Jen Shahade : "Tout âge est un bon moment pour commencer les échecs"

Ambassadrice de PokerStars, championne de poker et d'échecs, commentatrice et écrivaine, Jen Shahade, 40 ans, est une fascinante touche-à-tout. Alors que les échecs connaissent un engouement inédit grâce au succès pantagruélique de la mini-série "Le Jeu de la Dame", diffusée sur Netflix, le Journal des Femmes est allé à sa rencontre. Entretien.

Jen Shahade : "Tout âge est un bon moment pour commencer les échecs"
© DR

Y a-t-il un bon âge pour commencer à jouer aux échecs ?
Jennifer Shahade :
Tout âge est un bon moment ! Avec le succès du Jeu de la Dame, beaucoup d'adultes s'y mettent et j'aime cette nouvelle tendance. Les échecs ne sont pas seulement un jeu de stratégie, c'est aussi un outil de lien social et une capsule temporelle pouvant aider à comprendre l'art et l'Histoire. L'apprentissage par les adultes est parfois lent mais les échecs nous enseignent tant de choses qui nous sont utiles dans la vie, comme la concentration, l'organisation et la prise de décision. Je pense que le poker et les échecs vont très bien ensemble car ils font appel à certaines des mêmes compétences.

Comment en êtes-vous venue aux échecs ?  
Jennifer Shahade :
Mon père et mon frère aîné sont tous deux des maîtres d'échecs. Ils m'ont donc appris tout ça et je suis totalement tombée amoureuse du jeu. Une partie de cet apprentissage consistait à savoir en apprécier les éléments artistiques. Tout comme le poker, j'étais également attirée par la culture, les voyages et la façon dont les jeux peuvent dissoudre les frontières, à l'instar du sexe, de la langue et de l'âge. Mon premier voyage international pour les échecs, c'était au Brésil et j'ai tout de suite été accro : je me suis dit que je devais m'améliorer et continuer sur cette voie.

Que diriez-vous à celles et ceux qui pensent que c'est un jeu réservé aux plus intelligents ?
Jennifer Shahade :
Les échecs sont davantage une langue qu'autre chose. Ce n'est pas seulement réservé aux génies ! De toute façon, je ne crois pas à un niveau d'intelligence statique. Je pense qu'il y a plusieurs façons d'être intelligent et que même celles-ci sont fluides. Ne laissez aucune idée préconçue vous empêcher de sauter le pas. Vous n'avez rien à perdre en essayant !

Comment s'est déroulé votre apprentissage et en quoi a-t-il consisté ?
Jennifer Shahade :
J'ai travaillé avec une variété d'entraîneurs d'échecs. Il y a eu Victor Frais qui m'a aidée pour ce tournoi au Brésil et a décelé en moi vu un grand talent ; le merveilleux IM John Donaldson, qui m'a également épaulée pour mon premier livre, Chess Bitch. Autrement, j'ai principalement travaillé seule et j'ai obtenu d'excellents conseils de mon père et de mon frère. Apprendre à étudier par vous-même est si précieux car il y a généralement une limite au nombre d'heures qu'un entraîneur peut vous consacrer. J'ai travaillé sur tous les aspects du jeu : de la tactique (reconnaissance de formes) aux ouvertures jusqu'aux finales.

"J'ai hâte que le monde se rouvre de nouveau pour qu'on puisse voyager et jouer avec des gens de partout."

Les femmes qui jouent aux échecs, est-ce rare ? Par ailleurs, avez-vous connu une forte adversité en tant que telle dans ce milieu ?
Jennifer Shahade :
Les femmes représentent environ 15% des joueurs de la Fédération américaine d'échecs. Nous aimerions certainement voir ce nombre augmenter, même s'il est actuellement à son plus haut niveau ! Je pense que Le Jeu de la Dame poussera plus de filles et de femmes à jouer et je vois déjà beaucoup de nouvelles converties grâce à mon travail dans Us Chess Women. Concernant l'adversité, je l'ai connue mais j'ai eu beaucoup de chance parce que j'avais autour de moi un système de soutiens forts qui m'a permis d'ignorer plus facilement la négativité et d'embrasser l'attention positive et les opportunités. J'ai par ailleurs créé une série d'œuvres d'art avec mon mari Daniel Meirom : Not Particularly Beautiful. Ce sont des échiquiers surdimensionnés incluant sur chaque case des insultes lancées -via YouTube ou Twitter- contre des joueuses d'échecs. Nous voulions montrer combien les femmes et les filles sont soumises à des commentaires méchants et à des pensées non pertinentes sur leur apparence. Cela peut s'avérer beaucoup plus sinistre, à l'image d'un des commentaires sur ce tableau stipulant : "Devrait être frappée avec une batte de baseball". Nous devons continuer à rendre le monde plus sûr et plus confortable pour les femmes et les filles.

Vous avez d'ailleurs lancé votre propre podcast : Ladies Knight
Jennifer Shahade :
Oui, pour avoir de longues conversations avec des championnes d'échecs, des influenceuses et des entraîneuses. J'anime aussi un podcast de poker inspiré des échecs. J'adore le podcasting car il me permet de ralentir la cadence et d'avoir des échanges profonds.

Anya Taylor-Joy et Thomas Brodie-Sangster dans "Le Jeu de la Dame". © Netflix


Revenons à la mini-série Le Jeu de la Dame : est-ce l'engouement qu'elle a suscité vous a surprise ?
Jennifer Shahade :
Oui, je pense que cela est arrivé à un moment où les gens étaient prêts à vivre l'introspection qu'offre un jeu comme les échecs. Et j'adresse de grands compliments à l'actrice principale Anya Taylor Joy, au réalisateur Scott Frank et à toutes les personnes impliquées dans la série. Ils ont créé un chef-d'œuvre qui a vraiment montré au public la beauté des échecs, avec cette peinture juste d'un monde miniature dans lequel vous pouvez plonger et de la sous-culture de dévots qu'il abrite et qui peuvent devenir comme une famille.

Comme l'héroïne, vous avez également participé à des parties en simultané. A quel point ce qu'on voit à l'écran est réaliste ?
Jennifer Shahade :
Oui, ça l'est ! Les joueurs forts effectuent des simulations comme ça assez fréquemment. J'ai joué avec 40 à 50 personnes dans un tel format. Le blitz simultané est BEAUCOUP plus difficile, d'autant plus qu'un adversaire aussi fort que Benny est impliqué. Et pourtant Anya a fait un excellent travail dans cette scène, cela semble réaliste. C'est en tout cas formidable de voir que les ventes de jeux d'échecs ont explosé. J'ai hâte que le monde se rouvre de nouveau pour qu'on puisse voyager et jouer avec des gens de partout.