Comment le meurtre de Sharon Tate a changé le cours de l'Histoire

Le 9 août 2019 marquait les 50 ans de sa mort violente, une horreur, une boucherie, un tourbillon de folie... En 1969, l'actrice Sharon Tate, mariée à Roman Polanski et enceinte de 8 mois, fut tuée avec sauvagerie par les membres de la secte de Charles Manson. Retour sur un destin broyé à 26 ans seulement...

A l'écran, Margot Robbie irradie de vie, avec ses cheveux blonds et son sourire agriffé à un visage radieux. Comme celui de Sharon Tate, dont elle restitue toute la lumière à l'écran dans Once Upon a Time in Hollywood de Quentin Tarantino, en salles le 14 août. La comédienne, qui y partage l'affiche avec Leonardo DiCaprio et Brad Pitt, campe en effet cette figure tragique du cinéma, sauvagement assassinée le 9 août 1969 –alors qu'elle était enceinte de huit mois– par les disciples allumés du psychopathe Charles Manson.
A l'époque, Tate était connue pour deux films : Le Bal des Vampires de Roman Polanski, son époux à la ville, et La Vallée des Poupées de Mark Robson, inspiré du best-seller de Jacqueline Susann, pour lequel elle fut notamment nommée au Golden Globe du meilleur espoir féminin. "Elle faisait alors partie des starlettes en vue auxquelles on pouvait prédire une belle carrière, surtout si son mari en faisait son égérie, ce qu'on lui a refusé pour Rosemary's Baby au profit de Mia Farrow. Sharon Tate était donc encore loin d'être une vedette à part entière, mais elle parlait anglais et italien couramment, ce qui lui ouvrait les portes de plusieurs cinématographies capitales", explique Jean-Philippe Guérand, journaliste au Film Français.

Sharon Tate : Flash-back sur une fille de militaire née au Texas

Née le 24 janvier 1943 à Dallas, Sharon Tate est l'aînée des trois filles de Paul James Tate, un officier de l'armée américaine et de sa femme Doris Gwendolyn. D'aucuns la décrivent comme une enfant timide qui passe son temps à changer de ville sous le rythme imposé par le travail du père. L'image tient du cliché mais, quelques années plus tard, c'est bel et bien en faisant de l'auto-stop à Hollywood qu'elle est remarquée et qu'elle se voit proposer un contrat pour la comédie. D'abord non créditée en patricienne dans Barrabas de Richard Fleischer, Sharon Tate enchaîne de petits rôles avant de décrocher de belles étoiles avec Le Bal des Vampires de Roman Polanski. Sceptique aux prémices, le cinéaste polonais se laisse séduire par la comédienne et en tombe amoureux pendant le tournage. Le 20 janvier 1968, ils se marient dans le Londres des Swinging Sixties et s'installent bientôt à Los Angeles.

Quand Tate tombe enceinte, Polanski investit ses deniers dans une demeure de style normand –construite originellement pour l'actrice Michèle Morgan– qu'ils baptiseront "La Maison de l'Amour". Sise au 10050 Cielo Drive de Benedict Canyon –l'endroit n'a plus jamais trouvé preneur, si ce n'est temporairement par Trent Reznor, leader du groupe Nine Inch Nails–, en surplomb de Beverly Hills et Bel Air, la résidence devient quelque temps plus tard le théâtre d'un massacre au retentissement inouï. Comme Jean-Philippe Guérand, le journaliste et écrivain Eric Yung, auteur de l'ouvrage Charles Manson et l'assassinat de Sharon Tate (L'Archipel), considère à l'époque Sharon Tate comme une star en puissance : "Sa beauté fascinait, semble-t-il, plus d'un producteur hollywoodiens (…) Elle était en pleine ascension professionnelle et, si elle n'était pas encore une star, ses qualités de comédienne et son charisme laissaient  penser que son avenir cinématographique, à l'heure de sa disparition, était bien assuré.

Avec Polanski, la maison de l'amour… et du diable

Le 9 août 1969, tout bascule donc, contrariant l'alignement des étoiles. Charles "Tex" Watson, Patricia Krenwinkel et Susan Atkins, trois membres de la "Famille" de Charles Manson, un gourou à la carrière artistique et musicale ratée, pénètrent dans ladite maison et assassinent brutalement l'actrice et les amis qui sont avec elle. Le but du commando ?  Se venger du producteur de musique Terry Melcher, qui avait éconduit Manson. Polanski apprendra la nouvelle peu après, alors qu'il se trouve à Londres pour la préparation d'un nouveau film. "Plus que la 'fin de l'innocence', le massacre commis chez Sharon Tate a mis fin, en quelques semaines, au 'flower power', aux hippies, aux mouvements de contre-culture et a permis, dans beaucoup d'états américains, le retour des politiques conservatrices", note Eric Yung. "De mémoire humaine, jamais un crime de droit commun n'a eu un tel impact sur la vie d'une nation."

Once Upon a Time in Hollywood, la version de Quentin Tarantino

Avec ce drame, dont le commanditaire a été assimilé à un monstre engendré par la vie communautaire des sixties, une désillusion s'installe. Celle-là même que Tarantino retranscrit dans le spleen naissant de ses deux personnages principaux, lesquels font face à la mort du rêve hollywoodien.  

"En plus de marquer la fin de l'angélisme post-soixante-huitard, c'est aussi historiquement le point de départ du Nouvel Hollywood qui se caractérise par des héros déchus et des losers magnifiques qu'incarneront notamment Jack Nicholson (Cinq pièces faciles), Gene Hackman (Conversation secrète), Al Pacino (Panique à Needle Park) et Robert de Niro (Taxi Driver)", renchérit Jean-Philippe Guérand. 50 ans après les faits, ce récit sordide continue ainsi de nourrir, au-delà de l'opus de Tarantino, des livres, des films, des chansons ou même la télévision –à l'instar de la nouvelle saison de Mindhunter–, faisant de Manson une figure suprême et récurrente du mal.

Il n'y a pas que les Etats-Unis qui ont été secoués par ces meurtres. Comme l'atteste Yung : "Les années 60 ont été marquées par les assassinats du Président Kennedy, de Martin Luther King… C'était le temps des émeutes et des révoltes noires dans Harlem et celui de la contestation de la guerre du Vietnam tandis que plusieurs campus, dont celui de Berkeley, prônaient la révolution estudiantine et diffusaient, jusqu'en Europe, le 'Free Speech Movement', une forme de pensée qui avait, ne l'oublions pas, influencé les têtes blondes de mai 68 et accompagné les nombreuses expériences de la contre-culture. La tuerie commise par les adeptes de Charles Manson chez Sharon Tate a véritablement –c'est difficile de l'imaginer aujourd'hui mais il faut reprendre les journaux de l'époque pour le constater– traumatisé l'Amérique mais cette tragédie a aussi provoqué une sorte de tsunami de tristesse et de colère populaire  sans antécédents dans le monde entier. Et la France, qui avait déjà accueilli sur son territoire le cinéaste Roman Polanski n'a pas été épargnée par ce choc." Choc toujours intact.