Cabu, l’anar sympa

Une coupe au bol, des lunettes rondes, ce doux rêveur écolo était un pilier de Charlie Hebdo et du Canard enchaîné. Soixante ans de carrière et plus de 35 000 dessins ont fait de lui l'un des grands caricaturistes pamphlétaires français. Depuis ses 15 ans, Cabu a épinglé la bêtise nationale et les travers de son époque.
Revenu d’Algérie l’antimilitarisme chevillé au corps et des centaines de croquis en bandoulière, Jean Cabut publie dans Ici Paris ou Le Hérisson, puis rejoint Cavanna qui lance un mensuel décapant, Hara-Kiri, régulièrement menacé d'interdiction pour outrages aux bonnes moeurs.
A Pilote (l'hebdo dirigé par Goscinny), aux côté de Sempé (créateur du Petit Nicolas), et même chez RécréA2 ou au sein du Club Dorothée, ce bonhomme lunaire dessine les angoisses d'une jeunesse qui s'ennuie dans un monde de vieux.
Avec la pointe acérée de son crayon, Cabu égratigne De Gaulle, Sarkozy, l'armée... et bien sûr ces "beaufs", caricatures de Français râleurs, chauvins, gueulards, alcooliques, racistes qu'il tendait comme un miroir à ses contemporains. Au point de les faire entrer dans le dictionnaire: "Beauf. Beauf-frère (d'après une B.D. de Cabu). Français moyen aux idées étroites, conservateur, grossier et phallocrate" (Le Robert).
Le regard sombre, sans concession, qu’il portait sur le monde moderne ou la grande consommation, s'accommodait souvent d'un graphisme léger, presque doux et aérien. S’il avait gardé la hargne de ses débuts, Cabu, 76 ans, regrettait de ne pas être assez virulent vis-à-vis du pouvoir, du conformisme ambiant. Passionné de jazz, éternel nostalgique, ce soixante-huitard (mais travailleur compulsif) avait une forme de bienveillance tendre et joyeuse, car, disait-il, "si l'écriture peut-être une souffrance, le dessin est un pur plaisir". Au fond, le père du chanteur Mano Solo (mort en 2010) voulait seulement "faire rire, sourire, ensoleiller la vie".