Jérôme et Yann racontent leur GPA, ils ont choisi une mère-porteuse au Canada

Ils sont nés en France, se sont rencontrés et mariés à Paris. Animés par un désir d'enfant mais découragés par les procédures d'adoption, Yann, 31 ans, et Jérôme, 29 ans, ont choisi de recourir à une GPA au Canada pour devenir pères. Prochainement, ils s'y installeront. La naissance de leur enfant est prévue pour février. Témoignage.

Jérôme et Yann racontent leur GPA, ils ont choisi une mère-porteuse au Canada
© 123RF

C'est l'un des gros dossiers de cette rentrée pour le gouvernement. L'ouverture à la PMA à toutes les femmes a obtenu un premier feu vert ce mercredi 11 septembre à l'Assemblée nationale, tandis que l'ensemble du projet de loi bioéthique sera examiné à partir du 24 septembre.
Face à ce premier pas, une question alors se pose en sous-marin : cette ouverture pourrait-elle entrainer, à terme, la légalisation de la GPA (Gestion Pour Autrui), aujourd'hui interdite en France ?
Peut-on s'attendre à un effet domino ? Comme l'explique la journaliste Bénédicte Flye Sainte Marie dans son ouvrage PMA, le grand débat (éd. Michalon), l'hypothèse selon laquelle l'ouverture de l'une appelle mécaniquement à la légalisation de l'autre reste envisageable : "Une fois l'élargissement de la PMA  effectif, les couples d'hommes pourraient revendiquer au nom de la justice sociale et de la volonté qu'ils ont eux aussi de créer une famille d'avoir accès à la GPA. Cependant, il est peu probable que ce soit durant ce mandat car Emmanuel Macron est opposé à la GPA".  En revanche, toujours selon Bénédicte Flye Sainte Marie, cette réforme marquerait un vrai virage par rapport à l'extension de la PMA car elle n'est pas de même nature : "Elle fait appel à un autre corps que ceux des futurs parents. La GPA contredit le principe inscrit dans la loi qui dit que "toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d'autrui est nulle". Elle nécessiterait donc de faire évoluer le droit civil français". En attendant que la question n'évolue face aux décisions imminentes, nous avons discuté avec Yann, 31 ans, et Jérôme, 29 ans, un couple de Français qui par désir de paternité a choisi de s'envoler pour le Canada, pays où la GPA est autorisée. Ils nous confient leur démarche, leurs péripéties, leurs questionnements mais aussi leur plus grand bonheur. 

"L'adoption était vouée à l'échec, notre dossier allait être mis sous la pile"

Nous nous sommes rencontrés à Paris il y a six ans, via une appli. Très vite, une histoire d'amour a démarré entre nous. Et très vite aussi, nous avons parlé parentalité. Nous voulions des enfants, notre désir était commun. Nous nous sommes mariés en 2017. Une union motivée par l'envie de fonder une famille et d'adopter un enfant. Il nous fallait "cadrer" les choses. Cependant, nous nous sommes rapidement rendu compte que l'adoption était vouée à l'échec. Sans jouer les défaitistes, les nombreux témoignages et reportages venus nourrir notre démarche nous ont laissé entendre que nous pourrions obtenir l'agrément facilement – pas de discrimination lors de cet étape, mais que le Conseil de famille, qui vient ensuite trancher, ne ferait pas de notre couple une priorité. Les dossiers ne sont pas anonymes, et systématiquement, les couples hétérosexuels sont privilégiés. Notre dossier allait mettre sous la pile. La GPA étant notre plan B, nous avons décidé de nous diriger vers celui-ci, de ne pas renoncer.

"Notre choix s'est porté vers une GPA au Canada"

En janvier 2018, nous avons commencé par contacter l'association ADFH (Association des Familles Homoparentales), afin d'être guidés, car difficile de savoir par où démarrer. En parallèle, nous nous sommes renseignés et documentés. Grâce à l'association, nous avons pu échanger avec des couples homoparentaux ayant eu recours à la GPA. Des vécus encourageants et inspirants, qui vont plus loin que les "simples avis" sur les cliniques que l'on peut lire ici et là. On a aussi pu lister les pays au sein desquels la GPA est autorisée. Notre choix s'est porté sur le Canada. Ça nous paraissait plus sûr, plus éthique, et financièrement, le coût y est moins important qu'aux Etats-Unis. Le prix fluctue selon les pays, entre 65 000 et 85 000 euros.

Ce n'est pas l'aspect francophone qui nous a poussés, puisque finalement, nous avons atterri dans la partie anglophone du pays. Mais beaucoup de nos interlocuteurs parlent français. Sinon, on se débrouille, on comprend l'anglais à l'écrit. 

Une fois les démarches lancées, nous avons eu affaire à quatre acteurs. Le premier, c'est une agence qui chapeaute le tout et référence notamment les mères porteuses. Puis elle oriente les couples homoparentaux – sans rien imposer - vers les autres acteurs : une agence qui référence de son côté les donneuses d'ovocytes et une clinique qui centralise les démarches médicales (récupération des ovocytes, don de sperme, création des embryons, transferts d'embryons, suivi de début de grossesse…), et enfin, une avocate. 

"C'est la femme porteuse qui choisit le couple qu'elle veut aider"

C'est à Paris que nous avons rencontré l'agence canadienne qui allait jouer les intermédiaires. Ce type d'agence organise des déplacements qui doivent rester très confidentiels. Ensuite, place à la constitution de notre dossier : nous racontons qui nous sommes, quelles sont nos motivations, nos modes de vie, notre centre d'intérêt, le tout accompagné d'une vidéo qui nous présente. Nos profils sont ensuite diffusés et c'est une femme porteuse qui nous choisit. Quand nous sommes sélectionnés, nous avons quinze jours – si elle nous plait d'abord sur papier – pour échanger avec elle et aborder tous les sujets. Il faut éviter tous les tabous, discuter de ce que l'on souhaite avant et après. Nous, nous désirons tisser de vrais liens avec elle, pour l'enfant, pour son avenir. Nous estimons que c'est important pour lui, que le lien se fera davantage avec la mère porteuse que la donneuse d'ovocytes. C'est même une certitude. Elle fera partie à jamais de nos vies. Nous garderons le contact, échangerons des photos, peut-être même que nous la verrons de temps à autre. C'est notre souhait. 

Les quinze jours prévus pour échanger avec la potentielle mère porteuse sont également un moyen de "sentir" si elle est apte à porter notre enfant, si elle est prête, si elle sait ce que c'est, ce que ça implique. La première femme porteuse qui nous a été présentée nous plaisait. Mais elle a finalement renoncé à ce projet de GPA pour des raisons personnelles. Pas le bon moment, les bonnes dispositions. Nous avons donc été mis en relation avec une deuxième mère porteuse. La seconde dirons-nous, car c'est avec elle que notre avenir se dessine. L'année dernière, elle a aidé un couple d'hétérosexuels et porté leur enfant. Elle les retrouvera d'ailleurs l'année prochaine. 

"Le premier transfert d'embryon a eu lieu le jour de la fête des pères"

L'un de nous a donné son sperme. On aurait pu le donner tous les deux, puis le hasard aurait décidé. Mais nous avons plutôt décidé d'explorer nos antécédents familiaux respectifs afin d'opter pour le "meilleur" patrimoine génétique. 

Quant à la donneuse d'ovocyte, elle n'est pas la mère porteuse. Question de lien, d'attachement, et donc de "sécurité affective". Trouver la bonne donneuse n'était pas une mince affaire. Le choix est orienté par des critères physiques, selon les antécédents familiaux et personnels des femmes, aussi selon leurs centres d'intérêt, leur motivation. A ça s'est ajoutée une exigence : nous voulions une donneuse connue, c'est-à-dire non anonyme. Nous tenons à ce que notre enfant, à sa majorité, puisse rencontrer sa génitrice s'il le souhaite. Nous voulons de la transparence, sur tout.

Le 16 juin 2019 a eu lieu le premier transfert d'embryon. Hasard ou signe, c'était le jour de la fête des pères, et l'embryon s'est accroché. Grossesse ! Pour maximiser les chances, la femme porteuse reçoit un traitement assez lourd en termes de médicaments, perfusion… pour préparer son corps et son endomètre. Il faut savoir que la mère porteuse n'est pas toujours rémunérée, mais défrayée d'éventuels dépenses (vêtements de grossesse, examens, etc.). L'argent entre en ligne de compte pour certaines femmes et s'inscrit comme une motivation réelle. Mais pour notre part, nous n'avons pas ressenti, chez notre mère porteuse, une motivation liée à l'argent. Bien au contraire. Elle adhère à des projets de GPA par altruisme et envie d'aider des couples qui ne peuvent pas avoir d'enfant. 

"Nous avons décidé de rester au Canada par sécurité juridique"

Nous venons d'arriver au Canada pour rencontrer la mère porteuse. En tout et pour tout, nous n'avons pas eu à beaucoup nous déplacer. Nous étions venus une fois pour le don de sperme. Désormais, nous comptons nous installer au Canada. Moi, Jérôme, je suis infirmier en pédiatrie et j'ai trouvé un job, et ainsi obtenu un permis de travail fermé d'une durée de trois ans. Puisque nous sommes mariés, Yann bénéficie d'un permis de travail ouvert. Il est assistant de direction dans le milieu financier et va pouvoir candidater auprès d'entreprises privées. A la fin de l'expérience, si nous voulons rester, il nous faudra faire une demande de résidence permanente.

Se rapprocher de la femme porteuse durant la grossesse et après l'accouchement n'est pas une obligation mais nous, nous en avons envie, c'est notre souhait. Et puis nous voulons rester ici par sécurité juridique. Notre avocate va gérer à nos côtés le certificat de naissance. On a le choix d'inscrire un père ou deux pères. Le "numéro 1" et le "numéro 2". C'est important pour nous.

Nous pourrons ensuite entreprendre une retranscription partielle de l'acte naissance en France avec le père numéro 1 et entamer des démarches de reconnaissance de paternité, autrement dit une adoption, pour le père numéro 2, afin que tout le monde soit protégé. Tout ça peut prendre du temps, mais c'est indispensable. Si nous n'avions pas eu l'opportunité de rester au Canada, nous aurions fait face à un risque. Le risque, par exemple, que le père reconnu meurt. A ce moment-là, l'autre n'a aucun droit sur l'enfant. Idem s'il y a un accident, un besoin d'opération vitale pour l'enfant et que le géniteur est absent : l'autre père ne peut rien faire.

Ça peut prendre environ deux ans. C'est compliqué, mais c'est comme ça. Tout ce parcours exige une grande vigilance. Par exemple, dès le départ, on nous a conseillé d'être prudents face aux transferts d'argent vers une devise étrangère. Notre banque pouvait tiquer. Sans nous dénoncer, elle aurait pu refuser ce transfert car il est "contre" la juridiction réglementaire français.  

"C'est frustrant de quitter son pays de naissance parce que celui-ci n'est pas en mesure de porter notre projet"

C'est frustrant, parfois, de se dire que la France, pays dans lequel nous sommes nés, n'est pas en mesure de porter notre projet et notre désir de paternité. C'est difficile, aussi, de quitter notre pays car son cadre ne nous permet pas de nous réaliser personnellement. Mais nous sommes intimement convaincu que dans un futur proche, peut-être pas dans ce quinquennat, mais bientôt, on y viendra. Le sujet de la GPA est vaste, il touche à la femme, l'enfant, la famille et tout ce que ça soulève d'institutions. Nous préférons que le parcours soit long, mais que ce soit cadré, bien fait, et non pas mis en place "pour faire plaisir".

Bientôt nous chercherons un appartement. La ville de Montréal nous plaît, nous y serons bien. Nous nous sentons accueillis. Aucun jugement. Une vraie liberté ici. Nous verrons de quoi l'avenir sera fait ! Toujours étant que nous venons de rencontrer la mère porteuse pour la première fois et d'assister à la première échographie. L'émotion était à son comble : nous attendons un garçon !