Léa Drucker : "On a l'impression qu'il est interdit de rêver"

Dans "Roxane", en salles le 12 juin, Léa Drucker incarne une employée de banque qui épaule son mari (Guillaume de Tonquédec), un éleveur faisant face à la concurrence industrielle tout en lisant Cyrano de Bergerac à ses poules. Rencontre avec une actrice sensible et empathique.

Léa Drucker : "On a l'impression qu'il est interdit de rêver"
© JP PARIENTE/SIPA

Récemment couronnée d'un César ultra mérité –celui de la meilleure actrice pour sa prestation tellurique dans Jusqu'à la Garde de Xavier Legrand–, Léa Drucker partage à partir du 12 juin l'affiche de Roxane avec Guillaume de Tonquédec. L'actrice de 47 ans campe l'épouse de ce dernier ; en l'occurrence, un éleveur qui lit secrètement Cyrano de Bergerac à ses poules. L'intéressée apporte toute sa sensibilité à ce récit de survie, alliant humour et tendresse. Il y est aussi et surtout question d'amour, celui qui émane de cette femme prête à tout pour que l'exploitation familiale ne ferme pas ses portes devant les géants de l'industrie. Nous avons rencontré Léa Drucker, en plein cœur du Jardin d'Acclimatation, pour une discussion autour du monde agricole, de la campagne et des animaux. Entretien.

Léa Drucker dans "Roxane". © Mars Films

Étiez-vous familière du milieu agricole ?
Léa Drucker : Non, pas vraiment, car je suis une citadine. Ma mère vit depuis très longtemps à la campagne, dans un petit village près d'Avranches. Je connais sa voisine qui est agricultrice. Quand je vais la voir, je constate le travail que ça implique, mais de loin. Je ne m'y étais jamais vraiment immergée. Pour Roxane, c'était la première fois que j'allais dans une exploitation de poules. J'aime la campagne et les animaux. J'ai un rapport de fascination et d'admiration pour le travail agricole. Malheureusement, la vie d'un agriculteur est souvent extrêmement difficile. Ce qui m'intéressait, c'était de plonger dans un monde que je ne connaissais pas et de ne surtout pas venir en touriste pour faire les choses du bout des doigts. J'avais à cœur de rencontrer des personnes qui ressemblent à nos personnages, de discuter avec elles pour mieux les connaître et les comprendre.

Avez-vous entendu leurs difficultés ?
Léa Drucker : Bien sûr, oui. Jacques Lotout, qui incarne Monsieur Faucheux, dirige des groupes de paroles en Bretagne. Le taux de suicide est élevé au sein de la population agricole, qui vit des difficultés parfois insurmontables. Il nous a éclairés sur elles. Je ne suis pas économiste mais j'ai compris par exemple que les contraintes pour être aux normes pèsent sur leurs épaules. Il y a aussi la question du bio intensif, de la mauvaise image qu'on donne d'eux au sujet de l'exploitation animale… C'est une chose d'être citadin et de se dire "Oh c'est horrible de maltraiter les animaux". C'en est une autre d'aller leur parler pour voir comment ils se démènent. Il ne faut pas non plus maltraiter les agriculteurs et négliger le facteur humain. Ils font leur métier par vocation et passion et, souvent, c'est toute la famille qui met la main à la pâte.

Vous incarnez Anne-Marie, la femme de Raymond. Lui est rêveur. Elle, au contraire, est ancrée dans la réalité. Ce contraste vous a-t-il immédiatement interpellée ?
Léa Drucker : Absolument. Je dois d'abord vous dire que je suis tombée secrètement amoureuse du personnage de Raymond. Si j'avais été un homme, j'aurais trop voulu camper un personnage comme lui. Il est magnifique. Quand Mélanie m'a proposé de jouer Anne-Marie, j'ai eu peur d'être la femme qui râle, qui demande constamment à son mari de redescendre sur terre. En tant qu'employée de banque, elle est dans la réalité. Elle voit les agriculteurs lutter contre le surendettement. Elle est angoissée pour sa famille, son couple… Elle sent que son mari a un secret, qu'il communique mal… Ce sont des problématiques universelles.

On sent qu'elle est vraiment le moteur de son époux…
Léa Drucker : Exactement… Elle veut aussi le ramener à la réalité pour sauver l'exploitation. Le désir de Raymond de créer un buzz, avec les textes qu'il lit à ses poules, est une utopie. Aujourd'hui, dans nos sociétés, on a l'impression qu'il est interdit de rêver. Ça serait un privilège et un luxe réservés à quelques-uns… Malgré son travail et son emploi du temps surchargé, Raymond s'octroie quand même le temps de rêver. C'est humain et vital d'avoir en soi cette part de poésie..

"C'est précieux la beauté de ce qui vous dépasse."

Quelle est la meilleure vertu des animaux ?
Léa Drucker : (Réflexion) J'aime déjà les observer parce que c'est fascinant. J'ai longtemps vécu avec un chien qui était perpétuellement à mes côtés. C'est un lien très particulier, il n'y a pas d'intellect. La relation est dénuée de jugement. Les animaux ont une grande faculté d'écoute. Vous allez me prendre pour une folle (rires). Avec eux, on communique d'une autre manière. Plus largement, la nature m'inspire. J'ai voyagé récemment en Islande et les paysages là-bas vous ramènent à une humilité. C'est précieux la beauté de ce qui vous dépasse. Ça vous rappelle qu'on ne maîtrise pas la grandeur de toutes les autres vies autour. On se sent petits mais dans le meilleur sens du mot.

Léa Drucker dans "Roxane". © Mars Films

La poule n'est pas un animal facile à dompter, n'est-ce pas ? 
Léa Drucker : Je ne me suis pas sentie menacée mais c'est un animal très dur à attraper (rires). Elles sont étranges, parfois. Quand vous avez 12.000 poules en face de vous, ce n'est pas loin des Oiseaux d'Hitchcock. Je ne me sentais pas super à l'aise et dominante à leurs côtés.

Comment se passe l'après César ? Avez-vous constaté des changements ?
Léa Drucker : Je n'ai pas encore assez de recul. D'un point de vue émotionnel, c'était agréable de sentir cette chaleur, cette bienveillance des professionnels du cinéma. C'est quelque chose qu'on oublie parfois, car on doute beaucoup. Du coup, ce moment où on dit vous "Bravo" est salvateur. On n'imaginait pas où Jusqu'à la Garde nous mènerait. Le tournage était très fort mais c'était impossible de se projeter. J'avais en tout cas la conviction d'avoir affaire à un cinéaste ayant une vision puissante de son sujet. Le César et cette expérience m'ont donné un peu confiance en moi, m'ont offert de l'élan pour la suite.       

"ROXANE // VF"