Plus vous êtes dénudée, plus votre photo est mise en avant : l'enquête choc sur Instagram

Dans une enquête publiée le 15 juin, Mediapart révèle que les clichés de personnes dénudées sont davantage mis en avant sur Instagram. Un concept qui pourrait s'apparenter à une "prime à la nudité". Un principe qui pousse les influenceurs à faire tomber la chemise pour obtenir plus d'audience.

Plus vous êtes dénudée, plus votre photo est mise en avant : l'enquête choc sur Instagram
© Roman Khodzhamedov

Sable blanc, bikini, fitness… C'est bien connu, Instagram fait rêver. La plateforme, qui accueille 1 milliard d'utilisateurs actifs mensuels, est devenue le repaire des influenceurs aux millions de followers et de "likes" sur chacune de leurs photos. Mais d'où vient cette abondance de chair, de maillot de bain et de muscles en action, qui réunissent souvent beaucoup plus de "likes" que n'importe quel cliché de paysage ? Dans une enquête publiée le 15 juin, Mediapart révèle que plus les internautes sont dénudés sur leurs photos, plus ces dernières ont des chances d'être vues par le plus grand nombre.

"Toutes mes photos les plus likées sont faites en sous-vêtements"

En réunissant les témoignages de plusieurs influenceurs, Mediapart s'est rendu compte que la nudité était un élément-clé pour multiplier les "j'aime". Pour Juliette, professeure de yoga et micro-influenceuse (personne suivie par 10 000 abonnés ou moins), "certaines images fonctionnent mieux que d'autres".  Le constat est le même pour Yasmine K.:"Presque toutes mes photos les plus likées sont soit moi en sous-vêtements, soit moi en maillot de bain".

L'explication derrière ce phénomène n'est pas aussi simple qu'un attrait naturel pour les "beaux corps". Comme le révèle Mediapart, les images ne sont pas présentées aux abonnés dans un ordre chronologique, mais sont triées par un algorithme propre au réseau social.

Un score de "nudité" donné aux photos : mythe ou réalité ?

L'algorithme qui régit Instagram est maintenu secret par l'entreprise.  En revanche, un brevet intitulé "Notation d'image basée sur l'extraction de caractéristiques", déposé en 2015 par deux ingénieurs de Facebook permet de s'en approcher.

Selon le document, chaque photo postée par un utilisateur reçoit un "score d'engagement", qui correspond à la "probabilité que tous les utilisateurs ont d'interagir avec un objet multimédia donné". En conséquence, plus le score d'engagement sera fort, plus la photo est susceptible de plaire aux abonnés.

Pour déterminer ce score, l'algorithme se base sur plusieurs facteurs dont les goûts personnels, le "genre", "l'ethnicité" ou encore le "niveau de nudité".

"L'interface de programmation peut évaluer le niveau de nudité des personnes sur une image, en détectant les bandes de couleurs spécifiques, identifiées comme des nuances de couleur de peau", indique le brevet.

"Les photos en sous-vêtements ou en maillot montrées 1,6 fois plus que les photos habillée"

Dans l'espoir de découvrir si Instagram utilise ce même procédé, les journalistes de Mediapart ont contacté la plateforme, qui a précisé que les publications étaient organisées "en fonction des comptes suivis et appréciés, pas en fonction de critères arbitraires comme la présence d'un maillot de bain".

Pour s'en assurer, Médiapart a analysé 1737 publications contenant 2400 images postées sur Instagram entre février et mai 2020. Le bilan est loin d'être équivoque : "Nos résultats permettent d'affirmer qu'une photo de femme en sous-vêtements ou maillot de bain est montrée 1,6 fois plus qu'une photo d'elle habillée. Pour un homme, ce taux est de 1,3".

L'enjeu est de taille, quand on sait qu'Instagram est le réseau social poussant le plus au suicide les jeunes adolescentes, selon une étude de la société royale britannique pour la Santé publique menée en 2017.

"Le message envoyé à toutes les femmes sur Instagram est limpide", explique la journaliste Judith Duportail au micro d'Europe 1, "Tout ce que vous avez à dire sera toujours moins important que votre corps".

Les communautés LGBTQ+, handicapées, obèses : victimes du "Shadow Ban"

Et malheureusement, cette exposition promotionnelle ne concerne pas tous les corps. D'après une étude menée en 2019 par l'association de défense des droits des personnes transgenres Salty, les clichés qui mettent en scène des corps qui ne rentrent pas dans les canons de beauté définis par la société seraient plus susceptibles d'être masqués par Instagram, sans que l'utilisateur ne soit nécessairement mis au courant. Cette pratique porte désormais un nom : le "shadow ban".

Dernièrement, la DJ et militante Leslie Barbara Butch en a fait les frais, alors qu'elle avait posté sur Instagram un cliché de Télérama où elle posait sans haut. Face à ces abus, peu d'influenceurs parviennent à trouver les armes contre la plateforme, qui peut simplement couper leur source de revenus.

"C'est clair que c'est hyper injuste comment tout cela fonctionne. Mais, en même temps, sur les réseaux sociaux, c'est comme si on avait abandonné l'idée de justice, non ?" remarque une des influenceuses. Espérons que ce ne soit pas le cas.