Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix : "Ma force vient du courage des femmes victimes"

Le Journal Des Femmes a rencontré celui que l'on surnomme "l'homme qui répare les femmes". Le docteur Denis Mukwege, gynécologue de renommée mondiale, a reçu le prix Nobel de la Paix en 2018. Pendant plus de 20 ans, il s'est engagé dans la lutte contre les violences faites aux femmes. Le chirurgien congolais revient sur son combat.

Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix : "Ma force vient du courage des femmes victimes"
©  Cour grand-ducale / Sophie Margue

Le forum international Stand Speak Rise Up!, initié par la Grande-Duchesse du Luxembourg María Teresa Mestre, aura lieu les 26 et 27 mars. Cette mobilisation humanitaire a pour but de lutter contre les violences sexuelles dans les zones sensibles, en partenariat avec l'ONG de Céline Bardet We are not Weapons Of War et la Fondation Dr. Denis Mukwege
Soutien de cette initiative, le Journal Des Femmes a rencontré l'un des ambassadeurs de ce projet : le docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018. Ce gynécologue congolais de 63 ans a dédié sa vie aux femmes de son pays. Depuis l'éclatement de la première guerre du Congo, en 1996, Denis Mukwege n'a jamais cessé de se battre contre les violences sexuelles et plus particulièrement contre l'utilisation du viol comme arme de guerre . À Panzi, en 1999, Il a fondé son propre hôpital, rapidement devenu un refuge pour les femmes violées et mutilées. Grâce à lui, plus de 50 000 victimes ont été sauvées. Rencontre avec un homme dont le courage n'a d'égal que la détermination. 

© Cour grand-ducale / Sophie Margue

Le Journal des Femmes : Pourquoi avoir choisi de vous tourner vers des études de médecine et, plus particulièrement, d'étudier la gynécologie ?
Dr. Denis Mukwege : La mortalité maternelle est un problème particulièrement choquant dans mon pays, la République Démocratique du Congo. Au début, je voulais me lancer dans la pédiatrie, mais pendant mes études de médecine, j'ai réalisé combien il était insupportable de voir toutes ces femmes qui mourraient en accouchant. Cela a été un véritable choc pour moi. Je suis donc parti à Angers faire mes études de gynécologie. Je suis revenu en République Démocratique du Congo pour accomplir mon objectif : sauver ces femmes et apporter ma contribution. 

Comment avez-vous vécu le fait d'être récompensé par le Prix Nobel de la Paix en 2018 ?
Dr. Denis Mukwege : 
Pendant 20 ans, j'ai lutté pour ces femmes et cela a été très difficile à vivre… Ce prix représente avant tout la reconnaissance de la souffrance des victimes. À travers elles, j'ai également été reconnu. C'est pour moi un accomplissement, au nom de celles que j'ai rencontrées. Ce que je suis, je le dois à ces femmes.

Qu'avez-vous pensé du comportement de ces femmes qui sont venues chercher de l'aide auprès de vous ?

"Leur courage m'a inspiré et m'a donné la force pour continuer ce combat."

Dr. Denis Mukwege : Elles étaient vulnérables, mais incroyablement fortes. Dans les pays en guerre, les femmes souffrent physiquement et mentalement, car on leur demande l'impossible. Par exemple, les victimes libyennes ne peuvent pas parler de ce qui leur est arrivé ou elles risquent la mort. Elles disent simplement : "Ils ont fait ce qu'ils ont voulu faire". À la douleur corporelle, s'ajoute la souffrance de ne pas pouvoir parler. Leur courage m'a inspiré et m'a donné la force pour continuer ce combat.

Comment expliquez-vous ces nombreuses violences faites aux femmes ?
Dr. Denis Mukwege 
: D'abord, il y a une normalisation de la violence dans nos sociétés contemporaines. Quand une femme veut témoigner d'un viol, on considère souvent qu'elle se "plaint pour rien". Nous naissons tous égaux, mais le problème, c'est "l'après naissance". On dit à un petit garçon de ne pas pleurer, car un homme se doit d'être fort. Cette différence d'éducation réside dans l'apprentissage de la violence. Le véritable problème est la définition de la masculinité qui n'est, en réalité, qu'une invention de la société.

Pourquoi la question du viol et des mutilations est-elle tabou ?
Dr. Denis Mukwege : 
Ce tabou est principalement dû aux normes que nous impose la société. Les clichés ont la peau dure. L'outil principal de la domination des hommes sur les femmes est la violence. Un homme, selon la société, doit avoir en lui une force que la femme n'a pas. C'est cette domination qui sert à justifier le viol et bien d'autres atrocités.... 

Quelle conclusion tirez-vous de ces années de combat pour les femmes ?
Dr. Denis Mukwege
: J'arrive à remarquer, tout de même, une évolution positive sur les 20 années au cours desquelles j'ai mené ce combat. Avant, j'avais du mal à parler des violences sexuelles ou des réparations parce que personne ne voulait en entendre parler. Aujourd'hui, je crois que cette question sociale intéresse de plus en plus. Pour rendre cette cause encore plus connue et plus audible, il faudrait redoubler de créativité pour arriver à un véritable progrès.