Sexe, sang et girl power : une lecture féministe de Game of Thrones

L'une des séries télévisées les plus passionnantes prend bientôt fin. Depuis le 15 avril 2019, OCS diffuse l'ultime saison de "Game of Thrones". L'occasion de revenir sur les ingrédients qui font le succès de ce show avec Ava Cahen, journaliste cinéma et auteure de "Game of Thrones décodé" (Ed. du Rocher). Recette (pouvant contenir quelques spoilers).

Sexe, sang et girl power : une lecture féministe de Game of Thrones
© Copyright HBO

Histoires de familles qui se déchirent pour le pouvoir, guerres sanglantes et créatures fantastiques, Game of Thrones est un subtil mélange de la série Dallas et du Seigneur des Anneaux, la trilogie de Peter Jackson à la sauce Worcestershire. Cette adaptation presque cinématographique - tant les moyens sont dignes d'une superproduction hollywoodienne - des romans de l'américain George R.R Martin, fait sensation depuis 2011. Mais l'heure du final est arrivée, n'en déplaise aux aficionados de la série de HBO. La huitième et dernière saison de GOT est visionnable depuis le 15 avril en exclusivité sur OCS TV. La plateforme de streaming diffuse les épisodes en simultané et à la demande en VOSTR et VO. Un documentaire de deux heures, Game of Thrones : The Last Watch, portant sur cette série qui a marqué le monde, sera également diffusé le 27 mai 2019. 
Mais en attendant l'assaut final, retour sur les personnages et grandes problématiques de cette série avec la journaliste Ava Cahen qui, dans son livre Game of Thrones Décodé (Ed. du Rocher) , retrace l'historique de cette production et en décortique tous les éléments. Décors, costumes, effets spéciaux, place de la femme, stratégies politiques, singularité des personnages : tout est passé au crible pour appréhender sereinement l'ultime saison et enrichir sa culture G.  

Le Journal des Femmes : Qui sont les personnages féminins de la série ? Game Of Thrones est-il un divertissement "girl power" ?
Ava Cahen : La série met en scène des reines et princesses qui apprennent (souvent à leurs dépens) ce qu'est l'exercice du pouvoir. Il y a aussi des prostituées, des esclaves, des "sauvageonnes" : toutes vivent en marge de la société. Dire que c'est une série "girl power" est très exagérée. Au premier plan, nous avons des héroïnes qui jouent le même jeu que les hommes (se faire la guerre, se battre pour le monopole). Elles sont plus rivales et jalouses que solidaires car le monde médiéval dans lequel elles vivent les persuade que les autres sont des ennemies. Il y a des contre-exemples mais, globalement, la rivalité entre femmes est concrète, ce qui fait de Game Of Thrones non pas une série "girl power", mais un programme qui s'intéresse à la destinée et la trajectoire de certaines femmes, les mieux nées avant tout.  

Journal des Femmes : Daenerys Targaeryan montre que tout est possible lorsqu'on prend son destin en mains et fait des sacrifices. La Mère des Dragons est-elle une militante de l'égalité des sexes ?
Ava Cahen : La parcours de Daenerys est intéressant. Elle a été mariée de force, violée par son époux et humiliée par son peuple d'adoption, les Dothrakis, avant de devenir l'élue. Depuis la saison 1, elle porte le feu en elle mais a dû subir le pire pour arriver au sommet. Ce qui a motivé l'héritière de la maison Targaeryan à libérer les opprimés et esclaves est son désir de justice et d'égalité, mais pas seulement. Comme Cersei Lannister, Daenerys est animée par le désir de régner et la série a prouvé qu'elle était capable de prendre des décisions radicales pour atteindre son but. Seule la peur de la mort, incarnée par les Marcheurs Blancs et représentant la fin du "game", freine ses envies de s'asseoir sur le Trône de Fer. 

"Game Of Thrones met en avant les pires aspects de l'humain et du pouvoir;" 

Journal des Femmes : La série donne-t-elle une vision méliorative du viol ?
Ava Cahen : Ce qui est troublant, c'est que cette adaptation libre des romans de Martin, créé des viols là où il n'y en avait pas originellement. Le problème n'est pas le viol en lui-même, mais sa représentation et le manque d'impact dans la narration. Les traumatismes sont toujours passés sous silence, le viol est banalisé. Dans GOT, on adopte souvent le regard de l'agresseur, du dominateur. On est rarement dans l'expérience du féminin. 

Journal des Femmes : Les personnages LGBTQ+ sont-ils mis au second plan car perçus comme "anormaux" ?
Ava Cahen : La série compte très peu de personnages gays ou alors, elle les supprime assez rapidement. Le seul personnage ouvertement lesbien de la série est Yara Greyjoy. L'univers de GOT est extrêmement codifié, testostéroné et hétéro-normés. Les minorités ont la vie dure dans la série. Difficile de ne pas penser aux crimes homophobes qui existent... Mais la série ne se préoccupe pas de cette problématique. 

Journal des Femmes : La série joue beaucoup sur le sensationnalisme : les scènes sont trashs et explicites. Pourquoi tant de violence visuelle quand on pourrait la taire ou la minimiser ?
Ava Cahen : Les curseurs de la violence, physique comme psychologique, sont très élevés ! Cela s'explique par le fait qu'HBO soit une chaîne câblée et non publique. Ensuite, la série met en scène un monde en guerre, donc la violence est de mise. Ce qui est terrifiant, c'est le réalisme. Les moyens de production sont pharaoniques, ce qui permet de rendre ce divertissement spectaculaire et cru. Ne le nions pas, le sexe et la violence font recette

Journal des Femmes : Dans les livres de George R.R Martin, les personnages noirs sont plus nombreux que dans la série. Pourquoi la télévision n'a-t-elle pas réussi à retranscrire cet élément ?
Ava Cahen : Visiblement, la télévision a moins d'imagination ! Il est vrai que GOT est un show très blanc : les personnages racisés sont peu nombreux et secondaires jusqu'à la saison 7. C'est une adaptation, les créateurs ont supprimé beaucoup de personnages des romans, mais ils ont aussi été capables d'en inventer ! Malheureusement, leurs créations sont rarement métissées. C'est bien la preuve que, même si cette série a des atouts extraordinaires, elle est aussi en retard sur les enjeux de représentation.  

"La série tend à nous faire réfléchir sur le climat, l'immigration, la montée du fascisme..."

Journal des Femmes : L'univers de GOT est composé de plusieurs pays. Les populations réduites en esclavage et celle des Dothrakis, des sauvages ont la peau mat et parlent une langue souvent inconnue des personnages. GOT véhicule-t-elle une image qui favorise le racisme ?
Ava Cahen : GOT parle de tous les sujets qui nous préoccupent, et le racisme en fait partie. Les Dothrakis sont considérés par le pouvoir comme des barbares car ils parlent une autre langue et ont la peau dorée. La peur de l'étranger est au cœur de la série, la majorité des personnages défendent l'entre-soi. Le Mur, qui protège le royaume, a vocation d'empêcher les "étrangers" de pénétrer dans le royaume. Les pires aspects de l'humain, du pouvoir et de ce qu'ils entraînent sont mis en avant pour mieux les dénoncer. L'ultime saison nous dira si des valeurs plus nobles et humanistes vont pouvoir naître.  

Journal des Femmes : Inceste, prostitution, orgie : la sexualité y est désinhibée. Pourquoi les corps sont-ils aussi libres ?
Ava Cahen : La sexualité est assujettie à des codes essentiellement masculins. On est encore dans le champ lexical du pouvoir. Les hommes, par le sexe, dominent les femmes, les soumettent et les terrorisent. Les femmes, elles, manipulent les hommes ou se donnent pour survivre. La sexualité a quelque chose de toxique dans GOT. Tout se fait presque toujours sous la contrainte. 

Journal des Femmes : Certains personnages se servent de leurs pouvoirs/croyances pour jouer un rôle politique clé. GOT est-elle une série qui invite au mysticisme et condamne les religions ?
Ava Cahen : La série prévient des dangers du fanatisme religieux. Dans GOT, les croyances sont multiples, les personnages s'en remettent à plusieurs dieux. Au nom de ces divinités, (le dieu Noyé, le dieu de la Lumière, les Anciens dieux...) ils commettent le pire : sacrifices, attentats, massacres organisés, guerre. Par ses intrigues et à travers ses personnages et leurs situations, la série tend à nous faire réfléchir sur des points d'actualité comme le climat, l'immigration, le fascisme. 

Journal des Femmes : Quels seraient vos arguments pour convaincre/persuader quelqu'un de regarder GOT ?
Ava Cahen : C'est une série ambitieuse, extrêmement bien écrite et mise en scène avec le même soin qu'une production hollywoodienne. Comme le disent les créateurs, GOT c'est "Les Soprano en Terre du Milieu" avec des personnages névrosés qui auraient bien des choses à raconter à Freud. Des familles mafieuses qui veulent contrôler le monde, qui complotent, se plantent des couteaux dans le dos... Si on aime les séries d'espionnage, les feuilletons romanesques, les légendes arthuriennes, Nietzsche et Machiavel, alors on peut aimer GOT

Pour se (re)mettre à la page : "Game of Thrones décodé" d'Ava Cahen, Editions du Rocher (18,90 euros)
Pour ne pas en perdre une miette : "Game of Thrones", tous les lundis à 3h du matin (en simultanée avec la diffusion U.S) et à la demande sur OCS. 
Pour aller plus loin : Le d
ocumentaire inédit "Game Of Thrones : The Last Watch", le 27 mai 2019 sur OCS.