Rolex Awards : Sarah Toumi, la femme qui plantait des arbres

Issue d'une famille d'agriculteurs, Sarah Toumi, 29 ans, directrice de l'entreprise "Acacias For All", lutte contre la désertification des terres en plantant des arbres à travers sa Tunisie natale. Nous l'avons rencontrée à Paris dans le cadre des Rolex Awards...

Rolex Awards : Sarah Toumi, la femme qui plantait des arbres
© Sarah Toumi Rolex Awards

Elle semble réservée, discrète et pourtant, Sarah Toumi est une femme d'affaires d'envergure. Avec son mouvement citoyen baptisé Acacias For All, cette jeune Tunisienne de 29 ans s'est lancé le défi de sauver son pays d'origine de la désertification, de la pauvreté et des inégalités. Lauréate des Rolex Awards en 2016, elle utilise aujourd'hui son entreprise sociale pour générer des emplois pour les agriculteurs en leur transmettant un savoir agricole durable. Après avoir décroché son baccalauréat en France, Sarah Toumi s'est soumise à la pression familiale et a étudié la médecine avant de s'orienter vers une licence en communication en Sorbonne et un Master en Littérature française pendant lequel elle a dévoré les aventures des voyageuses françaises du XIXe siècle, des livres qui lui ont fait redécouvrir l'Afrique du Nord sous un autre jour. En 2016, grâce à son projet, Sarah Toumi a réussi à planter 116 000 acacias pour irriguer les terres, trop affectées par le réchauffement climatique. En privilégiant l'acacia, un arbre capable de puiser de l'eau de la terre jusqu'à 100 mètres, elle redonne vie à ces champs défraichis et tente désormais de transmettre son expérience aux plus démunis en espérant les voir un jour voler de leurs propres ailes.

Pourquoi avez-vous décidé de lutter contre la désertification des terres ?

Mon père était tunisien et mes grands-parents étaient des agriculteurs dans le centre de la Tunisie. Le désert avance dans les terres, alors que ce n'est pas une zone aride naturellement. Elle l'est devenue. Les études ont prouvé que tous les oliviers mourront d'ici 2030, si l'on ne réagit pas. Les arbres ne sont pas irrigués car il n'y a pas assez d'eau et, de ce fait, meurent. Ce qui impacte gravement sur les agriculteurs qui n'ont que leurs champs pour vivre. Ça augmente la pauvreté et l'inégalité des genres : les femmes sont les premières touchées, avec les enfants. Elles doivent trouver n'importe quel travail et les filles sont enlevées de leurs écoles, car elles sont trop coûteuses.

"Les femmes sont les premières touchées, avec les enfants"

Vous enseignez des techniques agricoles aux agriculteurs locaux. Comment procédez-vous ? 

On travaille en trois étapes. Il y a la formation : les techniques de restauration des sols comme la permaculture, la plantation : on plante des arbres adaptés au climat et la transformation. On crée des ateliers locaux dans les villages qui récupèrent la production des agriculteurs puis on aboutit à la création d'emploi. Avec ses méthodes, les revenus des agriculteurs est triplé.

Quand et comment avez-vous eu l'idée de créer votre entreprise ?

J'ai lancé ce projet après le décès de mon père en 2012. Il était ingénieur et avait travaillé avec des agriculteurs qui plantaient des acacias et qui produisaient la gomme arabique au Soudan. C'est lui qui m'a poussée et qui m'a soutenue.

Votre victoire aux Rolex Awards a-t-elle eu un impact sur votre travail ?

La médiatisation a donné de la crédibilité à mon projet. Les médias du monde entier en ont parlé. Le gouvernement tunisien s'est même intéressé à moi et traite la désertification comme une cause nationale. Les ministères de l'environnement et de l'agriculture nous suivent de très près et collaborent avec nous. C'est ma plus grande fierté.

Vous avez réussi à planter 116 000 arbres en Tunisie. D'ici 2018, vous comptez en planter 1 million. Comment allez-vous procéder ?

On a été partenaires avec la Direction Générale des Forêts. Elle donne des instructions aux particuliers qui plantent des arbres. On prévoit d'en planter 300 000 cette année. BNP Paribas a déjà financé la plantation de 5 000 arbres. En novembre, on compte lancer une application mobile qui s'appellera 1 Million Trees for Tunisia, pour faciliter l'engagement des citoyens. Leur travail sera récompensé par des prix à gagner. On veut trouver un moyen ludique pour les encourager à se mobiliser avec nous, parce que c'est un travail qui demande beaucoup d'efforts.

Vous êtes sensible aux inégalités et à la pauvreté. avez-vous d'autres idées pour y remédier ?

En ce moment, je me focalise beaucoup sur le développement d'Acacias For All, mais j'accompagne en parallèle des jeunes âgés de 15 à 25 ans issus des zones rurales dans lesquelles je travaille. J'essaie de leur transmettre cet esprit entrepreneuriat pour qu'ils puissent, un jour, faire comme moi. Mon rôle est d'aider des jeunes à progresser dès maintenant pour qu'ils puissent changer les choses en créant des entreprises. Ils ont des idées, mais ce qui manque c'est de les concrétiser. Les jeunes manquent d'espoir à cause de l'inégalité et de la corruption. Je veux leur montrer qu'ils ont plein d'opportunités à saisir en Tunisie aussi.

"Les jeunes manquent d'espoir à cause de l'inégalité et de la corruption"

Quelle(s) autre(s) cause(s) souhaiteriez-vous défendre ?

Je veux soutenir les jeunes filles dans les zones rurales en Tunisie, qui n'ont ni soutien ni modèle. Elles peuvent être des piliers pour leur communauté. J'aimerais monter une fondation pour leur offrir une bourse et un mentorat à partir de 15 ans, voire plus jeune. Je veux les pousser à donner le meilleur d'elles-mêmes. Si elles réussissent, elles montreront aux prochaines générations que les filles peuvent en faire autant que les garçons.

Enfant, aviez-vous d'autres projets ?

Je voulais être astronaute ou archéologue. J'adorais le théâtre. J'ai canalisé toute ma créativité dans mon action associative, mais ce sont toujours des passions. Je me pose des limites dans ma vie : quand j'aurai 35 ans, Acacias For All ne doit plus avoir besoin de mon aide. Je veux créer ma fondation, écrire des livres pour raconter mon histoire et inspirer les autres, ou même écrire de la fiction et de la poésie. J'aimerais reprendre des activités plus artistiques. J'aime toujours l'archéologie et je voudrais sauver les sites en voie de disparition.

Vous avez dit avoir dû choisir entre vos "craintes" et vos "attentes". Quelles sont-elles aujourd'hui ?

Je me projette énormément dans le futur. Je réfléchis beaucoup et essaie de tout planifier. J'y travaille parce que je me suis rendue compte qu'il fallait que je me laisse porter. Les choses viennent au bon moment et je préfère les laisser se faire.

"Nelson Mandela est [...] une grande source d'inspiration"

Pourriez-vous citer une personne qui vous a inspirée ?

Wangari Maathai, la première femme africaine à avoir remporté le prix Nobel de la paix. J'ai lu sa biographie et je me suis reconnue dans son histoire. Elle a planté énormément d'arbres au Kenya et a bravé toutes les épreuves pour sa cause: Green Belt Movement. En traversant des moments difficiles, j'essaie de me rappeler de son parcours. Nelson Mandela est aussi une grande source d'inspiration. Il m'a appris à pardonner aux gens qui m'ont fait du tort.