Lou De Laâge fait le saut de l'ange

Lou De Laâge s'oppose à Juliette Binoche dans "L'Attente", à découvrir au cinéma. L'actrice de 25 ans, déjà aperçue dans "Jappeloup" et "Respire" confirme une présence lumineuse à l'écran... et en entretien.

Lou De Laâge fait le saut de l'ange
Lou  De Laâge dans L'Attente © Bellissima Films

Lou de Laâge a un nom d'ange et un jeu captivant, qu'elle nous balance avec subtilité dans L'Attente, au cinéma. Dans ce drame pesant, elle interprète Jeanne, douce amoureuse confrontée au silence de sa belle-mère, au cœur de la Sicile. Face à Juliette Binoche, mère endeuillée dans le déni, elle incarne la jeunesse, la soif de vie, en réponse au deuil et au non-dit de la mort. Un personnage qui ne lui ressemble pas, mais qui correspond quand même à cette bosseuse motivée par "la peur et l'inconnu"Grâce à Mélanie Laurent, qui lui a offert un rôle de perverse narcissique dans Respire, le cinéma a enfin découvert que le visage de poupée cachait une actrice nuancée, talentueuse. Cette native de Bordeaux ne sait pas d'où lui vient son amour pour le jeu, qu'elle a découvert par le biais du théâtre à 6 ans. Ce qu'elle sait, c'est qu'à 10 ans ses parents l'ont inscrite à ses premiers cours et que ses fantasmes se sont alors concrétisés. "J'ai découvert le cinéma en le faisant, ça ne me semblait pas concert par rapport au théâtre, où je voyais de vrais êtres humains transmettre une émotion", explique-t-elle.
Parfaitement adaptée à la vie parisienne depuis qu'elle est venue y tenter sa chance il y a 7 ans, cette fille de peintre (maman) et de journaliste (papa) n'aime pas les paillettes ni le milieu mondain, où elle se sent mal à l'aise.  "
Je ne suis pas là pour me faire des potes, mais pour jouer. Mes amis je les ai, ailleurs, dans mon univers qui me protège", explique-t-elle avec un gracieux ballet de mains.
Nous nous étions promis de ne pas parler de sa beauté pour ne pas tomber dans la facilité, tant pis. Lou De Laâge a de grands yeux translucides, une bouche ourlée, une peau opaline et même une voix de velours. Un visage parfait en tous points, fascinant, qui dénote tout aussi joliment avec son corps grâcile, son allure presque garçonne. Dernière chose : l'actrice de 25 ans a désormais les cheveux courts. Un coup de ciseaux motivé par un choix personnel, parce qu'elle avait l'opportunité de "faire ce qu'elle voulait" à un moment précis. Voilà qui en dit long.

Le Journal des Femmes : Pourquoi vous dans L'Attente ?
Lou De Laâge : J'étais la dernière fille à passer le casting. Avec Piero Messina (le réalisateur, ndlr), Italien qui parle très mal anglais, comme moi, on a préparé plusieurs scènes du scénario sans parler la même langue. J'en suis sortie nourrie, en me disant que même si je n'avais pas le rôle, j'étais contente de cette séance de travail tellement intéressante. Puis il m'a rappelée pour me dire que c'était bon.

Qu'est-ce qui vous a attirée chez Jeanne ?
Dans
L'Attente, on ne sait pas d'où viennent les personnages. Leur passé n'est pas raconté, ce qui nous a permis, avec Juliette Binoche, de mettre notre sensible, notre façon de voir les choses, de regarder, de respirer. Il y avait une sur-simplicité qui nous laissait beaucoup de liberté, tout en rendant l'exercice difficile. Il a fallu être honnête, être soi, alors qu'on passe notre vie à essayer de montrer quelque chose.

Lou dans L'Attente © Bellissima Films

À un âge où on se construit sa propre identité, vous n'avez pas peur de vous perdre dans vos rôles ?
J'arrive à séparer ma vie et mon travail. C'est un endroit qu'on appelle le jeu, on s'amuse avec ce qu'on est, peu importe si l'histoire est dramatique. Pour ce film, je me suis retrouvée en Sicile dans un lieu magnifique, au milieu de rien. J'ai réalisé que j'avais juste à me laisser habiter par l'ambiance du pays pour tout raconter. Parfois, il ne faut pas trop se compliquer, rester ouverte.

Comment était-ce de se confronter à la grande Juliette Binoche ?
Avant de la rencontrer, j'avais la pression. Je savais qu'il allait falloir être zen, sans savoir comment m'y prendre (
rires). Surtout que Piero n'a pas voulu qu'on se voie avant le premier jour de tournage... Finalement, elle est tellement simple, généreuse, que je me suis détendue dès les premiers instants de jeu en commun.

Dans L'Attente, on tait la mort. Faut-il toujours dire les choses ?
Cette vérité-là est importante à entendre, et à dire, pour faire son deuil. Malgré la violence de la nouvelle, il faut y passer pour continuer à vivre. Le personnage de Juliette n'arrive pas à se l'avouer et le mien subit le parcours intérieur de cette femme.

Vous êtes-vous déjà cachée derrière un mensonge par facilité ?
A ce point là, non ! C'est pour ça que j'ai dit à Piero que Jeanne n'était pas moi. A sa place, j'aurais rapidement demandé des explications pour ne pas m'embrouiller complètement le cerveau. Je suis moins patiente qu'elle… Jeanne est passive, je ne sais pas comment elle fait.

Dans L'Attente, on a l'impression que le temps est suspendu. Vous êtes une rapide, une lente, une pressée, une retardataire ?
Je suis une lente speed (
rires). Je ne suis pas molle, même plutôt énergique, mais je mets du temps à faire les choses, à m'y mettre. Notre société est très agaçante. Avec les portables, il faut répondre tout de suite. On n'a plus le droit de s'adapter à son propre rythme. Parfois ça m'énerve, il faut laisser aux gens le choix de suivre cette cadence formatée ou non. J'ai ma petite bulle que j'arrive à conserver… Pour l'instant !

Pendant la scène du repas, Juliette Binoche parle d'une jeune fille devenue femme. C'est une transition que vous avez déjà ressentie ?
Je n'ai pas l'impression d'avoir vécu un moment de basculement, mais que tout s'est étalé doucement, puisque je suis une lente (sourire). Je me sens encore enfant par moments. J'ai toujours vu le fait d'être adulte comme quelque chose d'un peu triste, j'y mets tout ce qui est "devenir sérieux, raisonnable, modéré". D'un coup il faut perdre son grain de folie, réussir à s'adapter à tout.  Or, on ne peut pas être que ça, au risque de s'ennuyer, de s'oublier… Et je ne le veux pas.

C'est pour ça que vous avez choisi d'être actrice ?
Ce métier nous permet d'aller dans des recoins de nous-mêmes qui ne sont pas lisses. On peut montrer qu'on est faits de plein de choses, de matières plus ou moins belles. C'est ce qui crée un homme et c'est tant mieux. Mon job continue à faire travailler l'imaginaire, stimule cet endroit destiné au rêve, qu'on connaît bien à 5 ans et qu'on apprend à calmer en grandissant.

Face à Juliette Binoche © Bellissima Films

Votre personnage ne boit pas. Êtes-vous du genre à vous fixer des limites comme elle ?
Du tout… Je suis beaucoup plus excessive que cette fille. Sinon on ne se laisse jamais surprendre. Je suis incapable de prévoir mes dîners trois semaines à l'avance comme certains. Qui sait si je serai d'humeur, si je ne serai pas une très mauvaise partenaire de dîner dans quelques jours ? Il faut laisser place à l'imprévu.

On vous compare à Brigitte Bardot... Aubaine ou bagne ?
(Sourire) : Je ne m'y retrouve pas, mais je me suis toujours dit que la comparaison était sympa.
Ça rassure les gens de me mettre dans la case de ce style de femme.

Vous êtes consciente de votre beauté ? Vous en jouez ?
Si j'en avais vraiment conscience, j'aurais été mannequin, j'aurais choisi un métier axé sur le physique. Je laisse les gens juger. Je me suis toujours dit que mon apparence me nuirait : on vieillit, ça ne dure qu'un temps. Je ne fais pas ce métier pour m'entendre dire que je suis jolie, mais pour farfouiller des émotions, pour sonder l'humain.

Vous n'en avez pas marre d'être la "jolie fille" ?
Je ne vais pas cracher dessus. J'ai toujours trouvé important qu'un acteur sache ce qu'il dégage, la gueule qu'il a. Je savais que j'avais le physique de la jeune première et que j'allais commencer par ces rôles de petites meufs un peu timides, gentilles. Je l'ai accepté comme ma base, en me disant qu'une fois introduite, je pourrais nuancer et aller ailleurs.

On dit aussi de vous que vous êtes déterminée. Ça vous ressemble ?
Quand on a une passion, la détermination n'est pas consciente. Le désir d'aller où on veut est tellement fort qu'il nous pousse à agir. Quand j'ai débarqué à Paris, j'étais pleine d'insouciance, je ne me rendais pas compte qu'il fallait autant d'argent pour vivre ici. J'étais à l'ouest (rires) ! Ça ne sert à rien d'être trop parfaite, trop réfléchie. Ce sont aussi nos défauts qui nous amènent vers les choses.

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