Je danserai si je veux : quatre femmes et un film pour l'émancipation féminine

INTERVIEW - "Je danserai si je veux", drame israélo-palestinien de Maysaloun Hamoud, relate l'histoire de jeunes femmes palestiniennes luttant pour gagner leur liberté malgré le poids de la société. La réalisatrice et ses trois actrices principales nous ont parlé de ce drame poignant.

Je danserai si je veux : quatre femmes et un film pour l'émancipation féminine
© Yaniv Berman

Je danserai si je veux nous conte les aventures de trois jeunes femmes palestiniennes en colocation à Tel Aviv. Elles sont aussi différentes que leur destin va se lier à travers les épreuves. Laila (Mouna Hawa), jeune avocate, est séduisante, sûre d'elle et farouchement attachée à son indépendance. Salma (Sana Jammalieh), barmaid, est désinvolte, décontractée et compte mener sa vie comme elle l'entend. Au contact de ces deux forts caractères avides de liberté, Nour (Shaden Kanboura), la troisième, va voir son mode de vie très traditionnel bousculé et ses ambitions évoluer. 

Drogue, alcool, cigarettes, relations charnelles, homosexualité... Le film brise de nombreux tabous, à la manière de Much Loved, ce qui lui a valu de susciter la polémique en Israël et dans certains villages en Palestine. Le prix à payer pour vouloir changer les choses. 

Avec ce premier long-métrage engagé et empreint de réalisme, Maysaloun Hamoud livre une ode aux femmes. Ses personnages en quête d'émancipation sont freinés par le poids des traditions et des conventions. Une lutte féministe de chaque instant, dans laquelle s'illustrent trois actrices encore inconnues, mais brillantes d'intensité. Je danserai si je veux est une œuvre émouvante, parfois difficile, mais sans nul doute nécessaire. Pour en parler, nous avons rencontré la réalisatrice accompagnée de Mouna Hawa, Sana Jammalieh et Shaden Kanboura. 

© Yaniv Berman

Le Journal des Femmes : Comment est né le film ?

Maysaloun : J'ai commencé à écrire le film au moment du Printemps Arabe, qui nous a beaucoup touchés en Palestine, même si nous n'y étions pas physiquement. Je danserai si je veux est né avec cet esprit d'activisme et de changement dont nous avions tant besoin, pour une société plus égalitaire, contre la misogynie, l'homophobie et les vieilles traditions.

Le réalisme du film est saisissant. A quel point les personnages sont-ils un reflet de ce que vous êtes dans la vraie vie ?

Sana Jammalieh : Ma vie ressemble beaucoup à celle de Salma. Comme elle, je suis DJ. J'ai également vécu à Tel-Aviv pendant neuf ans après m'être enfuie de Nazareth [ville du Nord de la Palestine, ndlr]. Je ne voulais pas que mes proches sachent où j'étais, avec qui je sortais… Mais le plus important est que Salma, Laila et Nour veulent juste pouvoir être elles-mêmes et non celles que les autres veulent qu'elles soient. C'est quelque chose que nous avons toutes en commun. La société exige toujours quelque chose de nous et il faut parfois être assez courageux pour dire "non".

Mouna : Le film parle de femmes fortes, qui prennent seules leurs décisions. Ça a été le cas pour moi, j'ai quitté mes parents très jeune et j'ai dû me montrer responsable très tôt. J'ai appris beaucoup de mon personnage. Laila est si forte, si sûre d'elle, elle ne s'excuse pas d'exister.

© Yaniv Berman

Shaden : Nour me rappelle beaucoup la personne que j'étais il y a une dizaine d'années. Elle est pleine d'espoir et nous avons toutes les deux cette forme d'innocence. Chacun de nos personnages est à un stade différent de sa quête de liberté. Laila a déjà parcouru beaucoup de chemin, Salma est à un moment crucial de son existence et Nour n'en est encore qu'au commencement, mais je pense que plus rien ne peut l'arrêter ensuite. C'est quand elle rencontre Laila et Salma qu'elle réalise qu'elle peut vivre autrement et faire ses propres choix, tout en restant fidèle à la personne qu'elle est.

Etes-vous féministes ?
Maysaloun :
Après la sortie du film en Palestine et en Israël, un post Facebook disait que le féminisme était un cancer qui contamine notre société. Il y a plein de femmes qui sont féministes sans le savoir, d'autres qui ont peur de dire qu'elles le sont. Ce n'est pas mon cas.

Shaden : Je ne me serais jamais décrite comme une activiste féministe, mais on l'est forcément du fait d'avoir participé à ce film. Pour moi, le féminisme, c'est respecter les femmes et leurs choix : même si ce choix est de rester à la maison et porter un hijab. 

Mouna : Personnellement, je n'aime pas le mot "féministe" car on ne sait jamais vraiment ce qu'il veut dire. Mais je sais que j'ai des revendications en tant que femme et que je crois en des idées qui sont dites féministes. 

Sana : Tout comme Mouna, je n'aime pas les étiquettes. Je ne suis jamais dans les extrêmes, je suis toujours mesurée. Mais je crois en les droits de l'homme et en l'égalité des sexes et je suis née dans une société où elle n'est pas acquise. Je n'ai pas eu d'autres choix que de lutter contre cela, c'est pourquoi on peut dire que je suis féministe.

"Le sujet de la liberté des femmes est sur la table. On ne peut plus l'ignorer"

Que faut-il changer selon vous pour atteindre cette égalité entre les sexes ?

Sana : Les femmes doivent davantage croire en elles.

Maysaloun : Il ne s'agit pas seulement des droits des femmes, mais des droits de l'homme en général. Tout le monde est concerné. Les femmes représentent plus que juste la moitié d'une population, si elles décident de se rebeller et lutter pour leurs droits, c'est la société toute entière qui va changer. 

Mouna : Je pense qu'il n'y a qu'une solution : effacer les sexes, plus de masculin et de féminin, nous sommes juste des humains (rires).

Shaden : Je danserai si je veux dit aux femmes d'élever la voix et ne pas se laisser faire. Si un individu se sent oppressé, ils ne doit pas se taire, même si son oppresseur paraît plus puissant. Les hommes n'ont pas à décider pour les femmes. Ce qui est génial avec le film, c'est qu'il a réussi à ouvrir le dialogue. Il y a des débats, des réactions sur les réseaux sociaux... Maintenant, le sujet de la liberté des femmes est sur la table. On ne peut plus l'ignorer. 

Mouna : Et pour nous, une des meilleures façons d'en parler était de le faire à travers l'art, le cinéma, le théâtre, la musique...

Chacun de vos personnages exprime sa féminité de façon très différente. Être femme, cela passe par quoi aujourd'hui ?

Maysaloun : Il a plein de façons d'être féminine. Chaque personnage de Je danserai si je veux diffuse un modèle de féminité. Nour, sous le prisme de la religion, Salma qui est nature et branchée et Laila, très consciente de sa beauté et de son pouvoir d'attraction. Laila est celle qui se rapproche le plus de l'idée universellement partagée de la féminité.

Shaden : C'est une question très intéressante pour moi. Je ne porte pas de hijab dans la vie et pendant le tournage, je voulais être jolie devant la caméra. Mais ainsi couverte, je ne me sentais pas très sexy (rires). Je me suis donc demandée comment les femmes voilées pouvaient exprimer leur pouvoir d'attraction. C'était un challenge. Finalement, Nour est féminine à travers sa sensibilité, sa douceur, sa maturité et son côté maternel.

Pensez-vous que ce film peut changer les mentalités, dans votre pays, mais aussi dans d'autres ?

Mouna : Le combat est différent pour chaque personnage. Salma lutte pour faire accepter son homosexualité, Laila se bat contre l'hypocrisie des hommes qui se disent ouverts d'esprits, mais n'acceptent pas que leur femme vive différemment de ce que veut la tradition...

Sana : J'ai ouvert un bar à Haïfa [ville côtière en Israël, ndlr] il y a peu de temps. Une fille est arrivée avec un groupe d'amis, elle avait un peu trop bu donc elle m'a interpellée. Elle m'a dit qu'avant d'avoir vu Je danserai si je veux, elle était très homophobe et que cela avait changé désormais. Je lui ai répondu que c'était la plus belle chose que je puisse entendre.

Shaden : Pour moi, cela ne va pas changer seulement la société, mais aussi le milieu artistique, en Palestine notamment. Rien de semblable n'avait été fait auparavant. Le champ est libre pour de futures œuvres qui voudront montrer de nouvelles choses : que ce soit un baiser ou même une scène de sexe.

"Dès le début, nous savions que ce film allait faire l'effet d'une bombe dans la société"

N'aviez-vous pas peur des réactions négatives ?

Maysaloun : Dès le début, nous savions que ce film allait faire l'effet d'une bombe dans la société. C'est la première chose que j'ai dite à tout le casting : "Est-ce que tu réalises dans quel projet tu t'engages ?" Car ce n'était pas juste un film parmi d'autres. Nous en avions conscience, même si nous ne pouvions savoir exactement quelles allaient être les réactions.

Sana : Si l'on veut changer les choses, il faut choquer, on ne peut pas agir "gentiment".

Shaden : Je ne pensais quand même pas que les réactions allaient avoir autant d'ampleur. Mais c'est un débat sain et nécessaire.

 

Avez-vous beaucoup hésité avant de vous lancer ?

Sana : J'avais peur de jouer le rôle de Salma car c'est le premier personnage lesbien porté à l'écran en Palestine. La communauté gay représente un tabou dans notre pays. Il faut en finir avec ça et briser les stéréotypes. Cela avait donc une importance toute particulière pour moi. J'ai cru en ce rôle et je voulais l'incarner de façon juste. 

© Yaniv Berman

Mouna : Le personnage de Laila me faisait peur également, même si c'était un immense cadeau en tant qu'actrice. J'étais préoccupée par le regard que l'on allait poser sur moi ensuite : la drogue, la séduction avec les hommes, le côté femme fatale... C'est quelque chose d'assez extrême pour notre société. Mais je voulais me lancer dans cette aventure pour toutes les Laila, toutes ces femmes libérées dont on ne ne parle pas.

Shaden : Quand j'ai lu le scénario, je suis tombée amoureuse de Nour et de son histoire. Bien sûr, j'ai beaucoup hésité sur la façon dont je devais aborder ce personnage. Etant chrétienne, incarner une musulmane pratiquante était une pression supplémentaire, car beaucoup de choses pouvaient être mal interprétées... et l'ont parfois été d'ailleurs.

L'émancipation des femmes passe également à travers le monde de la nuit. C'est un milieu que vous connaissez bien ?

Maysaloun : C'était très important de montrer cette vie nocturne, pour dire que les personnages du film sont juste des jeunes gens comme partout ailleurs dans le monde. Ce n'est pas la chose la plus importante de leur vie. Il y a le travail, les études, les grands combats à mener que nous avons déjà évoqué... Mais ils font également la fête, comme tout le monde.

Mouna : Dans nos sociétés, il y a comme des périodes dans la vie. On peut sortir et s'amuser quand on est jeune, puis on doit se ranger, se marier, avoir une vie de famille... Je danserai si je veux parle d'une chose à laquelle je crois personnellement : sortir, c'est un mode de vie. Je veux pouvoir le faire même à 60 ans ! Faire la fête, boire et s'amuser, ce n'est pas une mauvaise chose, on veut simplement pouvoir oublier un peu de temps en temps, s'amuser, se détendre... Peu importe notre nombre d'enfants, l'existence que l'on mène et l'âge que l'on a.

Maysaloun, vous avez dit : "Il est temps que les femmes passent au premier plan." Elles sont mal représentées au cinéma ?

Maysaloun : Le monde du cinéma reste très masculin, même si cela évolue. On voit encore trop peu de femmes réalisatrices, par exemple. La plupart du temps, les personnages principaux sont des hommes. Mais les choses changent.

© Paname Distribution

Je danserai si je veux de Maysaloun Hamoud, sortie en salles le 12 avril.