L'adultère puni de prison en Tunisie : zoom sur un thème de NOURA RÊVE

A l'occasion de la sortie en salles le 13 novembre de "Noura Rêve", de Hind Boujemaa, qui dresse le portrait d'une femme qui cherche à divorcer tout en étant soupçonnée d'adultère, nous avons interrogé Rihab Boukhayatia. Journaliste Société-Culture pour le HuffPost en Tunisie, cette dernière nous éclaire sur la loi en vigueur dans son pays.

L'adultère puni de prison en Tunisie : zoom sur un thème de NOURA RÊVE
© Paname Distribution

D'où vient la loi sur l'adultère en Tunisie et à quel point est-elle inscrite dans les mœurs ?
Rihab Boukhayatia : 
Considéré comme une transgression du devoir de s'abstenir de toutes relations sexuelles hors du cadre du mariage et du serment de fidélité entre les époux, l'adultère est répréhensible dans notre société comme il l'était et l'est toujours dans d'autres civilisations et sociétés. En Islam, l'adultère est sévèrement puni en vertu de ce verset : "La fornicatrice/az–zâniya et le fornicateur/az–zâniy, fouettez-les chacun de cent coups de fouet. Et ne soyez point pris de pitié pour eux dans l'exécution de la loi d'Allah – si vous croyez en Allah et au Jour dernier. Et qu'un groupe de croyants assiste à leur punition". (Sourate AN-NŪR)

En tant que pays de culture arabo-musulman, la Tunisie adapte une approche répréhensible de l'adultère tout en adoptant une punition plus clémente par rapport à la charia islamique. L'article 236 du Code pénal tunisien énonce que "L'adultère du mari ou de la femme est puni d'un emprisonnement de cinq années et d'une amende de 500 dinars. Il ne peut être poursuivi qu'à la demande de l'autre conjoint qui reste maître d'arrêter les poursuites ou l'effet de la condamnation. Lorsque l'adultère est commis au domicile conjugal, l'article 53 du présent code ne sera pas applicable. Le complice est puni des mêmes peines que la femme ou le mari coupable".

La pénalisation de l'adultère s'inscrit également dans la cadre du législateur de préserver l'institution familiale, considérée comme le noyau de la société.

Quelle est l'importance de NOURA RÊVE dans l'illustration de ladite loi ? Qu'est-ce que raconte le film sur elle, et plus généralement sur la société tunisienne ?

Rihab Boukhayatia © DR

Rihab Boukhayatia : Le film est l'occasion pour se pencher sur les ravages de la loi tunisienne en la matière. L'accusation d'adultère est très souvent utilisée par l'un des époux comme outil de vengeance. S'ajoutent à cela les désastres de la loi sur les enfants : comment peut-on préserver la famille et les enfants avec un des partenaires en prison ?

Des familles ont éclatées après une telle accusation. C'est notamment le cas quand un homme porte plainte contre son épouse pour adultère. La réputation de cette dernière sera entachée toute sa vie alors que si c'est l'homme qui est incriminé, il sera généralement pardonné, aussi bien par sa femme que par la société. D'ailleurs, beaucoup de femmes, voulant préserver leur ménage, ne portent pas plainte ou arrêtent les poursuites.

Il faut savoir que cette question dépasse également le cas particulier de l'adultère. Elle révèle les regards de la société sur la sexualité hors mariage. Si la sexualité hors mariage et extraconjugale est plus tolérée pour les hommes, considérée comme "victimes de leurs pulsions", celle des femmes est sévèrement blâmée par la société.

Certaine presse par exemple a plus tendance à traiter des affaires où la femme est accusée d'adultère. Elle en parle de manière sensationnelle parce qu'elle surfe sur l'attraction du sexe, de l'interdit, du scandale.

Pensez-vous que les choses pourront changer et qu'on pourra aller vers une dépénalisation ? Si oui, pourquoi ?
Rihab Boukhayatia : 
Ce film est une occasion pour poser le débat. Contrairement à d'autres sujets liés aux mœurs, la pénalisation de l'adultère ne soulève pas beaucoup de débats en Tunisie. Pourtant, ses préjudices sont bien réels sur les individus et les familles. On est dans une période où le statu quo prévaut s'agissant des questions des mœurs en Tunisie donc je ne pense pas que les choses vont changer à court terme. Les questions liées aux libertés individuelles ne font pas l'objet d'un consensus politique. Avec l'arrivée au pouvoir d'un président de la République, Kais Saied, conservateur sur les questions de société ainsi qu'une majorité parlementaire islamiste, les possibilités d'une évolution positive sur ces questions sont minimes.

Le film a le mérite de remettre les questions sociétales dans l'ordre des priorités, de rappeler qu'il n'y a pas de démocratie sans libertés individuelles et sans la préservation de la vie privée. L'Etat n'a pas à s'immiscer dans l'intimité des citoyens. Le film s'inscrit ainsi dans une lutte à long terme pour arracher les droits et libertés longtemps réclamés par une frange de la société et qui constitue l'ossature de toute société démocratique.