Camille Cottin : "Le drame n'est pas quelque chose de nouveau"

Elle est à l'affiche du drame disponible en VOD, "Les Éblouis", premier long-métrage de Sarah Suco, laquelle revient, de manière fictionnelle, sur son enfance au sein d'une communauté religieuse sectaire. Camille Cottin y incarne, dans un registre dramatique qui lui va parfaitement, la maman embrigadée de la jeune héroïne.

Camille Cottin : "Le drame n'est pas quelque chose de nouveau"
© Jacques BENAROCH/SIPA

C'est une année de tous les records pour Camille Cottin. La talentueuse comédienne a été à l'affiche des Fauves de Vincent Mariette, de Deux Moi de Cédric Klapisch, du Mystère Henri Pick de Rémi Benzançon, de Chambre 212 de Christophe Honoré et de la saison 1 de Mouche sur Canal+. Rien que ça ! Ajoutez aussi à ce tableau honorable son rôle remarqué dans Les Eblouis, le premier long-métrage de Sarah Suco, disponible en VOD, dans lequel cette dernière relate, en prenant des libertés sur les faits, son expérience dans une communauté charismatique sectaire qu'elle a fréquentée de 8 à 18 ans. La comédienne y incarne, avec gravité et économie de mots, une mère de famille littéralement phagocytée par l'emprise de sa croyance. Nous l'avons rencontrée. 

Vous avez dit en interview, récemment, qu'être actrice était le métier des premières fois, qu'on y apprenait toujours quelque chose de nouveau. Que vous a enseigné Les Éblouis ?
Camille Cottin : (Longue réflexion) J'ai du mal à y répondre. Ce qui continue à me faire vibrer, c'est en tout cas cet apprentissage que vous évoquez. Si on perd cette soif-là, tout se perd. Actrice, c'est être le vecteur d'une émotion, d'un propos. Et c'était très fort pour moi de contribuer, à ma modeste échelle, au témoignage personnel, important et essentiel de Sarah Suco. On a abordé les choses avec une certaine gravité mais sans lourdeur. Il y avait une bienveillance totale de la part de l'équipe, surtout sur certaines scènes douloureuses. Sarah a un humour incroyable, c'est une résiliente. Vous savez, en lisant le scénario, je ne voulais pas faire ce film. J'avais une aversion pour la mère de famille que j'incarne. Je ne comprenais pas son endoctrinement, son enfermement… D'autant plus que Sarah me disait que c'est une victime et qu'elle doit toucher le public…

Comment vous êtes-vous réconciliée avec cette mère que vous détestiez alors ?
Camille Cottin :
Grâce à Sarah justement. Je lui ai proposé qu'on fasse une séance de travail. J'aime beaucoup procéder ainsi. Même quand on me propose un rôle, je suis du genre à demander à passer des essais (rires). Les Français ne font pas beaucoup ça contrairement aux Américains. A l'issue de cette séance, j'ai compris de quelle manière j'allais prendre cette femme : par sa fragilité psychologique et sa souffrance dévorante. C'est une femme qui a, en apparence, tout pour elle : un mari aimant, des enfants… Mais sa douleur n'est pas rationnelle. (Réflexion) Quand les enfants sont aux prises avec une telle fragilité, c'est hyper dangereux pour eux. Sur le territoire français, il y a entre 50 et 60.000 enfants victimes de dérives sectaires. C'est effroyable.

Camille Cottin dans "Les Éblouis". © Pyramide Distribution

Comment avez-vous construit cet état d'aliénation permanent ?
Camille Cottin 
: Il y a une forme de retour à l'enfance mâtinée de fatigue immense… Cet était qui fait qu'on laisse quelqu'un décider à notre place. On a rencontré quelqu'un qui avait intégré une secte. Il nous a expliqué ce mécanisme consistant à valoriser et détruire, sans arrêt, l'individu. C'est ce type de rapport qu'on a pu par exemple un peu effleuré sur des rencontres amoureuses, où dans d'autres situations qui induisent une espèce de système de prise de pouvoir sur l'individu. Ici, c'est poussé à l'extrême. Nietzsche disait : "Ce n'est pas le doute qui rend fou, c'est la certitude." L'extrémisme en religion, c'est aussi de trouver cette certitude qui apaise, ce besoin d'être rassuré face à l'inconnu, à l'absence de réponses.

Êtes-vous plutôt cartésienne ou spirituelle ?
Camille Cottin 
: Moi, je suis rongée en permanence par le doute. Je doute sur tout. Je suis d'un tempérament joyeux qui, cela dit, n'empêche pas l'angoisse. Aujourd'hui, l'angoisse et le doute vont de pair. L'angoisse est l'émotion du doute.

Et comment soignez-vous cela ?
Camille Cottin 
: Je suis très férue de psychanalyse parce ça nous redonne du pouvoir sur notre destin. Ça nous rend responsables, ça nous redonne une liberté d'action sur ce qui nous arrive ou va nous arriver. Je l'ai pratiquée et je l'ai apprise à travers les livres.  

"Je ne me cantonne pas à un registre

Vous êtes souvent associée au cinéma à des rôles de comédie. En attendez-vous davantage des personnages dramatiques comme celui-ci ?
Camille Cottin 
: J'attends surtout des collaborations fertiles et foisonnantes. Je suis curieuse. Le jeu, c'est un infini. On est tout le temps en train de chercher une vérité qui n'existe pas forcément. C'est une quête permanente. Je suis heureuse d'aller vers des choses différentes et plurielles. Je ne me cantonne pas à un registre. J'ai fait beaucoup de théâtre les 15 premières années de ma carrière. Pour moi, le drame n'est donc pas quelque chose de nouveau.

Camille Cottin, Eric Caravaca et Céleste Brunnquell dans "Les Éblouis". © Pyramide Distribution

On vous a vu à l'affiche de cinq films cette année, vous avez tourné avec de grands noms du cinéma français. Comment est-elle d'ailleurs cette famille du cinéma français ?
Camille Cottin 
: On se retrouve dans deux-trois ans et j'aurais peut-être une réponse (rires). J'en sais rien car je découvre encore un peu.

Qu'avez-vous ressenti face au récent témoignage d'Adèle Haenel ?
Camille Cottin 
: Ça m'a beaucoup touchée. J'ai été saisie par son récit, par ses propos, par le courage de sa prise de parole. L'élaboration de sa pensée m'a bouleversée. C'est frappant de voir à quel point elle met son témoignage personnel au service d'une pensée collective. Et ce, dans une volonté de société plus juste. En cela, elle donne une parole à celles qui n'en ont pas forcément. C'est très fort. C'est un acte politique et militant qui ne restera sûrement pas sans conséquence ; et c'est tant mieux. Je pense que ça éveille clairement un élan. Quand on parle de révolution, c'est justement pour qu'un système et des choses banalisées soient révolus.

"Je suis l'aînée de ma fratrie, c'était très ouvert et post-soixante-huitard"

Vous dites avoir grandi dans une tribu. C'était comment ?
Camille Cottin 
: Je suis l'aînée de ma fratrie au sein de laquelle il y a eu beaucoup de remariages. Et, du coup, une multiplicité de référents. L'idée de la tribu, c'est que les parents ne sont pas tant au centre que ça dans l'éducation des enfants. C'était très ouvert et post-soixante-huitard.

Qui vous a poussé vers l'art ?
Camille Cottin 
: Mes parents m'amenaient beaucoup au cinéma. La passion du jeu est venue très vite. Jouer est d'ailleurs la passion de tous les enfants. Chez moi, ça ne s'est jamais arrêté. Etre actrice était mon envie ultime. Petite, j'ai beaucoup admiré Audrey Hepburn. J'étais fascinée par la beauté des actrices sublimées, par leur glamour. Je pense à Brigitte Bardot… J'avais une image de la femme très année 80-90 (rires). Aujourd'hui, ce sont des actrices comme Brie Larson, France McDormand ou Tilda Swinton, lesquelles n'exploitent pas le glamour ou certains codes de beauté, qui me fascinent.

A part la comédie, quelles sont vos passions ?
Camille Cottin 
: Mes amis. Des choses banales comme le voyage, la musique, la famille…

Envers quoi éprouvez-vous une passion aveugle ?
Camille Cottin 
: L'amour et le travail.