Gabrielle Dréan sur les test ADN : "Ne pas connaître ses origines est une souffrance"

Notre ADN dit tout de nous. Grâce à lui, les secrets de nos origines peuvent être percés. Le documentaire "ADN : La Quête Des Origines", diffusé le 24 septembre à 20h50 sur France 5, suit les parcours d'Audrey, Arthur, Romain et John, qui ne connaissaient pas leurs origines jusqu'à ce qu'ils réalisent un simple test ADN, interdit en France, afin de découvrir les mystères de leur arbre généalogique. Gabrielle Dréan, réalisatrice du long-métrage, nous éclaire.

Gabrielle Dréan sur les test ADN : "Ne pas connaître ses origines est une souffrance"
© Nova Production et France Télévisions - Capture d'écran

Ils ne connaissent pas leurs origines et pourtant, leur vie a basculé le jour où ils ont procédé à un test ADN afin de remonter leur arbre généalogique. Ils sont issus de PMA ou d'une relation extra-conjugale et ce point d'interrogation permanent les a longtemps empêché de se construire pleinement. Audrey, Arthur, John et Romain ont accepté de se livrer dans le documentaire ADN : La Quête Des Origines, réalisé par Gabrielle Dréan, diffusé le 24 septembre à 20h50 sur France 5. Savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va. Une quête semée d'embûches, mais pourtant essentielle. La réalisatrice du long-métrage raconte l'envers du décor au Journal Des Femmes.

Le Journal des Femmes : Pourquoi avoir décidé de réaliser un documentaire sur l'ADN ?
Gabrielle Dréan :
Le calendrier parlementaire a commencé à parler de la révision de la loi sur la bioéthique il y a environ un an. J'ai lu pas mal de témoignages d'adultes nés de PMA qui m'ont particulièrement touchée, notamment celui d'Arthur (qui apparaît dans le documentaire, NDLR). Il est le premier enfant né de don de sperme à avoir retrouvé son donneur, en remontant la piste grâce à un test ADN. Son témoignage m'a à la fois étonnée et touchée. On sentait que même s'il avait été comblé pendant son enfance auprès de sa famille, il lui manquait un petit morceau de son identité pour pouvoir se construire complètement. J'ai compris qu'il y avait une vraie souffrance chez ces personnes qui ne connaissent pas tout de leur origine. Ces gens ne recherchent pas une belle histoire, ils ont juste besoin de se connaître. 

Ne pas connaître ses origines peut être une réelle frustration et handicapant au quotidien…
Gabrielle Dréan : 
Si l'on connaît notre famille, on sait pourquoi on a les cheveux bouclés, un côté maniaque, etc… Pour ces personnes qui ne connaissent pas leurs origines, ces petites questions deviennent des obsessions. Après avoir appris qu'elle avait été conçue par PMA, Audrey a passé des semaines avec des papiers journaux scotchés sur ses miroirs, car elle ne voulait même plus se regarder dans la glace. Elle voyait ce nez, ces yeux, et elle se demandait à qui elle ressemblait. 

Comment avez-vous convaincu ces intervenants de livrer une part si personnelle d'eux-mêmes ? 
Gabrielle Dréan :
Certains, comme Arthur et Audrey, sont militants. Ils ont livré leur histoire pour éveiller les consciences sur ce sujet… La négociation a été un peu moins ardue avec eux. Néanmoins, se livrer reste une souffrance. Quand on passe des journées entières à les interviewer et creuser avec eux dans leur passé, dans leurs tripes, le lendemain, ils nous disent : "Vous nous avez tellement 'torturé', questionné, que l'on n'en a pas dormi de la nuit." 
D'autres, qui ne sont pas militants, comme Marie et Romain, ont été un peu plus difficiles à convaincre. Ils avaient peur que le documentaire soit voyeur ou dérangeant, ils étaient inquiets du résultat. Il a fallu gagner leur confiance, nous avons donc discuté longtemps. L'avantage avec l'émission Le Monde En Face est qu'ils nous laissent beaucoup de temps pour travailler. Je suis devenue à la fois leur amie et confidente, avant même qu'ils ne se livrent devant une caméra. C'est un travail de mise en confiance qui est très long. 

Quels moments forts retenez-vous de ce tournage ? 
Gabrielle Dréan : En ce qui concerne John, la réunion des Nelson aux Etats-Unis était dingue. Les gens l'ont accueilli à bras ouverts, il était toujours au bord des larmes. C'est un bonhomme très assuré, très fort. Il n'est pas du tout chancelant et fragile et pourtant, j'ai senti que toute son assurance et son expérience de ses 52 ans était en train de vaciller face à l'émotion. Cet accueil et cet amour, c'était fou. Après avoir retrouvé sa famille, il est devenu généalogiste génétique, a créé son site à ce sujet et milite pour l'autorisation des tests ADN en France.
Le moment où Arthur rencontre Gérard, son donneur, était assez dingue aussi, d'autant plus qu'il a été le premier adulte issu de PMA à avoir trouvé son donneur. Arthur, qui habituellement maîtrise ses émotions, était comme un gosse ! 

Arthur se rend compte que son sens original de l'organisation lui vient de son donneur. Ces sortes de points communs héritées d'aïeux, que l'on ne connaît parfois même pas, sont troublants. On se dit que la génétique va réellement au-delà de la science…
Gabrielle Dréan : 
C'est effectivement très troublant. Nous sommes le fruit de l'éducation de nos parents, mais aussi de nos cellules. On hérite d'un ADN qui nous transmet bien plus qu'une apparence physique. Audrey, par exemple, sait très bien que si elle est bonne élève, sérieuse et perfectionniste, ce n'est pas juste le fruit de son éducation, mais aussi parce qu'elle a hérité des traits de personnalité de quelqu'un qu'elle ne connaît pas, c'est certain ! 

Pourquoi en France, réaliser un test ADN est-il interdit, en dehors du cadre médical ou judiciaire ? 
Gabrielle Dréan : 
En France, les législateurs sont très attentifs à la protection de la vie privée et quand on fait un test ADN, on donne une partie de son corps qui entre dans des bases de données. On devient catalogué. Avec l'ADN, on peut tout savoir. On peut remonter à une origine nord-africaine ou asiatique, on sait si l'on est issu d'une famille qui a des tendances diabétiques, on sait si on a un risque plus élevé d'avoir un cancer du sein, etc… La science avance très vite dans ce domaine : bientôt, nous pourrons savoir si l'on a des tendances à être addictifs ou fragiles vis-à-vis de l'alcool… Si ces données sont revendues à une assurance qui apprend, par exemple, que vous êtes diabétique, votre assurance santé coûtera plus cher… 

Sera-t-il possible de faire évoluer la loi de bioéthique qui empêche les enfants de PMA d'obtenir des informations sur leurs donneurs anonymes ?
Gabrielle Dréan : 
C'est sûr. D'abord, ce que les associations essaient d'obtenir auprès de législateurs, c'est la possibilité de connaître les données non-identifiants. Chaque donneur, avant de donner son sperme, enregistre un dossier dans lequel il précise s'il y a une maladie génétique dans sa famille, s'il est grand, blond, d'origine suédoise, etc… Connaître ces données serait déjà un grand pas pour les enfants issus de PMA. Ils veulent au moins savoir s'ils ont plus de risques de développer une maladie, par exemple.

Ne manquez pas le documentaire ADN : La Quête Des Origines, le 24 septembre à 20h50 sur France 5. Le long-métrage sera suivie d'un débat animé par Marina Carrère d'Encausse.