Lena Dunham : "Encore trop de femmes se sentent piégées"

Créatrice et star de la série "Girls", Lena Dunham s'est imposée comme porte-voix d'une génération en manque de modèles. A 30 ans, la New-Yorkaise bien dans son corps, mal dans son temps, continue de faire bouger les choses avec son ego trip devenu politique. L'actrice-réalisatrice-scénariste fait le bilan de ses combats à l'ère Trump, alors que l'ultime saison de son show est sur le point d'être diffusée sur OCS.

Lena Dunham : "Encore trop de femmes se sentent piégées"
© Charles Sykes/AP/SIPA

Lena Dunham, c'est un concept. Une fille au talent précoce qui, à 24 ans, commence à écrire et incarner une série de son point de vue de nana(rcissique) torturée. A l'écran dès 2012 : une version romancée de sa vie, ses amis, sa sexualité, dans laquelle elle tient le rôle principal. Ce pitch d'apparence banale cache les prémices d'une révolution à une époque où les jeunes ont comme seul point de comparaison télévisuel les quotidiens dorés des héros de Gossip Girl et consorts.

Girls ne montre pas de belles femmes hésitantes entre le beau gosse torturé et le gentil pote énamouré. Le show, diffusé sur HBO aux Etats-Unis, dresse le portrait de la génération Y à travers quatre copines ambitieuses, mais paumées. Et aborde par leur biais un tas de sujets qui posent questions dans les années 2010. Hannah, Jessa, Marnie et Shoshanna ont des personnalités complexes, de vrais tiraillements, des corps non-stéréotypés et une vie sexuelle souvent chaotique. Comme des millions de jeunes femmes, qui s'y retrouvent. Et de jeunes hommes, qui les comprennent.

Grâce au succès critique du show, le public fait connaissance avec une Lena Dunham sans filtre. La girl from Brooklyn refuse d'être photoshoppée et ne se prive pas d'exposer bourrelets et capitons quand l'occasion lui est donnée. En plus d'être intelligente et rafraîchissante, la jeune fille est drôlissime. Ses sorties sur la politique ou ses inspirations réunissent 5 millions d'abonnés sur Twitter. En 2014, elle publie une autobiographie, Not that kind of girl (Pas ce genre de fille, NDLR) et lance sa newsletter féministe un an plus tard, Lenny Letter, où elle invite des femmes à s'exprimer sur des sujets qui leur tiennent à cœur. La voilà maintenant qui fait des podcasts sur Youtube.

Cette ancienne hyperactive semble avoir canalisé son trop plein d'énergie dans un flux de pensées et de paroles plus rapide que la moyenne. Alors que le chapitre Girls est sur le point de se refermer avec une ultime saison diffusée dès le 12 février aux USA et le lendemain sur OCS chez nous, nous avons rencontré Lena Dunham à New York. A peine son interlocuteur a-t-il le temps de terminer sa question que la trentenaire embraye, efficace, pertinente, engagée. A l'image de sa série, la moindre de ses réparties, même légère en apparence, cache un message fort. Celui d'un combat, personnel devenu public, pour l'amour de soi, l'égalité et contre l'injustice.

"Même si vous êtes une femme qui ne m'aime pas moi ou mes opinions, je suis de votre côté. Malgré tout. Avec amour. C'est ça le féminisme et ça m'a sauvée."

Comment avez-vous géré les critiques qui ont accompagné ces six dernières années ?
Lena Dunham : J'ai fait le tri entre celles qui avaient de la valeur et les autres. Les conversations sur la diversité sont saines, alors que celles pour savoir si je suis trop grosse pour apparaître à l'écran n'ont aucun intérêt. Il faut garder l'esprit critique afin de distinguer les remarques bénéfiques de la haine inutile.

Si vous aviez dû faire une saison supplémentaire, comment vous seriez-vous approprié le contexte politique actuel ?
Hannah, Marnie, Jessa et Shoshanna appartiennent à la classe moyenne. Elles ne seraient pas affectées par les problèmes liés à l'administration de Donald Trump, même si elles se sentiraient concernées. Historiquement, les femmes blanches de leur niveau de richesse ont toujours eu accès aux soins, même avant la loi sur l'avortement. Ceux qui sont affectés sont les immigrants, les femmes de couleur, celles sous le seuil de pauvreté, qui défendent le planning familial, se protègent d'un potentiel muslim ban, craignent moins de soins à bas coûts... Même si j'aurais adoré voir ces filles se réveiller politiquement, en réalité les vies des personnes bien loties ne vont pas être directement impactées. C'est d'ailleurs ce qui est si injuste.

"Donner aux femmes un lieu de lecture, de pensée, de parole, c'est mon rôle le plus important"

Avec Girls, vous avez construit une immense plateforme politique. Que comptez-vous faire pour continuer votre combat ? 
C'est une des raisons pour lesquelles Jenni (Konner, NDLR) et moi avons fondé Lenny Letter. Quotidiennement, nous mettons en avant une femme qui souhaite aborder ses problèmes personnels ou politiques. Fusionner les deux. Leur donner un lieu de lecture, de pensée, de parole, c'est le rôle le plus important que je puisse jouer. Beaucoup de gens sont mal informés. Sur le planning familial par exemple, ils ne comprennent ce que c'est, ils ne savent pas que l'avortement représente seulement 3% de ses actions. Un tas de fausses informations circulent via les parents, les professeurs ou même les conseillers en éducation sexuelle. Plein de gens ne comprennent pas le principe du mouvement Black Lives Matter, ne saisissent pas ce qu'un réel muslim ban entraînerait. Je veux les amener à une information juste et factuelle. Face à des faits, on prend de meilleures décisions.

On a accusé Hollywood d'être en partie responsable de l'aliénation qui a créé le phénomène Trump. Que répondez-vous à ça ?
J'en ai marre d'entendre que les célébrités ont une telle influence sur les gens. C'est notre devoir de nous exprimer sur ce que nous trouvons juste. Personne ne doit voter en fonction de ce que nous disons, mais notre notoriété nous donne la responsabilité de prendre la parole contre l'injustice.

Vous allez vous présenter ?
Rire : Je ne suis pas assez qualifiée ! J'ai pour habitude de dire que mon passé est trop trouble, mais si Donald Trump y est arrivé, tout le monde peut le faire…

Lena Dunham dans la saison 6 de "Girls" ©  2017 Home Box Office, Inc.

Girls s'est imposée comme une série politique. Quel était votre but au moment de sa création ?
Il y a six ans, je ne pensais pas à Girls comme une série engagée. Pour moi c'était un show sur des gens que je côtoyais. Qu'y a-t-il de politique à montrer la vie telle que vous la connaissez ? C'était avant de comprendre que de filmer des femmes imparfaites, compliquées, c'était ça l'acte politique. Cela dit, j'ai vraiment essayé de garder mes convictions éloignées de la série pour ne pas devenir moralisatrice. Je ne veux pas d'un épisode qui vous dit pour qui voter. Mais si vous regardez la série, vous comprenez clairement de quel côté on se place.

Aucune voix, aucune voix de femme blanche, ne peut parler au nom de toute une génération

Dans le tout premier épisode, Hannah dit qu'elle pourrait être "la voix de sa génération". Girls, c'est la voix dont a besoin la génération actuelle ?
C'est important de ne pas oublier qu'on vit dans une génération très diversifiée. Aucune voix, aucune voix de femme blanche, ne peut parler au nom de toute une génération. Ce que nous pouvons faire, c'est essayer d'élever un maximum de voix pour créer un kaléidoscope qui rappelle aux gens nos besoins, nos passions, nos désirs. C"est important que de plus en plus de créatrices, peu importe leur expérience, puissent émerger comme on m'a permis de le faire.

Quelle est l'idée forte à retenir de cette ultime saison ?
J'espère que les gens auront l'impression que nous avons honoré les personnages auxquels ils se sont attachés, que nous les avons laissés grandir, que nous n'avons pas bâclé la fin et qu'ils ont eu le choix. Trop de femmes se sentent piégées alors qu'elles ont plusieurs options. J'adorerais que le show leur laisse le sentiment d'avoir plus de possibilités.

Vous dites que les femmes ont parfois l'impression de ne pas avoir le choix. Qu'est-ce qui est acquis pour les hommes qui ne l'est pas encore pour elles ?
Ils ont la chance d'avoir pour acquis des promotions au cours de leur carrière, le fait de pouvoir demander ce qu'ils veulent, de quitter leur partenaire sans être jugés alors qu'une célibataire va être mal perçue, le fait que leur valeur aux yeux de la société ne fluctue pas qu'ils aient 20 kilos de plus ou 10 kilos de moins… Si les femmes se mobilisent aujourd'hui, c'est parce qu'elles savent que si elles ne sont pas menacées directement, d'autres peuvent l'être.

© 2017 Home Box Office, Inc.

"Il fallait faire savoir aux femmes qu'elles n'étaient pas les seules à ne pas avoir de sexualité parfaite"

Pourquoi montrer autant de nudité dans la série ?
Il n'a jamais été question d'être salace, mais quitte à montrer le sexe, il doit paraître vrai. J'en avais marre de voir des filles faire l'amour avec leur soutien-gorge, de ne voir que des tailles mannequin prendre leur pied, de voir des filles apprécier une partie de jambes en l'air qui n'a pas l'air agréable du tout. Il fallait contrer ces notions et faire savoir aux femmes qu'elles n'étaient pas les seules à ne pas avoir de sexualité parfaite. Beaucoup de jeunes nous ont dit que ça avait normalisé ce qu'elles vivaient, au lieu de se demander ce qui clochait chez elles. Elles ont compris que le sexe était à la fois bizarre, compliqué et émotionnel. Nous avons besoin que l'art le représente ainsi, comme nous avons besoin de le voir romantique et glamour.

Vous revendiquez montrer des corps différents. Avez-vous l'impression que la société a évolué à ce propos ?
Elle est en train. On voit de plus en plus de diversité, de trans, de personnes sans genre. La dernière campagne Covergirl, pour moi, c'est ça le progrès. Je viens de faire la Une de Glamour sans qu'ils me photoshoppent. C'était une grande victoire. Il y a quelques années, même si on aurait glorifié mon "corps normal", ce corps aurait été supprimé. J'intéresse les gens, mais ils ne veulent pas forcément me mettre en couverture. Ils ne comprennent pas que tout le monde veut voir des personnes réelles. Il n'est pas seulement question de femmes en demande de versions d'elles-mêmes. Les mecs aussi aiment ça ! Ils veulent regarder des corps féminins auxquels s'identifier. N'importe quelle femme pourra admettre que ses courbes ou la texture de ses cheveux ne l'ont jamais empêchée d'avoir des rapports sexuels. Notre image et notre opinion de nous-même sont ce qui nous bloquent dans les relations.

Pensez-vous avoir joué un rôle dans cette évolution ?
Je dirais plutôt que je fais partie d'un groupe qui fait bouger les choses. Amy Schumer, Gabourey Sidibe, Mindy Kaling, Hari Nef… Toutes celles que je considère comme des amies très proches ont permis de casser l'image qu'on avait des femmes. On se soutient dans cette mission.

Girls, saison 6. A partir du 13 février sur OCS.