Laetitia Casta : "Je suis en quête d'une essence féminine"

Actrice surdouée, féministe engagée, citoyenne soucieuse de l'environnement, mais aussi danseuse et chanteuse talentueuse, la sublime Laetitia Casta est une artiste totale. Héroïne maléfique de la série UNE ÎLE, sur Arte, l'ex-top-model révèle violence et pulsions meurtrières. Il n'y a pas créature plus complexe et passionnante...

Laetitia Casta : "Je suis en quête d'une essence féminine"
© JP PARIENTE/SIPA

Laetitia Casta ensorcelle dans Une Île, une série Arte à la fois récit initiatique, aventure romanesque, thriller, mais aussi réflexion sur le désir, l'instinct et l'animalité en chacun de nous...

Présentez-nous votre personnage...
Laetitia Casta : Théa n'est pas vraiment une femme, c'est un animal fantastique. Telle une vague qui vient tout balayer, Théa débarque sur Terre pour protéger son monde et retrouver Chloé, une sirène recueillie par des humains…

Théa est une guerrière avec une mission écologique : était-ce un aspect important pour vous ?
Ce sont des valeurs auxquelles je crois énormément. On pense être immortel, mais l'on ne réalise pas à quel point la Nature est plus forte que nous. L'environnement tout-puissant nous rappelle notre fragilité.

© Copyright Angela Rossi

A l'aide d'un baiser salé et mortel, Théa aspire l'âme des hommes...
C'est une créature vengeresse, envoûtante et dangereuse. Elle lit dans les hommes et ne leur fait pas confiance car elle connaît leur puissance destructrice…

Elle utilise sa sexualité comme une arme… Est-ce concevable lorsqu'on défend l'égalité des genres ?
Tout passe par la sexualité, mais notre société a tendance à masquer cette évidence en la présentant comme sale ou pornographique. Les femmes ne doivent pas être considérées, uniquement, comme des victimes. Elles peuvent être fortes, inquiétantes voire meurtrières comme ces mantes religieuses qui attirent leur proie parce qu'elles ressentent et maîtrisent leurs faiblesses… Ces sirènes sont symboliques, elles représentent notre 6e sens, notre versant intérieur le plus connecté aux éléments, le plus intuitif... Il est rare qu'on entende parler de femmes qui violent et assassinent des hommes, mais elles existent !

"Tout passe par la sexualité"

Cette part instinctive, primitive, hormonale même, l'avez-vous toujours acceptée ?
Mon cheminement s'est fait au fil des étapes de vie que j'ai traversées, au rythme des évolutions physiques, psychiques, amoureuses, familiales. J'ai toujours aimé réfléchir à chaque seuil de porte franchi et chercher cette essence féminine. Cette quête de féminité m'anime, c'est une forme de pensée.      

Vous êtes souvent en tenue d'Eve dans Une Île...
La nudité est un détail, un support simple. Il n'y a pas de code spécifique. C'est une performance artistique. Le message sous-jacent est la manière dont on incarne son corps. Je vois ce travail de mise à nu, de sensualité comme une danseuse. Dans Une Île, c'est presque du mime.

© Copyright Angela Rossi

Ce rôle, tantôt sauvage, tantôt reptile, a été orchestré par la chorégraphe Blanca Li…
Il y avait un vrai défi : incarner une héroïne aux pouvoirs irréels et rester crédible. J'ai demandé à travailler avec Blanca car je souhaitais trouver les mouvements de Théa : sa manière de respirer, de toucher, de tuer. Blanca a été mon miroir, mon inspiration, elle me renvoyait l'image d'un corps-outil. 
Cette manière de préparer le rôle loin des dialogues, de me glisser dans une peau sans écailles, mais en jouant avec le sensoriel était captivante.

En parlant d'immersion, l'eau est omniprésente. Est-ce votre élément ? 
Depuis l'enfance, je suis en relation avec l'eau et la Corse, où j'ai appris à nager, où j'ai gambadé sur les rochers. C'était agréable de ne pas avoir à penser comment intégrer le décor dans mon jeu car c'est un univers que je connais très bien. En revanche, nager dans les fonds marins avec une météo capricieuse et une température glaciale a nécessité une préparation intense !

A aucun moment, on ne cite le nom de cette île où se déroule l'action. Avez-vous grandi en Corse ?
Je suis née en Normandie et j'y ai vécu dix ans. Mais le seul lieu où j'allais, en famille, en vacances, c'était la Corse. Nous étions constamment entre ces deux régions, mais j'ai reçu une éducation méditerranéenne. Ma sœur (Marie-Ange Casta, 29 ans, actrice, styliste et réalisatrice, ndlr) a fait ses études en Corse et mes parents habitent toujours là-bas.

Dans la série, les jeunes trompent l'ennui. Cela pourrait vous rebuter d'évoluer en dehors du temps, loin de l'effervescence ? 
Ce qui m'est insupportable, ce n'est pas ne rien faire, c'est l'enfermement. L'idée d'être à un endroit et de ne pas pouvoir bouger, voyager, est inconcevable. 

"Ce qui m'est insupportable, c'est l'enfermement"

Vous avez été Falbala, Brigitte Bardot, Arletty, notre Marianne… En jouant toutes ces femmes, savez-vous mieux qui vous êtes ?
C'est parce que j'ai résolu la question de mon identité que je peux être actrice. C'est comme une ancre que l'on jette à la mer : on sait que l'on peut partir loin, puis revenir. Un personnage, lorsqu'il vient vers moi, entre dans mon monde, me visite, puis me quitte. Je reste moi, avec un caractère marqué. Je suis peu influençable.

Sergi Lopez et Laetitia Casta dans "Une Île" © Image et Compagnie

Vous êtes dans la lumière depuis l'adolescence, comment ressentez-vous les regards qui vous reconnaissent ?
Je n'y pense pas. J'ai décidé que ces regards mouvants ne m'appartenaient pas. Ils se fixent sur une célébrité, une personnalité publique que je ne suis pas. J'arrive très bien à ne pas souffrir de leur pesanteur car j'ai en moi un sens très paysan qui me ramène sans cesse à une réalité concrète, terrienne.

Qu'est-ce qui a le plus changé en vous depuis vos débuts ?
Je suis beaucoup plus ouverte aux autres. Une rigidité intérieure a disparu, je me suis assouplie... C'est l'avantage du temps qui passe. 

Aimez-vous aussi observer les autres ?
Oui, c'est dû à ma grande timidité. C'est étrange de dire cela lorsqu'on fait ce métier, mais j'ai besoin de cette position de retrait. J'ai toujours été dans la contemplation, cela me donne du recul. 

Vous avez réalisé En moi, un court-métrage, en 2016. Comptez-vous renouveler l'expérience ?
Je ne sais pas. C'est difficile de faire un film, il faut vraiment que ce soit vital. Cette expérience m'a confrontée à la solitude de l'écriture. J'ai appris énormément par rapport à la lumière, au cadre… des notions que j'ai retenues précieusement, sans savoir si j'allais m'en servir un jour. 

"Je suis beaucoup plus ouverte aux autres"

Laetitia Casta dans "Une île" © Angela Rossi

Vous multipliez les façons de vous mettre en scène, faites-vous de votre vie, une œuvre ?
Il n'y a pas de murs, il n'y a que des ponts, une sorte de continuité entre la danse, le chant, la comédie. Un art nourrit l'autre. Je n'ai pas l'impression de m'éparpiller, mais bien de me centrer en utilisant tous les ressorts possibles. On a tendance à vouloir mettre des étiquettes, à formater. Pourtant, depuis mes débuts de mannequin à 15 ans, puis au cinéma à 19 ans, il y a toujours cette pluralité, cette ambiguïté, ces nuances...    

Vous avez une réelle aptitude pour vous diversifier. Etes-vous fière de ces multiples facettes ?
Je les découvre au fur et à mesure. Je n'ai pas de talent particulier. C'est une question de foi, de confiance, d'envie. Je ne me dis jamais : "je ne peux pas parce que je n'ai pas appris". A l'inverse, je saisis la possibilité de faire, je me nourris de cette opportunité. Je le prends comme un cadeau. Pas pour le montrer. Pour me faire plaisir. Cette philosophie, c'est presque ma religion ! 

Vous semblez invincible, avez-vous néanmoins des angoisses ?
La peur est la clé dans le moteur (rires) ! Elle est toujours là. C'est de ressentir cette frayeur, cette émotion qui me fait sauter dans l'inconnu !

Une Île, avec Laetitia Casta, Noée Abita et Alba Gaïa Bellugi, de Julien Trousselier, sur Arte dès le 9 janvier à 20h55 et en replay jusqu'au 7 février sur arte.tv.