Comment ne pas s'engueuler chez Ikea

Une étude publiée en mai 2015 dans le Wall Street Journal, réalisée par la thérapeute américaine Ramani Durvasula, affirme que se rendre en couple chez Ikea est source de conflit. Ma première réaction : la flippe. Ma seconde : combattre. J'ai testé pour vous aller chez Ikea en amoureux... et le rester.

Comment ne pas s'engueuler chez Ikea
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J’étudie le problème
L’étude semble sérieuse. Si les couples se disputent si facilement chez Ikea, c’est semble-t-il à cause du "trop de choix". Puisque les goûts et les couleurs sont par milliers dans la nature et qu’ils se trouvent tous chez Ikea (ils sont forts ces Suédois), on a beaucoup de chances de ne pas être d’accord. De plus, errer dans des appartements témoins à la décoration parfaite fout un petit coup de pression : on est vite tendu comme une TORKIS – la corde à linge à deux euros de chez Ikea, désireux de faire de notre appartement un appartement sans faute. Résultat, c’est quand je dis à mon mec "Ça te va dimanche ?" que je sens l’enfer approcher. J’essaie bien de lui proposer Confo histoire de nous sauver mais il répond calmement que "Ikea, c’est mieux, il y a plus de choix". C’est bien ça le problème, chéri.

Je prends les mesures nécessaires
Puisque c’est acté – nous y allons dimanche – je décide de préparer notre virée. Hors de question que notre couple ne survive pas. Je commence par sortir le mètre planqué dans un carton. Mon mec me regarde hébété : tu fous quoi ? Je suis tentée de lui répondre que je lui mesurerais bien le pénis, lui qui maintient ne jamais l’avoir fait (même pas ado). Je suis certaine que TOUS les hommes se mesurent la bête au moins une fois. Il m’énerve. Je m’agite donc avec mon mètre dans tous les coins et recoins de l’appartement. Je griffonne dans un carnet un plan digne d’un grand architecte – un truc pas du tout à l’échelle -  auquel j’accole des petits chiffres très précis. Ainsi, on n’évitera le classique échange : je te dis que ça ne rentre pas. N’importe quoi, je te dis que ça rentre LARGE. Mes notes seront là pour trancher.

J’entreprends un repérage
Grâce au catalogue Ikea en ligne, on peut faire le tour du magasin et surtout mettre de côté ses favoris. Quand j’en ai déjà soixante-dix, je passe la tablette à mon mec qui investit à son tour. Problème : il ajoute autant de produits et nous n’avons rien en commun. Je me sens prête : si la dispute est pour maintenant, tant pis, ça nous évitera de l’avoir en public. On déroule les meubles un par un. Mon mec me dit que "vert, c’est moche pour une commode", que "les housses de couette avec des oiseaux, c’est ringard" ou encore que "repérer des verres dès aujourd’hui, ça sert à rien". Mon mec n’a pas vraiment de goût mais je le sais assez malléable. Son ex avait réussi à mettre chez lui des stickers galets. Je découvre donc sa sélection faite de meubles très ordinaires. On trouve un compromis : si les meubles sont simples, la housse de couette sera avec des petits oiseaux. Il accepte calmement en me balançant un petit : Njut ! Ça va être bien.

Je compte les sous
Pour être tranquille chez Ikea, on a tout intérêt à parler budget. Je demande donc à mon mec combien il est prêt à mettre dans l’achat des meubles. Et j’entends : on achète chacun nos trucs, comme ça si on se sépare, on sait ce qui appartient à qui. En plus de ne pas répondre à ma question, il me vexe. On est là pour construire un cocon, il en évoque déjà sa démolition. Mon silence l’interpelle et il comprend bien que j’attendais un chiffre, pas une idée de génie pour organiser la rupture. On finit donc par se mettre d’accord sur une somme globale. Somme globale que l’on partage en deux. Et il gagne : on achètera chacun nos meubles, c’est prudent. Je lui balance un : Njut ! Et j’appelle ma mère pour lui raconter.

Le jour J, on prend des forces
Je grogne à chaque fois que j’ai le ventre vide. C’est comme ça, je ne peux rien faire si j’ai faim. Avant la grande virée, qui m’impressionne autant qu’un départ en vacances, je prépare quinze tartines pour le petit déjeuner et on se goinfre sous mes ordres pour être au taquet. Sur place, on commence par un saut au magasin de bouffe suédois. Un paquet de Daim plus loin – qui représente déjà 0,05% de l’addition qui nous attend - on se munit d’un petit crayon à papier chacun (que je garderai pour le souvenir). Je prends aussi un mètre en papier et je mesure mon tour de poitrine sous les yeux de mon mec : c’est peut-être comme ça qu’il acceptera un jour qu’on mesure son entre-jambes. L’estomac plein, il se marre parce que c'est gros : je savais que manger était indispensable.

Rester zen
Mon mec regarde un canapé persuadé qu’il ne rentrera pas dans l’appartement. Fière de moi, je brandis mon carnet qui clos de suite le débat : ce canapé rentre. Je suis satisfaite et l’aventure continue. Le secret, pour une sanguine comme moi, c’est de réfléchir avant de parler. Je ne recale pas ses idées, je l’invite à argumenter. Je le questionne ainsi : ah, tu penses que ça ira ? Mais comment tu vois le tapis, dans ces cas-là ? Je suis d’une douceur extrême, je le pousse à sortir le meilleur de lui-même. Je ne l’accuse jamais d’être mauvais, je lui réponds simplement que "je n’aime pas" s’il ne parvient pas à me convaincre. Les psys ont raison, le "tu" tue.

Rendre fun le moment
Le ton monte légèrement devant les rideaux. Il les veut opaques pour mieux dormir, je les veux juste jolis. Et si chez Ikea, il y a tout, on ne trouve pas de compromis. Quand il commence à s’agacer parce que "le sommeil, c’est primordial", je l’invite à faire demi-tour dans l’empire des meubles. On se retrouve dans une cuisine et, à la façon de Joseph Gordon-Levitt et Zooey Deschanel dans 500 jours ensemble, on projette notre quotidien. Cinq minutes de comédie à cuisiner dans trois cuisines différentes et on se rappelle qu’on est là pour une seule chose : construire un nid douillet. La tension redescend, surtout quand je lui dis que je cuisine un Mc Do.

Le retour à la maison
On sort tous nos achats du camion et excités comme des puces, l’assemblage des meubles commence. Autre source de crise selon l’étude du Wall Street Journal. Parce que face à la notice, on n’est jamais d’accord. Parce qu’il y en a un toujours un qui pense mieux comprendre que l’autre. Pour éviter le moindre problème, je lui suggère de séparer le boulot : chacun ses meubles. J’ai toujours été très à l’aise avec les tournevis. On opère dans des coins différents et quand je l’entends pester, je suis une règle d’or : je ne m’emmêle pas et le laisse gérer seul. Deux meubles construits plus loin, on se vautre dans le lit. Qu’est-ce qu’on mange ? Il propose un Sushi Shop, je préfère Planet Sushi. Si on a passé le cap des suédois, il nous reste à passer le cap des japonais.

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