Diane Kruger : "On peut être observés sans le savoir"

Diane Kruger est à l'affiche cette semaine du thriller d'espionnage "The Operative" de Yuval Adler. Elle y incarne avec engagement et charisme une ex-agente du Mossad infiltrée à Téhéran. Entretien.

Diane Kruger : "On peut être observés sans le savoir"
© Anthony Behar/Sipa USA/SIPA

A 42 ans, la sublime Diane Kruger est plus libre que jamais. Lauréate en 2017 du prix d'interprétation féminine au Festival de Cannes pour sa prestation phénoménale dans In the Fade de Fatih Akin, où elle incarnait une mère détruite par la mort de son mari et de son fils lors d'un attentat, la comédienne allemande brille cette année dans un portrait de femme passionnant : The Operative. Inspiré du roman The English Teacher de l'ancien agent de renseignements israélien Yiftach Reicher Atir, ce long-métrage de Yuval Adler la transforme, en pleine course à l'arme atomique à la fin des années 2000, en ex-agente du Mossad infiltrée à Téhéran. Tiraillée entre son identité et sa mission, cette héroïne sied à merveille à Kruger. Nous l'avons rencontrée, sans micro caché. 

L'espionnage est-il un métier qui vous fascine ?
Diane Kruger : 
Oui. C'est un domaine professionnel qui offre une très bonne matière de cinéma. J'adore ce type de film. Je suis d'ailleurs très fan des James Bond. Ce qui m'a plu avec The Operative, c'est la manière dont ce métier est traité à l'écran. En l'occurrence, avec plus de réalisme. On en comprend mieux les facettes et on voit à quoi ressemble le quotidien d'un espion en mission. J'aime aussi l'idée que le récit soit basé sur une histoire vraie et que le metteur en scène soit lui-même israélien. Il y avait une authenticité nouvelle.

Diane Kruger dans "The Operative". © Le Pacte

Auriez-vous pu exercer une telle profession ?
Diane Kruger : Non. En préparant le film, j'ai fait un stage de deux semaines avec d'anciens agents du Mossad, que la production israélienne m'avait invitée à rencontrer. Ce sont des gens à part, quand même. Sur 5000 personnes, il n'y en a qu'une qui a le mental pour pouvoir en être. Il faut avoir une incroyable capacité à manipuler les gens afin de parvenir au résultat escompté. Les missions durent souvent des années, avec des dangers ou des possibilités de mort à tout moment.  

Parlez-nous un peu de ce stage… Quels enseignements en tirez-vous ?
Diane Kruger : En deux semaines, je n'ai pas la prétention d'être devenue espionne (sourire). Mais j'ai appris de petites choses. Ils m'ont par exemple donné une autre identité et un faux passeport avec lequel j'ai dû tenter de rentrer à l'aéroport international de Tel Aviv. J'avais le cœur qui battait, même si je savais que j'allais être tirée d'affaire quoi qu'il arrive. Il y a une adrénaline, mais aussi une certaine fierté ressentie quand ça marche. Parfois, lors de balades dans la ville, un des ex-agents me disait : "Tu vois le balcon là, au 4e étage ? Bah, tu dois taper à leur porte et y apparaître pour qu'on t'aperçoive." Il me fallait donc créer un personnage pour y entrer. C'est plus compliqué qu'il n'y paraît. Imaginez faire la même chose avec un Parisien ou un New-yorkais (rires). Après deux semaines, je me suis en tout cas sentie mal car on passe son temps à mentir et ce, même si on est entourés de personnes bienveillantes.    

L'identité qui s'efface, qui se brouille, c'est aussi le sujet de ce film, à travers votre personnage, Rachel…
Diane Kruger : Rachel est quelqu'un qui se cherche, qui ne sait pas à qui ou à quoi elle appartient. Elle a eu une enfance perturbée. Elle n'est pas vraiment juive, n'ayant pas grandi dans cette religion. Et d'un coup, elle se retrouve en Israël avec l'idée qu'elle peut enfin réaliser quelque chose qui compte. Ça m'a frappée ça en Israël. La cause juive, le pays d'Israël, tout le monde se bat pour ça. Je suis allemande, j'aime bien mon pays, mais ça ne me viendrait pas à l'idée de faire deux ans de service militaire, pas payée qui plus est, pour mon pays. Le patriotisme y est très fort. On a presque l'impression que c'est un cerclé fermé.

"The Operative est davantage un drame et un portrait de femme."

Avez-vous lu le livre dont est adapté The Operative ?
​​​​​​​Diane Kruger : Oui, après le scénario. J'ai surtout parlé à la femme dont il est question, laquelle vit cachée. Elle voyage beaucoup. L'auteur était à l'époque son fixeur. Vous savez, dans cet environnement de services secrets, ce n'est pas évident de savoir ce qui est vrai ou faux. Ils sont trop forts les gens du Mossad, plus qu'on ne le croit. Ils sont partout.

Comme par exemple Jessica Chastain dans Zero Dark Thirty, vous trouvez ici un rôle de femme dans un univers d'hommes…
​​​​​​​Diane Kruger : Oui et ça m'a plu. J'aime le fait que The Operative soit davantage un drame et un portrait de femme qu'un film d'espionnage pur. Ce n'est pas du tout un thriller classique et je l'ai ressenti dès la lecture.

Diane Kruger dans "The Operative". © Le Pacte

Quelles sont les qualités communes entre une bonne actrice et une bonne espionne ?
​​​​​​​Diane Kruger : Le sens de l'observation même si tout ça reste peu comparable. Je peux vous observer et copier la façon dont vous bougez ou tenez un stylo. Chez les espions, cette capacité est accrue car il faut se souvenir de la géographie d'un lieu, de la couleur de yeux d'une personne, savoir s'il y a une caméra de surveillance, quel type de portables sont posés sur la table etc…. Il y a tout un tas de choses à remarquer et à ordonner dans son cerveau. C'est une longue formation et, parfois, observer est une question de vie et de mort.

C'est flippant ?
​​​​​​​Diane Kruger : Ça rend parano ! Mais tellement ! Un jour, on marchait dans une rue animée et ils me disent : "Tu penses que tu es suivie ?" D'un coup, ça me glace. Moi, je réponds : "Je crois, peut-être…" On s'est retrouvé dans un café un peu plus tard. Une fille arrive, que je n'avais jamais vue de ma vie. Elle m'avait suivie à la trace et m'a retracé tout mon trajet dans les faits et gestes. C'était fascinant et effrayant. On peut être observée sans le savoir.  

Qu'a changé votre prix d'interprétation féminine à Cannes ?
​​​​​​​Diane Kruger : C'était un vrai moment d'émotion pour un film qui m'a coûté très cher en tant que personne. On l'a vu, on l'a apprécié et il a été fait pour les bonnes raisons. C'est tant mieux. Aujourd'hui, j'ai plus de choix, c'est sûr. Ce prix a changé l'endroit où on me positionne et a montré ce que je suis capable de faire.

"The Operative // VOST"