Golshifteh Farahani : voile, crâne rasé et fuite aux États-Unis, pourquoi a-t-elle quitté définitivement l'Iran ?

Golshifteh Farahani est née en Iran. En 2008, elle fuit son pays natal. Aujourd'hui âgée de 39 ans, l'actrice élève sa voix pour soutenir le mouvement de manifestations qui secoue la République islamique d'Iran. Interrogée par "Le Monde", l'actrice d'"Un Divan à Tunis" décrit son exil et se confie sur le voile.

Golshifteh Farahani : voile, crâne rasé et fuite aux États-Unis, pourquoi a-t-elle quitté définitivement l'Iran ?
© Marechal Aurore/ABACA

Il y a quinze ans, Golshifteh Farahani fuit l'Iran. En cause ? Le "harcèlement" et les "tracasseries" des services secrets iraniens, confie la star du long-métrage Un Divan à Tunis, diffusé sur Arte ce 12 octobre 2022, en interview au journal Le Monde. Pourtant, celle qui a depuis obtenu la nationalité française n'avait pas toujours envisagé ce départ. "Je n'avais jamais imaginé construire une vie hors de mon pays, loin des miens.", précise-t-elle dans son entretien.

L'actrice épatée par la jeunesse iranienne 

Née en 1983, Golshifteh Farahani constate le fossé qui sépare sa génération avec la jeunesse d'aujourd'hui. Des lycéens et des étudiants aux commandes d'un soulèvement populaire mené depuis le 16 septembre dernier, lorsque Mahsa Amini, 22 ans, arrêtée par la police des mœurs à Téhéran pour "port inapproprié de vêtements", décède trois jours plus tard. Un drame qui a suscité depuis une vague de manifestations inédites à travers le pays. "Cette génération Z n'a connu ni la révolution ni la guerre, elle est née dans le marasme, coincée dans un pays qui est une dictature. Mais elle a Instagram, TikTok, elle sait ce qu'il se passe dans le monde, elle est irrévérencieuse, sans complexe ni timidité. J'ai l'impression qu'elle ne craint rien", soutient Golshifteh Farahani.

Elle s'est rasée le crâne : pourquoi un tel geste ?

De son enfance, la comédienne issue d'une famille d'artistes se souvient de "l'esprit de liberté" qui régnait chez elle même si "tout était interdit". "La rébellion est dans notre ADN, l'art est notre oxygène", explique l'ex-compagne de Louis Garel, avant d'évoquer "les fêtes immenses" organisées par son père "où l'on chantait, dansait, buvait, et discutait à n'en plus finir". Mais l'ombre du régime guette. "La tragédie n'était jamais loin. Joie et tristesse sont indissociables en Iran. On rit et l'on pleure en même temps.", se souvient-elle.

Plus tard, Golshifteh Farahani préfère effacer tout signe de féminité, allant jusqu'à prendre une décision radicale. "A l'adolescence, je me suis rasé la tête et je me suis fait passer pour un garçon. J'avais ainsi une double vie. Je bandais mes seins, enfilais un chapeau, et sortais dans la rue, à pied ou à vélo, libre, insouciante, enfin invisible !", rapporte-t-elle. Un geste ultime pour mener une vie sans contrainte.

Golshifteh Farahani et le voile, "le prix à payer" ?

Issue d'une génération de jeunes iraniennes obligées de porter le voile, Golshifteh Farahani se soumet pendant des années, non sans amertume. "On a d'abord pensé que si c'était le prix à payer pour se débarrasser à jamais du régime précédent, ce n'était pas bien grave. Mon père s'est tu, ma mère s'est dit que c'était une concession temporaire aux religieux qui, de toute façon, partiraient après deux ou trois ans. (...) Ce voile accompagnait un ensemble de discriminations politiques, juridiques, économiques, sociétales, insupportables contre les femmes", explique-t-elle. Et son jugement sur le voile est sans appel. "Il camouflait des mœurs écœurantes : dans les taxis, les bus, la rue, les hommes nous frôlaient, nous touchaient, avaient des gestes pervers et dégradants, convaincus d'avoir sur nous tous les droits. La loi était contre les femmes", assure-t-elle.

Sa carrière aux Etats-Unis lui vaut la surveillance des services secrets 

Mais celle qui "toute sa vie, en Iran, a détesté être une femme !" n'est pas au bout de ses peines. Loin de son pays d'origine, elle est vite rappelée à l'ordre lorsqu'à 24 ans, elle foule un tapis rouge américain sans couvrir ses cheveux. "Lorsque je me suis permis d'apparaître tête découverte, à 24 ans, à New York, le soir de la première du film de Ridley Scott dans lequel je jouais, tout le pays m'est tombé dessus. Personne ne m'a soutenue. Ça m'a détruite".

Sa carrière aux Etats-Unis, en marge de celle qu'elle mène alors aussi en Iran avec succès, va définitivement lui coûter cher. "Le film américain Mensonges d'Etat a attiré toutes les suspicions du régime. Pendant sept mois, je suis allée d'interrogatoire en interrogatoire, des services secrets à la Cour de la révolution (...) Et puis il y avait les menaces (...) Au fond, ils voulaient m'enrôler. J'ai ainsi compris que les gens du cinéma iranien autorisés à voyager sont forcément appelés à collaborer avec les services secrets. Sans quoi ils seraient comme moi en exil", dit-elle. Elle ajoute : "Un jour, mon juge si redouté, troisième personnage du système judiciaire iranien, responsable de la mort de plusieurs amis de mon père, m'a dit : 'J'ai réussi jusqu'à présent à faire patienter les services secrets, qui vous sont hostiles. Ça ne durera pas. Partez. Vous avez vingt-quatre heures.'" Elle s'installe alors un temps aux Etats-Unis.

Des Etats-Unis à la France, une nouvelle vie loin de l'Iran

L'actrice a alors perdu sa maison et est devenue Française car, après cette épreuve douloureuse, c'est finalement en France que l'actrice trouve l'apaisement. "C'est en débarquant à Paris que j'ai senti que les femmes ne sont pas coupables. C'est le plus grand cadeau que m'a fait la France", confie celle qui est suivie par plus de 14 millions d'abonnés sur Instagram. Après avoir vécu huit ans à Paris, l'artiste qui se partage désormais entre Porto et Ibiza soutient la révolte qui gronde dans son pays d'origine. Une mobilisation unique à ses yeux "Parce que des hommes sont prêts à mourir pour la liberté des femmes", conclut-elle.