L'avortement inscrit dans la Constitution ? 3 questions autour de ce vote

Sous un tonnerre d'applaudissements, un texte visant à inscrire dans la Constitution le droit à l'avortement a été validé ce 24 novembre à l'Assemblée nationale. Cela changera-t-il vraiment quelque chose pour les femmes ? Le Journal des Femmes répond à trois questions qui se posent autour de ce vote.

L'avortement inscrit dans la Constitution ? 3 questions autour de ce vote
© Mathilde Panot, présidente du groupe LFI à l’Assemblée, lors d'une séance de questions au gouvernement, le 22 novembre 2022 au Palais Bourbon. NICOLAS MESSYASZ/SIPA

Le recul du droit à l'avortement aux États-Unis en juin dernier a ébranlé la conscience des députés français. Après que décision a été prise de ne plus garantir ce droit au niveau fédéral aux États-Unis le 24 juin dernier, l'Assemblée nationale a validé jeudi un texte visant à l'inscrire dans la Constitution. Soutenue par la gauche, la proposition a été votée à 337 voix pour et 32 voix contre.

Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance (ex-La République en marche !) au Palais-Bourbon avait annoncé dès le 25 juin le dépôt d'une proposition de loi pour inscrire "le respect de l'IVG dans notre Constitution". La députée a immédiatement été soutenue par la Première ministre, Elisabeth Borne, et suivie par les députés de La France insoumise (LFI), qui ont déposé une proposition similaire, au détail près qu'elle garantissait également le droit à la contraception. Finalement, la formulation négociée ce 24 novembre entre la gauche et la majorité vise à inscrire dans la Constitution que "la loi garantit l'effectivité et l'égal accès au droit à l'interruption volontaire de grossesse".

Qu'est-ce que cela changerait pour les femmes ?

Sur un strict plan juridique, l'entrée dans la Constitution du droit à l'avortement, protégé par la loi du 17 janvier 1975 que l'on doit à Simone Veil, ne changera rien au niveau du droit d'accès à l'avortement. Depuis l'adoption de cette loi, l'interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée jusqu'à 14 semaines de grossesse pour toutes les femmes, majeures ou mineures. Ces dernières peuvent y recourir sans autorisation parentale. En 2020, 222.000 interruptions volontaires de grossesse (IVG) ont été réalisées en France. 

La constitutionnalisation du droit à l'avortement avant tout symbolique ?

En revanche, comme l'a montré l'exemple américain, l'avenir est incertain. Un recul des droits de l'homme et de la femme n'est donc pas à exclure, même au pays des libertés. L'entrée dans la Constitution du droit à l'avortement permettrait alors de garantir que toute loi qui serait destinée à le restreindre serait contraire à la Constitution française, et donc impossible à adopter. 

Malgré tout, une modification de la Constitution reste envisageable. En soixante ans, elle a ainsi été révisée à vingt-quatre reprises. La démarche reste néanmoins très compliquée et soumise à de solides filets de sécurité. La procédure nécessite en effet soit la tenue d'un référendum après que l'Assemblée nationale et le Sénat soient parvenus à se mettre d'accord sur un texte à la virgule près, soit la convocation par le président de la République d'un Congrès à Versailles, qui doit adopter le projet à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés par les députés et les sénateurs. Il y a actuellement 577 députés et 348 sénateurs. Pour être certain de pouvoir réviser la Constitution en passant par le Congrès, le parti majoritaire doit donc pouvoir compter sur 60 % de ce total, soit 555 parlementaires.

Quoi qu'il en soit, l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution servirait à affirmer un peu plus l'identité de la France, pays des droits de l'Homme. "En faisant cela, la Constitution reconnaît l'enjeu du droit reproductif et de l'égalité entre les femmes et les hommes comme valeurs fondatrices", argumente dans les colonnes du Parisien Diane Roman, professeure à l'École de droit de la Sorbonne. Dans un tweet publié ce 24 novembre, la présidente du groupe LFI à l'Assemblée, Mathilde Panot, écrit ainsi : "Aujourd'hui, la France parle au monde. [...] Pour ces femmes qui luttent, partout dans le monde : cette victoire est pour vous."

Quelles étapes avant que la constitutionnalisation soit actée ?

Le macroniste Sacha Houlié, président de la commission des lois, s'est réjoui auprès de l'AFP d'un "grand pas", mais qui n'est "qu'un premier pas". L'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution est en effet encore loin d'être acquis, de nombreuses étapes restant encore à franchir.

Comme expliqué plus haut, la modification de la Constitution française nécessite soit le recours à un référendum, soit l'adoption du projet à la majorité des trois cinquièmes lors d'un Congrès à Versailles, convoqué par le président de la République. Ici, si l'Assemblée a glorieusement réussi à s'entendre sur ce texte initié par la gauche, le soutien du Sénat, où la droite dispose de la majorité, est loin d'être acquis.

Et si cela devait se produire, le texte devrait encore être ratifié, ce qui, lorsqu'il vient du Parlement, ne peut se faire que par référendum. Or depuis 1958, aucune révision entreprise par le Parlement n'a abouti. Pour faciliter l'aboutissement de cette démarche, l'exécutif pourrait s'emparer du dossier pour en faire un projet de loi constitutionnel. Le gouvernement aurait alors le choix de faire adopter son texte par référendum ou à la majorité des 3/5e du Congrès, comme cela s'est déjà vu à vingt-deux reprises depuis 1958.

"Il faut qu'il y ait un projet de loi pour éviter un référendum, mais aussi pour que l'on travaille à la meilleure formule juridique avec des constitutionnalistes au sein du gouvernement", plaide auprès de l'AFP la sénatrice EELV Mélanie Vogel. "Honnêtement, je ne comprends pas qu'ils ne la reprennent pas, ils auraient tout à y gagner politiquement alors que les Français y sont favorables", ajoute-t-elle. "Laissons le temps au débat parlementaire", plaide de son côté l'entourage du garde des Sceaux, Eric Dupont-Moretti. "Tant que l'Assemblée nationale et le Sénat ne sont pas d'accord, la question du véhicule législatif ne se pose pas", estime une autre source gouvernementale.