"J'aurais voulu qu'elle m'appelle au secours", déplore la mère de Pauline morte d'une overdose de codéine
La vie de Christelle Cebo bascule le 22 avril 2017. Sa fille Pauline, 16 ans, fait une overdose de codéine, à l'époque en vente libre. Après le tragique décès de l'adolescente, la mère courage se lance dans une véritable lutte pour que cet antalgique opiacé ne soit plus si facile d'accès. Deux ans après, Christelle Cebo revient sur la descente aux enfers de sa défunte fille dans son ouvrage "Pauline, un drame familial" et se confie au Journal des Femmes.
Cette terrible matinée du 22 avril 2017, Pauline, 16 ans, ne se réveille pas. La jeune fille, qui a développé une dépendance à la codéine, en vente libre dans toutes les pharmacies, est victime d'une overdose. Elle est rapidement transportée en service de réanimation, dans un hôpital où elle reste dix jours dans un coma effrayant. Sa mère, Christelle Cebo, garde l'espoir de voir sa fille ouvrir les paupières à nouveau... jusqu'au dernier instant. Pauline quitte définitivement ce monde le 2 mai, face à l'incompréhension et au désarroi des siens. Après ce drame, Christelle Cebo se lance dans un noble combat afin que cette douloureuse épreuve permette de sauver des vies. Armée d'une force admirable, elle rédige une pétition pour que la codéine ne soit plus en vente sans ordonnance dans les pharmacies et récolte plus de 50 000 signatures. Touchée par son combat, Agnès Buzyn, ministre de la Santé, accède à sa demande et prend un arrêté pour que cet antalgique opiacé ne soit plus en vente libre.
Deux ans après le drame, cette docteure en sciences, frappée à jamais de l'ombre du deuil, raconte les dix jours ultimes de la vie de Pauline dans un ouvrage à la fois poignant et nécessaire, Pauline, un drame familial, aux éditions Albin Michel, déjà disponible en librairies. Le récit de ces jours dramatiques est entrecoupé d'extraits du journal intime que la défunte adolescente avait tenu des mois avant de succomber à une overdose. Dans ce cahier, que sa mère n'a découvert qu'après sa mort, elle relatait son mal-être, ses disputes avec son mystérieux petit-ami, sa volonté de résister à l'addiction. Entre courage et altruisme, Christelle Cebo témoigne pour le Journal des Femmes.
Le Journal des Femmes : Dans votre livre, vous publiez des extraits du journal intime de Pauline. Avez-vous hésité avant de raviver des écrits si personnels ?
Christelle Cebo : On me demande souvent comment j'ai pu ne pas déceler la détresse de ma fille… Au travers de ce livre et de ses écrits, je voudrais montrer que pour nous, extérieurement, Pauline était une adolescente comme les autres, avec, évidemment, des sautes d'humeur, des jours où elle était mal lunée, des moments d'euphorie… Après avoir eu ma petite dernière à 40 ans, j'étais la femme la plus heureuse du monde ! Mais Pauline vivait tout à fait autre chose, elle avait un mal-être, un manque de confiance en elle que j'ai probablement sous-estimé. Petite, elle écrivait beaucoup. Je ne sais pas ce qu'elle en pense aujourd'hui, mais je suis persuadée que, même si elle est très pudique, elle est quand même contente que l'on publie ses écrits.
Certains passages ont dû vous surprendre, vous blesser.
Christelle Cebo : Se rendre compte de toutes les choses difficiles qu'elle vivait et savoir que l'on était à côté est ce qui me fait le plus souffrir. Elle n'est pas venue vers nous et pourtant, j'aurais déplacé des montagnes pour l'aider. Elle ne nous a pas appelés au secours parce qu'elle était dans une impasse et qu'elle nous avait caché son couple avec Jonathan, son petit-ami. Une relation qui était devenue difficile et qu'elle n'arrivait plus à gérer. Le jour où elle a ingéré un peu plus de médicaments que d'habitude, elle ne voyait pas d'autre issue, elle ne savait pas quoi faire. Elle ne voulait pas vivre cette journée du 22 avril 2017.
En tant que lectrice, la première réaction, peut-être un peu primitive, est l'envie de chercher un coupable. On se prend alors à mépriser Jonathan, qui a été le petit-ami de Pauline, était au courant de son addiction à la codéine et qui, en arrivant à son chevet, a une attitude assez déplorable envers vous. Comment réagissez-vous face à ce mépris ?
Christelle Cebo : Malheureusement, on ne peut pas condamner quelqu'un parce que c'est un goujat. Lorsqu'il est arrivé dans nos vies, pendant que Pauline était dans le coma, je l'ai accueilli à bras ouverts, mais j'ai déchanté lorsque j'ai vu les horreurs qu'il disait et son mépris…
Je ne le raconte pas dans le livre, mais une fois, je l'ai vu manger un sandwich au Maroilles dans la salle d'attente de réanimation, et quand je suis entrée, ça sentait vraiment mauvais… Je me suis dit : "Quel goujat, ce n'est pas possible de n'avoir aucune correction…" En plus, cela faisait des jours que je n'avais rien mangé, je ne pouvais rien avaler. Ce manque de pudeur m'a choquée. Grâce à lui, j'ai quand même pu avoir l'information cruciale, à savoir que Pauline prenait de la codéine régulièrement…
Le blâmez-vous, au moins un peu ?
Christelle Cebo : Pour moi, ce qu'il a fait est de la non-assistance à personne en danger. Sachant que Pauline prenait de la codéine, il aurait dû nous prévenir. Il avait notre adresse, puisqu'il venait venait voir Pauline en cachette. C'est un adulte, il aurait dû se dire qu'il y avait un danger de mort. L'issue aurait été différente et j'aurais pu lui accorder ma confiance. Mais il n'a rien dit. À mon avis, il en paiera un jour le prix. Aujourd'hui, je ne pense pas qu'il soit heureux. Pauline avait pourtant essayé de l'aider, on le voit dans toutes les retranscriptions des messages qu'ils avaient échangés… Elle a tenté de sortir de sa propre dépression, mais il l'a emmenée vers le fond.
On sent effectivement son envie constante d'aider les autres, au travers de ses écrits…
Christelle Cebo : C'était une bonne personne. Depuis toute petite, elle allait vers les autres. Nous pensons que la codéine a engendré sa dépression. Son mal-être s'est certainement exacerbé avec le manque de la substance… Cela a aussi engendré une spirale infernale : Pauline a dû se blâmer parce qu'elle n'était pas capable d'arrêter. Cette molécule n'a fait que la dévaloriser davantage.
Pauline a-t-elle eu un comportement un tant soi peu différent avant le drame ?
Christelle Cebo : Quand ils sont ados, les enfants s'éloignent un peu des parents. Pauline était tout juste en train de sortir de cette période. Mon mari, qui a dîné avec Pauline la veille du drame, n'a rien vu. Ils ont discuté de choses banales. Elle lui disait qu'elle voulait faire médecine plus tard, elle a choisi le repas du soir… Il est impossible qu'une personne qui pense à en finir ait ce genre d'échange. Nous sommes persuadés que Pauline ne voulait pas mettre fin à ses jours, mais qu'elle voulait simplement ne pas vivre cette journée du 22 avril. Elle avait rendez-vous avec Jonathan et voulait rompre avec lui parce qu'elle n'était pas satisfaite de cette relation, mais en même temps, elle l'aimait encore. Ce samedi, elle a voulu mettre sa vie en pause, elle a pris une dose et malheureusement, au lieu d'appuyer sur le bouton "pause", elle a appuyé sur le bouton "stop".
"Heureusement que j'ai eu ces 10 jours pour dire au revoir à ma fille", dites-vous dans le livre. Le deuil aurait-il été plus difficile autrement ?
Christelle Cebo : Oui, j'aurais été dans l'incompréhension la plus totale. Au départ, je pensais qu'elle avait fait un malaise, qu'elle avait mangé quelque chose de mauvais, qu'elle allait passer quelques jours à l'hôpital et que tout rentrerait dans l'ordre… Les médecins ont tout de suite été très pessimistes, mais je pensais réellement qu'elle s'en sortirait. Ces dix jours ont permis d'amortir le choc, même s'il est resté très violent.
A quel moment avez-vous commencé à prendre conscience de la gravité de la situation ?
Christelle Cebo : J'ai commencé à perdre espoir cinq jours après son coma : un neurologue venait de pratiquer un examen important. Lors d'une réunion avec le staff médical, on nous a annoncé qu'il fallait prendre contact avec la chambre funéraire. Le choc a été terrible… Les médecins voulaient arrêter l'assistance respiratoire le vendredi, mais nous souhaitions laisser la chance au miracle… J'ai insisté auprès du corps médical pour la garder en vie encore quelques temps, en prétextant que j'avais de la famille qui devait venir dans les prochains jours pour dire au revoir à Pauline. Elle est partie le mardi suivant.
Avez-vous foi en quelque chose ? En une survie après la mort ?
Christelle Cebo : Je crois beaucoup à la survie de l'âme. Je ne suis pas croyante, mais je pense que l'on est sur Terre pour apprendre des choses et que la vraie vie est ailleurs. La préface du livre, c'est d'ailleurs "Cinq âmes liées pour l'éternité". J'ai souhaité qu'il y ait cette petite phrase pour signaler qu'un jour on se retrouvera. J'en suis persuadée et mon mari aussi. On a reçu plusieurs "signes" d'elle. Je sens constamment sa présence. Elle n'est pas là, mais elle est tout le temps là. C'est une absence qui est omniprésente. Avant, nous étions pris dans le quotidien, nous ne pensions pas à la joie d'avoir un enfant, nous trouvions cela normal… Après le drame, j'ai appris que chaque matin, il faut profiter des choses simples de la vie, être heureux d'être là, d'avoir ses enfants vivants.
Comment vos filles (7 ans et 10 ans) se construisent-elles après le décès de Pauline ?
Christelle Cebo : Ce sont des enfants qui découvrent la vie. On m'a dit qu'à l'adolescence, il faudrait probablement les faire suivre. Elles ont le souvenir de Pauline que je veux qu'elles aient, une fille qui riait, qui leur courait après et leur faisait des chatouilles. La plupart du temps, elles sont plutôt enjouées. Parfois, le soir, lorsqu'elles sont fatiguées après une journée d'école, elles pleurent parce qu'elles veulent Pauline. Je leur dis qu'un jour on la retrouvera, mais pas tout de suite. On peut dire que le départ de Pauline nous a encore plus rapprochées, car désormais, on essaie de profiter de chaque instant.
Redoublerez-vous de vigilance vis-à-vis de la question de la codéine, des médicaments… ?
Christelle Cebo : Tout à fait et surtout vis-à-vis de l'accès à Internet. La grande m'a demandé si elle pouvait avoir un téléphone, j'ai refusé, car elle n'en a pas besoin pour l'instant. Pauline avait eu très tôt un téléphone, car c'était pour moi un moyen d'être en contact avec elle à n'importe quel instant. Au final, ce téléphone nous a séparées. Elle s'est coupée de notre relation et est allée sur des forums. Je sensibilise donc déjà mes filles à la question de l'information erronée que l'on peut trouver sur Internet. Elles n'auront pas Internet dans leur chambre non plus.
On s'imagine pourtant qu'avoir Internet dans sa chambre est une chose banale aujourd'hui…
Christelle Cebo : Pauline avait l'ordinateur dans sa chambre, une webcam... Jamais je n'aurais pu penser qu'elle l'utiliserait pour se montrer à des gens sur des forums. Pourtant, c'est là qu'elle a appris à se droguer. Certains sont très faciles d'accès. Sur des forums dédiés à des jeux vidéos, des films, vous pouvez trouver des discussions consacrées à l'utilisation de la codéine... On avait beau la cadrer, mettre un contrôle parental, lui donner des horaires où elle pouvait aller sur Internet, cela n'aurait pas suffi…
Grâce à votre initiative, la codéine n'est plus en vente libre. Après le décès de Pauline, qu'est-ce qui vous a donné la force d'agir ?
Christelle Cebo : Cette action citoyenne m'a parue tellement évidente. Pauline n'était que la partie émergée de l'iceberg. Certes, des jeunes vont dans les pharmacies avec leurs amis pour prendre de la codéine et passer une "bonne" soirée, mais il y a aussi tout un tas d'adultes qui ont un travail, une vie de famille, parfois des responsabilités, comme conduire des bus, et qui prennent cette substance car ils s'imaginent que cela les aide à vivre. Certains sont devenus dépendants à la suite d'une prescription médicale, sans aucune information sur les effets secondaires.
Il y a toujours des failles. Il reste possible de jongler entre les médecins pour qu'ils prescrivent plusieurs ordonnances…
Christelle Cebo : Oui et il y a d'autres médicaments qui peuvent engendrer une dépendance… Il n'y a pas de risque zéro. L'arrêté rend toutefois beaucoup plus difficile ce que l'on appelle le nomadisme pharmaceutique. On ne peut plus aller de pharmacie en pharmacie, comme Pauline le faisait. Le problème, maintenant, c'est le nomadisme médical. Aujourd'hui, vous pouvez voir un médecin, puis un deuxième, sans que celui-ci ne sache ce que le premier vous a prescrit. En France, il y a ce que l'on appelle le dossier médical partagé (DMP). En théorie, les médecins doivent savoir ce que l'on vous a prescrit, tout y est noté. Toutefois, ce dossier n'est créé que si vous en émettez le souhait. Évidemment, si vous êtes dépendant de la codéine, vous n'allez pas créer de DMP.
Avez-vous un message à faire passer ?
Christelle Cebo : Si les ados ont un problème, il ne faut pas qu'ils aillent sur Internet, il faut qu'ils en parlent à leurs parents, qui sont là pour les écouter. Les pseudos sur Internet n'en n'ont rien à fiche de leur vie, par contre, leurs parents les aiment. C'est le silence qui tue. Pauline aurait pu tout me dire ! Oui, j'aurais certainement crié, mais je l'aurais aidée ! Je n'aurais pas eu honte, tout comme aujourd'hui je n'ai pas honte de porter ce témoignage. Pourtant ce n'est pas facile, parce que quelque part, cela indique qu'il y a eu une faille dans notre rôle de parents.
On sent pourtant que vous avez été une mère présente et à l'écoute. Il n'y a pas de recette idéale pour être parents.
Christelle Cebo : On accordait beaucoup de liberté à Pauline parce qu'on avait confiance en elle. C'est peut-être l'erreur que j'ai commise. On peut facilement passer à côté d'une addiction de son enfant : que ce soit au cannabis, au sexe, aux jeux vidéos, à l'alcool, aux cigarettes… Certains parents m'ont dit que j'étais une mauvaise mère, sur Facebook. Quoiqu'il en soit, je porte ce message avec humilité et j'accepte de dire que je n'ai peut-être pas été la mère parfaite. Je regrette juste que Pauline ne m'ait pas appelée au secours, j'aurais été là.
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