Sienna Miller : "A 3 ans, je voulais être actrice, j'ai passé mon temps à surmonter un faux départ"

Présente au Festival de Deauville pour se voir remettre un Talent Award, la comédienne Sienna Miller y présente aussi "American Woman", dans lequel elle tient le rôle principal. Rencontre avec une femme libre et talentueuse.

Sienna Miller : "A 3 ans, je voulais être actrice, j'ai passé mon temps à surmonter un faux départ"
© Jacques BENAROCH/SIPA

Enfin ! Dans American Woman de Jake Scott (encore non daté en France), l'Américano-britannique Sienna Miller, 37 ans, décroche ce premier rôle d'envergure qu'on espérait tant pout elle. Celui d'une mère de la working-class, éprouvée par la vie, qui doit faire face à la disparition mystérieuse de sa fille. Impeccable, l'ex-mannequin y déploie une palette de jeu large, confirmant toutes les attentes placées en elle après de nombreux seconds rôles qualitatifs. On l'a notamment vue dans The Lost City of Z de James Gray, American Sniper de Clint Eastwood, Foxcatcher de Bennett Miller -avec qui elle est désormais en couple- ou Live by Night de Ben Affleck. A Deauville pour recevoir un prestigieux Talent Award, Sienna Miller a répondu à nos questions avec un sourire à rallumer les ténèbres.   

Ce rôle constitue-t-il un tournant dans votre carrière ?
Sienna Miller : Si les gens le pensent, alors je le penserais aussi (rires). Faire voir de petits films d'auteur au plus grand nombre, c'est difficile. D'un point de vue créatif, c'est en tout cas une bascule dans la mesure où je n'avais jamais eu de premier rôle. J'ai adoré ça. Je suis très fier d'avoir participé à American Woman.

Sienna Miller dans "American Woman". © Sony Pictures

Avez-vous ressenti quelque chose de spécial avec ce rôle, pour lequel vous êtes extrêmement investie ?
Sienna Miller : C'était une expérience incroyable. D'ordinaire, je me mets à l'écart et j'enfile mes écouteurs pour écouter de la musique quand je dois jouer une scène émotionnelle. J'ai ce besoin de m'isoler. Sur American Woman -j'ignore pourquoi-, je comprenais vraiment cette femme. Je n'ai pas eu à faire d'effort pour accéder à elle. Je pense d'ailleurs à elle comme à une véritable personne, qui existe toujours. J'aime le fait qu'elle soit une femme "pas respectable" au début que l'on respecte à la fin. Je l'aime. 

Elle ne se pose jamais en victime. Elle se bat…
Sienna Miller : Dans le passé, on me demandait d'avoir un rapport trop sentimental avec les personnages. Cela peut parasiter l'expérience. Ici, je me suis raccrochée à son courage. Dans la vie comme au cinéma, c'est le courage et la bravoure qui me touchent le plus. Pour moi, Deb est une vraie femme américaine qui nous raconte justement c'est quoi d'être une femme qui se bat tant contre la vie.

Etes-vous frustrée de ne pas obtenir davantage de premiers rôles ?
Sienna Miller : Quand je regarde en arrière, oui, c'est frustrant. J'aurais aimé avoir plus d'opportunités. J'ai toujours eu envie de servir entièrement une histoire au lieu de venir un jour sur le tournage et d'être absente les trois jours suivants. Pour devenir une star de cinéma, il faut être, à un certain degré, la personne que les spectateurs payent pour voir. Une sorte de version de vous-même. Et je ne crois pas que je sois la même dans chaque film. Je n'ai peut-être pas encore d'identité forte. Depuis le début de ma carrière, j'ai dû abattre un nombre incroyable de mauvaises perceptions qu'on pouvait avoir sur moi. Et ça a été un long chemin que celui de prouver ce dont je suis capable.

"Je me suis fait connaître parce que je suis tombée amoureuse de mon partenaire à l'écran"

Vous avez dit au Guardian que vous étiez immunisée contre les critiques violentes. Vous en avez reçues tant que ça ?
Sienna Miller : Oui, j'en ai reçues plein. Vous savez, je me suis fait connaître avant même que mon premier film ne sorte parce que je suis tombée amoureuse de mon partenaire à l'écran (Jude Law dans Irrésistible Alfie, ndlr). Et ça a donné le ton : d'un coup, j'étais connue pour autre chose que mon rôle. Je crois que beaucoup de gens ne voulaient pas que je sois bonne dans mon métier. Je suis devenue très populaire en Angleterre et je n'y étais pas préparée. Tout au fil de ma vingtaine, j'ai passé mon temps à surmonter un faux départ. Je pense que je l'ai surmonté. Je n'ai pas roulé sur une route droite et calme. Il y a eu des virages.

Sienna Miller dans "American Woman". © Sony Pictures

Si American Woman marque est un grand rôle, vous avez déjà brillé face à de grands cinéastes comme Clint Eastwood (American Sniper), Bennett Miller (Foxcatcher) ou James Gray (The Lost City of Z). Qu'avez-vous appris à leurs côtés ?
Sienna Miller : Clint Eastwood ne fait pas beaucoup de prises donc vous avez intérêt à assurer et à être prêt (rires). C'était impressionnant de travailler avec une telle icône. Bennett Miller est un auteur incroyable. Son plateau est imprégné d'une atmosphère inexplicable, comme si on entrait dans un monde étrange. Il est précautionneux des détails, des personnages… James Gray est un maître, un grand réalisateur que je respecte tant. Il connait le cinéma par coeur. Je peux l'appeler et évoquer un plan particulier d'un film des années 30. Et il saura en parler des heures. Dans de The Lost City of Z, j'avais l'impression de travailler avec un Visconti. 

D'où vous vient l'amour du cinéma et de l'art ?
Sienna Miller : Ma mère nous amenait toujours au cinéma. J'ai grandi en voyant des pièces et des films. J'en étais émerveillée. A 3 ans, je voulais déjà être actrice. Je ne me suis jamais autorisée à penser à autre chose. C'était ma vocation.

Donc le mannequinat n'était qu'une étape ?
Sienna Miller : C'était pour me faire de l'argent. J'ai quitté l'école, c'était facile, c'était là… 

Quels sont vos modèles ?
Sienna Miller : Il y a plein de femmes qui m'ont influencée : Katherine Hepburn, Judi Dench, Marylin Monroe, qui est si sous-estimée… J'aime le cinéma muet, Chaplin notamment. Je n'avais pas d'image en tête de ce que je voulais devenir. Je souhaitais juste être respectée.   

"Les gens ne sont pas heureux (sur les réseaux sociaux)"

Vous avez souvent dit combien ce métier pouvait vous sous-estimer. Vous vous êtes également exprimée sur les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Les choses ont-elles changé ?
Sienna Miller : Je crois que oui. Il y a plus de transparence désormais. Avant, les salaires, c'était quelque chose de très opaque au sein de l'industrie du cinéma. Les gens seraient très stupides de sous-payer aujourd'hui les femmes comme ils l'ont fait dans le passé. Je ne ferais plus le boulot si je suis payée 5% de ce que mon partenaire touche. Dans les années 60, il y a eu un mouvement de libération des femmes, avec le droit d'avortement, etc… Quelque chose de fort avait lieu, mais ça n'a pas pu être soutenu comme il le fallait parce qu'il n'y avait pas encore de réseaux sociaux. Aujourd'hui, ça a connecté les femmes, partout dans le monde. Elles ont une voix publique. Si quelque chose m'arrive un jour sur un plateau, je sais que je pourrais en informer facilement une armée d'actrices qui partageront ça et l'étendront mondialement.

Mais vous n'êtes pas sur les réseaux sociaux…
Sienna Miller : Je n'y arrive pas (rires). Ça ne me va pas. Je n'ai pas ce désir d'être en contact avec autant de gens. Sur Instagram, il faut s'ouvrir, montrer qu'on a du succès, parler de sa vie de manière souvent irréaliste. Je ne veux pas de ça. Les gens ne sont pas heureux dedans. Il n'y a pas autant de connexion qu'on le croit. Je sais que plein d'utilisateurs entrent en dépression à cause de ça, pensant que leur vie n'est pas assez bien comparée à celles des autres. 

Deauville vous remet ce soir un Talent Award. C'est un prix spécial pour vous de la part de la France ?
Sienna Miller : Oui, c'est un honneur. Le meilleur cinema au monde est français. J'adore la Nouvelle Vague. Ayant grandi à Londres, je suis régulièrement venue à Paris. C'est tellement beau, élégant, intimidant… Je veux impressionner la France (rires). Paris, c'est la Sorbonne, Sartre, les philosophes, la célébration de l'art, qui est chéri mieux que nulle part ailleurs… J'adorerais parler français pour faire des films avec Olivier Assayas, Jacques Audiard, Claire Denis ou Leos Carax que j'ai d'ailleurs rencontré. Il est fou (rires). Il me regardait, souriait et riait en fumant sa clope. Il est tellement créatif. Qui sait...