps, l'amour était considéré comme un sujet "pour les filles". Ces dernières années, il est de plus en plus présent au centre des conversations. Pourquoi est-ce important de le mentionner et de le déconstruire ?

Ovidie : L'amour fait partie de notre environnement culturel et médiatique. Que ce soit dans la littérature, les séries, le cinéma, les publicités… il est omniprésent. Tout ce qui nous entoure concerne les représentations de l'amour, du couple, du sentiment amoureux. Quand on est une fille, on grandit avec les princesses Disney. C'est pourquoi il est intéressant de le questionner, de se demander ce que c'est, de réfléchir à la définition qu'on lui donne, mais aussi de manière plus générale. De quand date l'amour ? Est-il inné ? Acquis, passionnel, est-ce qu'il s'agit d'une transaction économico-affective… ? La conception de l'amour, aussi, évolue. Prenons l'exemple de ma génération, on nous disait qu'il fallait aimer pour avoir des relations sexuelles, mais aujourd'hui, on voit bien que ça change. L'amour ce n'est plus forcément que le couple. La nouvelle génération se pose des questions qu'on ne se posait pas avant, on vit un grand laboratoire de l'amour où on essaie de le repenser. Et si l'amour finalement, c'était un peu surcoté ? Former un couple, tomber amoureuse, on se rend compte qu'on peut avoir d'autres sources d'épanouissement, que celles qui ont été survendues aux jeunes filles.

Justement, quel est l'impact de la culture sur notre conception de l'amour ?

Dans la culture, les représentations ont longtemps été stéréotypées. Quand on grandit là-dedans et qu'on est une fille, on nous montre que l'amour est au-dessus de tout, qu'il doit être en haut de notre pile de priorité, que tout ce qui suit (la réussite sociale, les études, l'auto-accomplissement) ça arrive bien après.

"Les films et les séries ont longtemps indiqué que notre première fonction était de tomber amoureuse"

Les films et les séries ont longtemps indiqué que notre première fonction était de tomber amoureuse. Toutefois, j'ai l'impression qu'en termes de représentation, ça évolue, on voit de plus en plus de personnages qui sortent des sentiers battus dans les séries, dans le cinéma le changement prend plus de temps à se mettre en place.

Comment sortir de cette conception ?

Cette évolution, on peut tous et toutes y participer à notre échelle. On pourrait commencer par ne plus poser de questions futiles dès la maternelle et l'école primaire "alors, tu as un amoureux ?", une fois à l'adolescence "alors, tu as un petit copain ?" et à l'âge adulte "alors, toujours pas mariée ?". On pourrait s'abstenir de poser ces interrogations et simplement laisser les enfants, les ados, les adultes, en parler s'ils le veulent. Également, cessons de nous inquiéter quand on croise une fille qui n'en a rien à faire du couple, à la place, ouvrons-nous aux autres formes d'amour – aromantique, asexuel…

Dans ce livre, vous évoquez l'endogamie, comment peut-on en sortir ?

C'est très compliqué parce que les applications de rencontre nous font croire que finalement, on peut rencontrer une personne d'un tout autre milieu, catégorie sociale ou religion. On a alors l'impression que l'amour transcende les questions de classe, mais c'est faux. Globalement, on continue de faire couple avec des gens qui nous ressemblent, de notre milieu social, culturel, on a du mal à en sortir. Ce n'est pas le cas entre 15 et 18 ans, dans les lycées dans lesquels il est censé y avoir un peu de mixité sociale. Quand on est ado, on peut tomber amoureux de quelqu'un qui n'est pas de notre milieu, sans y réfléchir. Une fois que les années passent, on reproduit ces schémas-là et on se met en couple avec des gens qui nous ressemblent.

"Il faut sortir de cette représentation de l'amour passion qui fait croire qu'il y aurait une date d'expiration"

Il y en a pour qui c'est une volonté, on peut suivre des schémas familiaux, ou reproduire ça de façon inconsciente, en faisant le tri par le biais de l'orthographe par exemple. Pour sortir de l'endogamie, il faut d'abord en avoir conscience, questionner son rapport à cela et ne pas se voiler la face. On peut penser que le sentiment amoureux, ce sont les phéromones et les papillons, mais c'est aussi une question d'endogamie. À partir de là, il est possible de lutter contre ça, parce que l'amour, c'est avant tout une construction sociale.

Des études soulignent que l'amour durerait trois ans, puisque ce serait le cas de l'ocytocine (l'hormone de l'amour). Comment cultiver sa relation pour qu'elle ne s'essouffle pas après ces trois années ?

L'amour qui dure trois ans, c'est une théorie qu'on a beaucoup entendue, mais qui est remise en question par des neurobiologistes. C'est important de sortir de cette représentation de l'amour passion qui fait croire qu'il y aurait une date d'expiration. C'est à la fois triste et absurde, de se dire qu'au bout de trois ans, on ne va plus s'aimer. Lorsqu'on se met ça dans la tête, on finit par y croire.

Vous écrivez qu'il n'existe pas de pilule magique pour soulager une rupture amoureuse. Comment peut-on agir pour aider ses proches qui en traversent une ?

Nous les adultes, quand on a connu le divorce ou la maladie, on se dit souvent qu'il y a des choses plus dures dans la vie, on considère le chagrin d'amour adolescent comme quelque chose de "pas si grave", une amourette sans importance. On a toujours entendu "un de perdu, dix de retrouvé", mais c'est faux ! Ca ne soulagera jamais personne de déclarer ça, ce n'est pas la perte d'un smartphone, mais d'une personne. Ce chagrin, il faut le prendre au sérieux, l'écouter.

"On peut aimer sans désir et faire l'amour sans aimer"

La souffrance liée à la rupture est réelle, et elle peut même être dangereuse puisqu'elle peut mener à des troubles psychiatriques, au suicide. Face à un ado qui traverse un vrai chagrin d'amour, il faut l'écouter, le considérer, arrêter de se moquer, de prendre ça à la légère, on voit bien nous dans quel état ça peut nous mettre, ce n'est pas parce qu'on a 15 ans que c'est moins douloureux.

Pourquoi la sexualité semble si centrale dans le prisme de l'amour, alors que dans les faits, de nombreux couples ne font pas l'amour ?

Pendant des années, on nous a répété que la sexualité était le ciment du couple, qu'un couple qui ne fait plus l'amour est un couple qui ne s'aime plus. En réalité, on peut aimer sans désir et faire l'amour sans aimer. Les idées reçues autour de la sexualité dans le couple brisent des histoires, des femmes se sentent moins désirées, se dévalorisent, cela peut donner lieu à des ruptures, de l'adultère. C'est horrible de penser qu'on n'est jamais assez bien, tout cela parce qu'on conserve cette légende qu'un couple qui ne fait pas l'amour, ne s'aime plus. Alors que très souvent, ça fonctionne bien. Comme il arrive que l'on ait des rapports incroyables avec une personne avec laquelle on ne veut pas faire sa vie. Il est nécessaire de sortir de cette corrélation entre le sexe et l'épanouissement du couple.

Entre jalousie, féminicide, inégalité… L'amour peut effrayer et une relation saine peut sembler compliqué à avoir. Est-ce que la sologamie est la solution ?

Elle ne conviendra pas à tout le monde, mais ça en est une. Cela peut être provisoire, durer quelques années, entre deux histoires ou plus longtemps. Même si ça se voit de plus en plus, la sologamie n'est pas valorisée. Pourtant, c'est génial de se prioriser, de vouloir l'amour de soi. Finalement, c'est ça le message de ce livre : dire aux filles "pensez à vous prioriser, et après vous vous occuperez de l'amour de quelqu'un". La sologamie, c'est réfléchir à soi, à ses propres besoins, à ses propres aspirations. Ça ne veut pas dire écraser les autres, être égoïste et dénué d'empathie, mais ne pas se retrouver à se sacrifier au nom de l'amour.

"Il faut d'abord s'aimer soi, passer du temps avec soi, accepter la solitude sans en avoir peur"

Livre "C'est quoi l'amour ?" Ovidie
Couverture du livre "C'est quoi l'amour ?" d'Ovidie © Collection ALT

Il arrive que des femmes fassent des choix en fonction de leur partenaire, refuser une mutation par exemple, pour rester à ses côtés. La sologamie encourage à se prioriser, à être l'unique personne de notre espace mental, pour ne pas se laisser ronger par les relations amoureuses qui peuvent être destructrices, ne pas consacrer toute son énergie à plaire. Je pense qu'il faut d'abord s'aimer soi, passer du temps avec soi – et pas juste une soirée de temps en temps – accepter par moment la solitude sans en avoir peur, se concentrer sur ses besoins. Avec la sologamie, on se prouve qu'on est capable de tout. De nombreuses femmes ont peur d'aller toute seule au restaurant, de partir en vacances seules. On n'a pas forcément besoin d'être en couple pour faire ces choses, on se prouve alors qu'on en est capable.

Vous évoquez l'amour égalitaire comme une façon urgente d'aimer. Comment le mettre en place dans ses relations ?

Il faudrait commencer à réfléchir et à se questionner pour repérer les inégalités. Il ne s'agit pas de faire la police de l'égalité à la maison, mais se poser de temps en temps la question "Est-ce que c'est normal ?". Il ne peut pas y avoir dans le couple qu'un seul des deux membres qui réfléchit et déconstruit l'amour. Cette égalité, il faut aussi la vouloir dans l'ensemble de la société pour que ça avance, de l'amour égalitaire dans une société inégalitaire ça ne marche pas, cela se réfléchit plus globalement. Cette question est de plus en plus dans les esprits, mais elle n'est pas toujours présente dans les relations hétérosexuelles. On ne peut pas, en tant qu'homme, se dire pour l'égalité au quotidien et à partir du moment où on rentre dans la sphère de l'intime, du foyer, cesser de penser à l'égalité.

Merci à Ovidie, autrice du livre "C'est quoi l'amour ?", collection ALT, La Martinière Jeunesse.