Alcool : pourquoi les femmes trinquent

Tirée à quatre épingles, maquillage et brushing impeccables, cette working-girl s'avance... et titube. Comme elle, cinq pour cent des Françaises ont un problème avec l'alcool. Un phénomène en hausse, non sans lien avec la pression qui pèse sur les wonderwomen, obligées de conjuguer vie professionnelle et familiale.

Quatre millions de Français ont des problèmes liés à leur consommation d'alcool. Parmi eux, 200 000 femmes seraient alcoolo-dépendantes, un fléau dont elles sont particulièrement sensibles à la toxicité. Les Dossiers de Téva proposent, le samedi 1er décembre à 20h40, une enquête sur ce fléau. Partenaire de l'émission, le JournalDesFemmes.com va plus loin avec l'interview de Béatrice Cocquet, assistante-sociale en service d'alcoologie, à Amiens. Elle nous relate son expérience "de terrain".

Pourquoi ces femmes éprouvent-elles le besoin de boire ? Quel est l'élément déclencheur ?
Béatrice Cocquet : Cela peut-être un mal-être, une fracture narcissique, des problèmes familiaux, amoureux, une souffrance au travail... le stress, la compétition et quelquefois le harcèlement moral. L'alcool agit au départ comme un antidépresseur. Il rassure , euphorise, désinhibe. Il permet d'oublier, temporairement, les soucis, mais devient vite une mauvaise habitude. Une femme qui s'enivre en tire du plaisir. Elle se croit soulagée, mais les troubles psychologiques arrivent rapidement. L'alcool ne résout rien. Au contraire, il entraîne complications anxieuses.

Qui sont ces femmes qui boivent ?
Il est loin le cliché de Gervaise dans L'Assommoir, de Zola. La consommation d'alcool est moins marginale qu'avant. Il n'y a qu'à regarder des starlettes comme Rihanna, Lindsay Lohan ou Britney Spears. L'alcoolisme se retrouve à tous les âges, dans tous les milieux, même les plus favorisés. J'ai connu des femmes médecins, enseignantes, mais aussi des adolescentes qui souffraient de cette addiction. Les jeunes filles boivent pour appartenir à un clan, pour épater les copines ou dédramatiser les relations sexuelles. Il n'est pas rare de les voir arriver alcoolisées, le matin, au lycée. Certaines femmes semblent néanmoins plus vulnérables, comme les 35-49 ans, les célibataires et les divorcées.

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Femme ravagée par l'alcool © ayelet_keshet - Fotolia.com

Les femmes ont-elles un alcool de prédilection ?
Elles sont plutôt portées sur le rosé ou le vin blanc, la bière aussi et les vins cuits. Beaucoup plus rarement vers le vin rouge et les alcools forts. 


Quelles sont leurs pratiques ?
Il y a quelques années, les femmes avaient tendance à boire seules, en cachette. Emancipées, elles ont désormais un usage décomplexé, au bistrot comme lors de déjeuners d'affaires. Il est fréquent de voir une femme commander une bière au comptoir, siroter un verre de vin à la terrasse d'un café ou abuser du champagne en soirée. L'égalité entre hommes et femmes est vraie sur ce point. La différence est dans le vécu personnel de la femme, qui se sent honteuse. Elle est surtout dans le regard que la société porte sur l'alcoolisme féminin. Cela reste un tabou. La femme qui consomme trop véhicule une image de "pochtronne". Dans l'imaginaire collectif, elle est une ivrogne qui néglige sa maison.

Est-ce le cas ?
Les femmes culpabilisent davantage, notamment à cause de leur relation aux enfants. Ethylisées, elles ne peuvent pas apporter les soins nécessaires à leur progéniture. Il y a alors carence éducative. Afin de ne pas perdre la garde de leur enfant, dans le cas de familles monoparentales, les femmes mettent en place des stratégies : elles se cachent pour consommer, dissimulent les bouteilles, évitent de boire avant d'aller chercher leurs enfants à l'école.

L'attachement des femmes à leur foyer pourrait donc aussi accélérer une prise de conscience ?
Souvent, les femmes veulent guérir parce qu'elles se sentent responsables de leurs enfants. Les troubles organiques (lorsque le foie et le pancréas sont touchés, on vomit du sang) et la peur de la mort les confrontent directement à ce qu'elles sont devenues.

Quelles sont les spécificités de l'alcoolisme féminin ?
La vulnérabilité de la femme face à l'alcool est scientifique, physiologique et physique.
Le métabolisme féminin est plus enclin à développer une dépendance à l'alcool. A consommation égale, les femmes sont exposées à des risques particuliers car l'alcool se dilue moins dans la masse musculaire. Elles subissent des fluctuations hormonales, sont davantage sujettes à des prises de poids ou à un amaigrissement, davantage susceptibles, aussi, de développer une cirrhose hépatique, des tumeurs, un cancer du sein. Le cerveau aussi est plus fragile et plus rapidement endommagé.

Quels sont les stigmates ?
Cette descente aux enfers porte vite un coup à leur santé. Les femmes alcooliques ont le visage marqué, gonflé, les yeux injectés et souvent de la couperose sur le nez et les joues. Leur foie est gonflé, ce qui entraîne une grosseur abdominale alors que les jambes sont maigres.

Comment s'en sortir ?
La première étape est la détermination à vouloir arrêter. On ne peut pas forcer quelqu'un à se soigner. La cure de désintoxication, c'est d'abord le sevrage, avec des calmants pour compenser le manque, puis un travail avec la famille, une psychothérapie, un groupe de paroles, des consultations, un suivi... C'est seulement si la personne est prête qu'elle peut entamer une démarche et faire un premier pas vers la guérison. La rechute n'est pas grave, elle fait partie du traitement. Il ne faut pas culpabiliser, mais retourner vers le soin. Son entourage, comme le personnel médical doit valoriser la patiente.

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Alcool : pourquoi les femmes trinquent © Andrey Armyagov - Fotolia.com

Faut-il ensuite s'abstenir complètement ?
Il y a deux écoles. Certains -et j'en fais partie-, pensent qu'il ne faut plus boire, jamais. Au point de surveiller les recettes ou la cuisson en cuisine. Pas question de replonger parce qu'on a mangé un civet de lapin au vin rouge, un baba au rhum ou des bananes flambées. Même si la tarte à la cerise a seulement une saveur de kirsch, ce n'est pas la quantité d'alcool contenue dans le plat qui importe, mais son goût. Il est possible de sombrer dans l'engrenage, même vingt ans après...
Aux Etats-Unis, ils autorisent une consommation modérée d'alcool, mais après avoir connu l'ivresse, il est extrêmement difficile de boire "avec modération".

L'alcoolisme est-il lié à la tabagie ?
Dans un cas sur deux. Et il est souvent combiné aux médicaments, ce qui entraîne des malaises, voire des comas éthyliques. Autre chiffre alarmant : près de 50 % des femmes alcooliques ont fait au moins une tentative de suicide. 

Quel serait votre mot de la fin ?
Il ne faut pas que les femmes se découragent. L'alcoolisme est un problème dont on se sort. Il faut se faire accompagner, accepter de rencontrer des professionnels, se rendre sans crainte dans les centres d'alcoologie. L'alcoolisme est une maladie, pas un vice, pas une tare. Il est normal de faire des rechutes. Là encore, ne pas être gênée, mais communiquer sur ses difficultés à arrêter. Vous parlez bien de ce rhume dont vous n'arrivez-pas à vous débarrasser, non ?

 Retrouvez Les Dossiers de Téva : "Alcool : Les jeunes et les femmes aussi", première diffusion, samedi 1er décembre, à 20h40