Frédérique Bedos raconte sa mère psychotique et une famille adoptive avec 20 enfants

Elevée par une maman malade psychique et des parents adoptifs incroyablement inspirants, c'est dans son enfance que sont nées sa force et son envie de solidarité. Frédérique Bedos, femme de média et d'engagement, revient pour nous sur le chemin de vie qui lui a donné force, courage et créativité et l'a amenée à fonder l'ONG Le Projet Imagine.

Frédérique Bedos raconte sa mère psychotique et une famille adoptive avec 20 enfants
© Maelenn de Coatpont

Frédérique Bedos n'est définitivement pas femme à se plaindre. Si la journaliste/réalisatrice de 48 ans qui a fait ses études d'histoire de l'Art à la Sorbonne et à l'Ecole du Louvre avant de présenter le Téléachat et Les Victoires de la Musique sur France 2 et des émissions sur M6 et W9, a connu une enfance chaotique mais remplie d'amour, elle en a tiré une incroyable force et l'envie toujours chevillée au corps de récréer les fameux liens du sens.
C'est en 2013 dans son livre La Petite Fille à la Balançoire (Les Arènes éd.) que Frédérique Bedos parle de sa mère Jeanne pour la première fois, une maman qui lui a donné, comme elle le dit elle-même, énormément de tendresse et d'amour dans sa toute petite enfance. "Elle a accueilli ce bébé que j'étais avec beaucoup d'émerveillement. Elle passait son temps à compter les doigts de mes mains et de mes pieds pour s'assurer que tout allait bien et m'a appris à lire à 3 ans ".
Elevée à l'assistance publique, Jeanne a en effet un grand besoin d'amour et de tendresse mais aussi une maladie qui la mine : la dépression.

Jeanne, une maman pas comme les autres

L'arrivée de Frédérique est un grand bouleversement dans la vie de cette femme qui a une vie de bohème et n'a ni diplôme ni famille.
Vivant en tête à tête, mère et fille connaissent une grande précarité. "Nous avons vécu dans une caravane, dans la rue et nous avons même fait la manche" raconte Frédérique Bedos qui ajoute : "dans les couches de la société atteintes par la précarité, rien n'est tendre car les prédateurs rodent et sont prêts à tout pour survivre. Certains s'entraident mais d'autres écrasent. "
Très mal prise en charge, Jeanne est placée dans des hôpitaux psychiatriques, subit la camisole chimique et les électrochocs. Son état s'aggrave et apparaissent des fragilités psychiatriques.

Frédérique devient la mère de sa mère

C'est dans ce contexte particulier que Frédérique et Jeanne rencontrent Marie-Thérèse et Michel qui commencent par les accueillir toutes les deux dans leur petite maison de Croix puis Frédérique seule. Car Jeanne va mal, de plus en plus mal, et la petite fille devient la mère de sa mère. 
Quand Jeanne est hospitalisée d'office, Frédérique vit dans sa famille adoptive où elle est entourée d'une vingtaine d'enfants et goûte au sentiment de sécurité qu'elle ne connaît pas.
Quand elle retrouve Jeanne, elle ne sait jamais ce qui l'attend car sa mère perd pied. 
Jeanne ne vit plus dans la réalité, a une prise au réel qui peu à peu s'effondre et alterne délires et crises. Peu à peu, Frédérique voit la maladie grignoter la personnalité de sa mère et la petite fille développe une maturité précoce. "J'ai dû parer à ses manquements et gérer sa cruauté lors de ses crises. Par amour, j'ai discerné ce qui était de la maladie et ce qui relevait de sa personnalité", raconte Frédérique Bedos qui n'a jamais connu son père.
"Je ne sais pas s'il est en vie et s'il sait que j'existe. L'histoire d'amour de mes parents est entourée de mystère. Ma mère a toujours eu un esprit fantasque et la maladie a ajouté une couche de surréalisme dans le quotidien. C'est la raison pour laquelle je n'ai jamais pu démêler le vrai du faux concernant leur histoire ", confie Frédérique qui confie que sa mère vit aujourd'hui dans un Ehpad.

"J'ai mené une longue bataille durant plusieurs années car je ne voulais pas qu'elle termine sa vie dans un hôpital psychiatrique. Elle a été un temps dans un appartement thérapeutique jusqu'au moment où il lui est devenu impossible de sortir de cet appartement. Elle est alors retournée à l'hôpital psychiatrique. J'ai eu la chance de rencontrer une assistante sociale qui m'a aidée à la faire entrer dans un Ehpad où elle vit depuis 4 ans. Ce n'est pas la panacée mais c'est tellement différent de l'hôpital psychiatrique où les personnes qui partagent la chambre changent en permanence, où les cris sont permanents et l'ambiance tellement glauque. Dans l'Ehpad, elle a sa chambre individuelle avec sa clé : elle est nourrie, logée blanchie mais aujourd'hui elle est dans un monde parallèle et ne peut plus prendre soin d'elle"; raconte Frédérique Bedos.

Michel et Marie-Thérèse, ces héros de l'ombre

Michel et Marie-Thérèse © DR

Quand Frédérique atteint l'âge de 11 ans, la DDASS décide qu'elle est définitivement domiciliée chez ses parents adoptifs. "Ce sont mes parents adoptifs dans le sens noble du terme car au niveau administratif je n'ai jamais été adoptée. Je fais partie des inadoptables vraiment inadoptés car ma mère ne m'a jamais abandonnée."
Michel et Marie-Thérèse accueillent alors à bras ouverts la pré-adolescente. "Cela m'a donné de la stabilité car jusque-là, tous les deux trois mois, je devais subir des allers et retours. J'étais ballotée d'une réalité à l'autre et le quotidien avec ma mère était tel une pente savonneuse."
La jeune fille continue quoi qu'il en soit de voir sa mère et d'accompagner son quotidien chaotique. Il est devenu d'autant plus douloureux que Jeanne est tombée enceinte et donne naissance à deux autres petites filles, de façon rapprochée dans le temps.
Frédérique devient alors la mère de ses demi-sœurs parce l'état de sa mère ne s'arrange pas. "Je perçois tout de suite que je dois protéger ces bébés et je suis la seule à pouvoir le faire. Cela n'a pas été un long fleuve tranquille", souligne Frédérique qui confie qu'elle a pu trouver une forme de sérénité grâce à ses parents adoptifs.
"Ce sont vraiment mes parents. Je ne porte pas leur nom mais cela n'a aucune importance. On s'aime véritablement dans ma famille adoptive que j'appelle ma tribu arc en ciel comme Joséphine Baker qui avait adopté une douzaine d'enfants d'origine différentes".

Michel et Marie-Thérèse sont des gens simples qui habitent dans la banlieue lilloise. Michel tient une petite quincaillerie de quartier à Roubaix avec deux de ses cousins. Marie Thérèse a commencé à travailler à 14 ans en vendant des journaux car sa mère était veuve.
Les jeunes gens tombent amoureux, se marient, s'installent dans cette petite maison de Croix. Ils essaient d'avoir des enfants mais Marie-Thérèse fait plusieurs fausses couches et accouche d'un enfant mort-né.
Ils rencontrent ensuite le fondateur de Terre des Hommes, Edmond Kaiser, qui souhaite créer une filiale française de son ONG dont la mission est de s'occuper d'enfants défavorisés dans le monde entier.
"C'était un homme exceptionnel épris de justice et avec un charisme incroyable. Mes parents ont eu un coup de cœur et ont décidé de s'engager bénévolement à ses côtés pour créer cette filiale française".
Rencontrant des difficultés à donner la vie et bouleversés par ces enfants du monde entier qui ont besoin d'être accueillis dans des familles d'adoption, ils ont une révélation et décident d'accueillir ces enfants.
"Ma famille adoptive est le symbole même de l'espérance car mes parents ont continué à regarder avec espérance ces enfants rejetés par la société et leur ont donné les conditions de redémarrer dans la vie.

Comme le dit Boris Cyrulnik la résilience ne peut exister seule : il faut qu'elle soit incarnée par des parrains de résilience, des hommes et des femmes qui permettent de reprendre pied. Mes parents adoptifs sont ces fameux parrains qui ont permis la résilience pour chacun de leurs enfants.
Grâce à eux je sais que, même dans les situations les plus difficiles, on peut encore trouver la joie si tant est qu'on ne passe pas son temps à se juger les uns et les autres.
 "

Ces enfants dont personne ne voulait

La famille arc-en-ciel de Frédérique © DR

"Mes parents ne se sont jamais dits qu'ils allaient accueillir 20 enfants mais la vie en a décidé ainsi. Parce qu'ils étaient en première ligne en tant que bénévoles de Terre des Hommes, ils sont devenus proches des services d'adoption, des assistances sociales, des services d'aide à l'enfance et ont été identifiés.
On leur a transmis des dossiers de plus en plus urgents et plus en plus complexes. Car certains enfants étaient considérés comme étant inadoptables.
Personne ne voulait les adopter car en plus de la blessure de l'abandon, ils souffraient d'autres blessures.
Mes parents disaient tout le temps : le tout n'est pas d'adopter un enfant, c'est que l'enfant nous adopte
 ". 
Il est vrai qu'à chaque fois que Michel et Marie Thérèse vont identifier ces cas tellement particuliers, mais tellement touchants à la fois, ils ne vont pas se dérober. "Ils auraient pu se dire qu'il y aurait d'autres personnes pour se dévouer et passer leur chemin. Mais la situation de certains de ces enfants était tellement urgente, parfois désespérée. C'était par exemple le cas de Pierre Vincent né sans bras et sans jambes et abandonné à la naissance qui allait être transféré dans une unité psychiatrique alors qu'il est totalement sain d'esprit. Ils avaient bien conscience que le défi était immense mais ils ont sentis qu'ils avaient l'énergie, la force d'aimer.

Si on est rationnel, voire cynique, on peut se dire qu'adopter 20 enfants, finalement à quoi ça rime, qu'est-ce que c'est au regard des centaines de milliers d'enfants qui ont besoin d'être sauvés ? Cela peut paraître une goutte d'eau dans la mer. Pourtant c'est bel et bien à l'audace de mes parents adoptifs que l'on doit la naissance du Projet Imagine" confirme Frédérique Bedos.

"Face à ces énormes défis notamment l'environnemental qui demandent des sacrifices et des renoncements, il faut rallumer la flamme idéaliste des gens. La seule real politique qui vaille est d'être utopiste. Je ne dis pas que cela marchera mais on ne peut pas ne pas essayer. Si on est nombreux à le faire, le monde change !"