Mélanie Thierry : "J'adore qu'on me dise que je suis drôle"

Beauté solaire au sourire large et aux yeux immenses, Mélanie Thierry, sublime, sans fard, sans violence, endosse avec justesse et humilité l'angoisse et la souffrance de Marguerite Duras. Sublime dans "La Douleur" d'Emmanuel Finkiel, un drame puissant et sobre, l'actrice est aussi un délice de conversation, d'humour et de délicatesse. Rencontre.

Mélanie Thierry : "J'adore qu'on me dise que je suis drôle"
© Les Films du Losange

Vous parvenez à jouer Marguerite Duras sans pathos et à susciter l'émotion. Pouvez-vous dire "je suis très fière de ce film" ?
Mélanie Thierry : Merci. L'incarner était tout sauf une évidence. Ce n'était pas un rôle simple... Et oui ! J'adore ce film, je le trouve exigeant, très beau, très réussi. C'est déstabilisant de se voir en gros plan pendant deux heures, c'est même insupportable, mais une fois que mon complexe de l'écran occulté, il reste la mise en scène remarquable de cette interminable attente dont on sent chaque frémissement. Je trouve l'adaptation du livre admirable, l'aspect visuel absolument magnifique. J'aime la façon dont Finkiel travaille le flou, dont on est au plus proche de Duras, de ses méandres, de ses perditions, sans jamais trahir sa pensée.

Comment avez-vous articulé les deux aspects de votre personnage, sa dichotomie : une héroïne romantique dans l'émotion et une femme distante et réservée ?
Lorsqu'on te dit que tu vas jouer Duras, c'est effrayant, tu ne te sens pas capable d'interpréter son autorité, ses mots, sa mélodie et cette forme assez monstrueuse de ce qu'elle fut. Ce qui me protégeait, ce qui balayait l'idée de l'imiter, c'est que ce n'est pas un biopic, mais une évocation : le portrait d'une femme qui traverse l'Occupation, la Libération. Marguerite n'était pas encore Duras. Elle n'avait pas trouvé son nom d'écrivain, elle était encore à l'aube de son destin littéraire, tout était possible.

Que vous a-t-on demandé de changer pour ce rôle ?
Marguerite Duras ne mangeait plus du tout à cette époque-là, elle était l'ombre d'elle-même, c'était vraiment une plume. Mon metteur en scène aurait adoré que je maigrisse davantage... Je me suis donné du mal, mais je n'ai pas réussi à devenir rachitique.

Être filmée au plus près, sans maquillage, était-ce physiquement éprouvant ?
J'ai eu de la chance, je n'ai pas eu seul un bouton pendant le tournage ! Plus sérieusement, la caméra peut me crisper, me déstabiliser, comme un regard insistant, mais le réalisateur filmait à la longue focale ce qui consiste à capter les images de très loin et à zoomer. J'étais totalement habitée par ce que j'avais à traverser sans avoir l'impression de me laisser voler dans le plus profond de mon intimité.

Et cette douleur était-elle aussi pesanteur en dehors des plateaux ?
Il n'y avait rien de tragique, de dramatique. A l'inverse, avoir une compagne de route aussi puissante que Duras donne un sentiment d'invincibilité. Tu fais corps avec un personnage fort et intelligent qui t'habite, te nourris... Le moment de flottement vient après. C'était très épanouissant de travailler avec quelqu'un d'aussi rare, singulier, authentique qu'Emmanuel Finkiel. Il fait du cinéma comme personne d'autre. Ses impatiences, ses colères et sa folie servent une cause viscérale, de vraies raisons. Tu comprends pourquoi tu fais ce métier, tu as la sensation de créer. Lorsque le film s'est achevé que je me suis sentie fragilisée, abattue car inutile, abandonnée par ces deux fortes personnalités.

En tant que mère, en tant qu'amoureuse, comment composez-vous avec l'absence, avec le manque, avec l'attente ?
Simplement. J'y suis habituée en tant qu'actrice, entre les auditions et le moment où l'on vous remet le rôle, c'est très long. Avec les années, je suis de plus en plus endurante.

Diriez-vous que vous avez un rapport pacifié au temps qui passe ?
Je sais ne rien faire sans culpabilité aucune. Je ne  cherche pas à remplir mes journées. Je suis une solitaire. C'est merveilleux de retourner sur son territoire, apaisant de retrouver son quotidien.

Est-ce qu'il est plus facile pour vous de partager vos joies ou vos peines ?
J'ai tendance à garder les choses tristes pour moi.

Mélanie Thierry dans La Douleur, en salles le 24 janvier © Less Films du Losange

Est-ce que vous aimez votre visage ?
Parfois oui, parfois moins, parfois je suis un peu chiffonnée.

Dormez-vous la nuit ?
Un vrai bébé… jusqu'au réveil. C'est miraculeux, je n'ai jamais eu d'insomnie de ma vie. Je ne sais pas ce que c'est

Vous souvenez-vous de votre dernier fou rire ?
A l'instant. J'en ai plein. Il m'en faut chaque jour, j'en ai besoin.

De quoi avez-vous fait peur ?
J'ai rarement peur, mais je suis souvent inquiète.

Qu'avez-vous réussi de mieux jusqu'à aujourd'hui ?
Je trouve que je concilie bien vie de couple, vie de famille, travail, amour… Je suis heureuse de ce qu'on a construit.

Quel compliment pourrait vous flatter ?
J'adore qu'on me dise que je suis drôle.

A qui mentez-vous le plus ?
Certainement pas à moi-même !

Avez-vous des plaisirs simples ?
Aller voir des spectacles avec mes enfants. J'ai emmené mon fils de neuf ans à la Comédie française pour la 1ère fois : la soirée la plus géniale que j'ai jamais passée. C'était un bonheur de le voir dans un état jubilatoire, fantastique de partager cette passion qui m'anime avec lui.

Mélanie Thierry dans La Douleur, en salles le 24 janvier 2018 © Les Films du Losange

A quel objet êtes-vous attachée ?
Je m'attache vachement aux objets, je ne devrais pas... Je porte la bague de fiançailles de ma mère. J'adore les vieux bijoux.

Qu'est ce qui peut vous vexer ?
Je suis très  susceptible, pas parano, mais je prends mal les remarques ou je les comprends de travers,

Comment cela  se passe les relations avec votre corps en ce moment ?
J'ai mis du temps à dégonfler après mes deux grossesses. J'ai retrouvé ma silhouette d'avant la maternité. Je ne suis ni mincissime ni soufflée. Je suis normale et je me sens bien.